On dit souvent que la première étape pour mettre de l’ordre dans sa vie et grandir en tant que personne, c’est de savoir reconnaître ses propres problèmes. Lorsque quelqu’un quitte le déni et admet avoir des difficultés comme des addictions, des problèmes d’argent ou des problèmes de santé mentale, on considère alors qu’il est sur le chemin de la guérison, qu’il a assez d’amour de soi pour oser se remettre en question. Or, quand on applique le même principe à la Nation québécoise et on critique ses défauts, on se fait rapidement qualifier « d’ethnomasochistes ». Ce déni proprement québécois est dévastateur.

Cette semaine, Olivier Primeau en a fait les frais en critiquant la jalousie des québécois à l’égard du succès et de l’argent. Selon lui, « au lieu de célébrer les réussites, cette jalousie peut engendrer de la rancœur et des sentiments de compétition malsaine. Cela peut décourager l’entrepreneuriat et l’innovation, car les personnes talentueuses et ambitieuses peuvent hésiter à partager leurs idées par peur d’être critiquées ou sabotées. »

L’entrepreneur, connu pour son BeachClub de Pointe-Calumet et ses poutines de dépanneur, s’inquiète en outre que cette hostilité des Québécois à l’égard du succès engendre une « fuite des cerveaux entrepreneuriaux » et que cela constitue « une menace réelle pour l’économie québécoise ».

Très rapidement sur les réseaux sociaux, l’entrepreneur a été raillé par des critiques de ses poutines, de la superficialité de la culture entourant le BeachClub et du fait qu’il aurait bénéficié de la richesse de son père en premier lieu. Selon beaucoup de gens, ce n’est pas son succès qui lui attirerait des critiques, mais le fait qu’il serait prétentieux, parvenu et que ses produits ne vaudraient pas une telle reconnaissance.

Mais ces critiques passent complètement à côté de son point – en fait, elles le prouvent largement. Elles impliquent que les Québécois mettraient des conditions très strictes à la célébration du succès, et que ceux qui ne seraient pas jugés assez nobles d’avoir de la reconnaissance ne mériteraient que des insultes et des railleries. On veut le beurre et l’argent du beurre…

Parce que pour chaque génie qui s’enrichit en offrant un produit révolutionnaire, il y aura toujours des centaines de milliers de petits entrepreneurs dont les produits sont moins importants, voir carrément inutiles. Pour chaque prix Goncourt, il y aura toujours des milliers de romans médiocres. Pour chaque chef-d’œuvre, il y aura toujours une masse écrasante d’œuvres de mauvais goût.

C’est la même chose pour la liberté d’expression : la masse d’opinions absurde dépasse toujours largement celles des opinions justifiées et avérées, mais on ne peut pas pour autant se mettre à intimider tout le monde et réprimer leurs opinions. La liberté implique de tolérer l’absurdité pour s’assurer que le génie ne soit pas réprimé dans le lot.

Il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain, en somme.

Le problème, ce n’est pas qu’Olivier Primeau se fasse insulter pour son succès ou son attitude ; c’est que d’autres aspirants entrepreneurs, en voyant l’accueil qui est réservé à quelqu’un qui a plutôt bien réussi, en viennent à se dire que le jeu n’en vaut pas la chandelle au Québec.

Vous imaginez le nombre d’absurdités et de démonstration ostentatoire et de succès injustifié qu’il se produit à chaque jour dans un pays de 300 millions de personnes comme les États-Unis? Eh bien, le pays demeure l’une des économies les plus dynamiques sur terre, et c’est là que fleurissent les histoires à succès qui éclipsent les millions d’essais ratés. Les Américains ont d’autre chose à faire que d’être jaloux et rancuniers à la vue d’une Ferrari : ils se disent simplement « good for him ».

Car je suis bien désolé, mais cette hostilité à l’égard du succès ou de ceux qui se démarquent est une réalité au Québec. Nous avons gardé ce petit sentiment de culpabilisation catholique, couplé d’origines historiques modestes, qui fait en sorte qu’on voie d’un mauvais œil ceux qui se démarquent trop. La réussite est vue comme une forme d’américanisation, une trahison capitaliste contre le pauvre Québec conquis par les Anglais.

Cette attitude est aussi notable sur le plan des idées : il règne un unanimisme étouffant au Québec. Toute critique – justement – qui n’irait pas dans le sens de la majorité est reçu comme une hérésie troublant la paix. Le mot d’ordre, on le sait, c’est « pas de chicane dans ma cabane ».

Pas de doute, dans ces circonstances, que de nombreux citoyens regardent ailleurs avec envie. Que ce soit l’Alberta ou les États-Unis pour des raisons entrepreneuriales, ou bien la France et les États-Unis sur le plan des idées. L’exode des cerveaux est un enjeu réel dans une société conformiste comme la nôtre.

Maintenant, avoir des problèmes n’est pas la fin du monde, du moment où on est prêt à en parler et à changer. Mais à la moindre critique adressée au Québec, les Québécois, et particulièrement les nationalistes, ont développé un mécanisme de défense rigide qui les maintiennent dans le déni. Toute critique du Québec est assimilée à une attaque contre la nation et l’identité québécoise. Toute déploration de nos nombreux problèmes, à un ethnomasochisme issu d’un conditionnement colonial.

Dans les faits, les véritables colonisés au Québec sont ceux qui sont incapables de sortir de cette culture de victimisation où toute autocritique est nécessairement une attaque à l’identité québécoise et une forme « d’ethnomasochisme ».

On le voit souvent, par exemple, avec les radios de Québec, qui sont extrêmement critiques du modèle québécois, de sa bureaucratie, de ses dépenses injustifiées, de son étatisme obtus… À tous les coups, on accuse ces animateurs d’être des colonisés qui détestent le Québec. À tous les coups, on en fait des parias. Mais en quoi soulever des problèmes dans l’espoir de les régler serait-il une marque de dégoût? N’est-ce pas, justement, une marque d’amour que de se soucier de l’état du Québec?

Eh quoi encore? Les nationalistes viendront-ils me dire qu’ils sont satisfaits de l’état du Québec en ce moment? S’ils sont fiers d’être Québécois, ça on le sait, mais sont-ils réellement fiers du Québec? Vraiment? Après deux référendums perdants, le déclin accéléré du français, la folklorisation de notre culture, le pouvoir d’achat risible, la dilapidation de nos fleurons entrepreneuriaux, la fin de notre sécurité énergétique, la lourdeur de notre bureaucratie, l’augmentation de l’insécurité de nos villes?

Est-ce de l’ethnomasochisme de dire que nous nous sommes placés dans une situation socio-politique désastreuse, que le Québec ne va pas bien et qu’il y a un besoin urgent de redressement? N’est-ce pas plutôt masochiste de se maintenir dans le déni et d’attaquer quiconque pointerait les problèmes et chercherait des solutions?

Les Québécois, et particulièrement les nationalistes, ont grand besoin de se faire une carapace et de cesser de maintenir de force leurs concitoyens dans la médiocrité ambiante. Le déni, le refoulement et le nivellement par le bas : tels sont les véritables symptômes de la colonisation de nos esprits. Pour guérir, il faut d’abord reconnaître nos problèmes.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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