Pourquoi Tucker Carlson a-t-il été renvoyé de Fox News?

Lundi 24 avril, FOX News Media a émis une brève déclaration annonçant que le réseau et le populaire animateur Tucker Carlson avaient convenu de se séparer. Ainsi prend fin, sans plus d’explications, l’émission de nouvelles la plus regardée aux États-Unis, à l’antenne depuis novembre 2016.

Carlson et son producteur exécutif Justin Wells ont été renvoyés une dizaine de minutes avant que FOX News en fasse l’annonce. Rupert Murdoch, le magnat des médias propriétaire de la chaîne, aurait pris la décision le vendredi précédent, suite à une rencontre avec les membres du conseil d’administration.

Les véritables raisons pourraient n’être jamais révélées advenant que Tucker Carlson ait signé un accord de non divulgation avec le réseau.

La principale thèse pour expliquer le renvoi pointe vers la poursuite de la société américaine de machines à voter Dominion contre FOX News. Un accord de dernière minute pour 787,5 millions de dollars a permis à FOX News d’éviter un long et potentiellement embarrassant procès pour diffamation avec Dominion, qui accusait FOX d’avoir tenu des propos qu’il ne croyait pas véridiques dans le seul but de plaire à ses auditeurs.

Pour contextualiser: FOX News, principal réseau de droite [traditionnellement associé au Parti Républicain] s’est sévèrement fait reprocher d’avoir déclaré hâtivement l’Arizona en faveur de Biden le soir du 3 novembre 2020. Une importante partie de son auditoire a menacé de migrer vers le réseau émergeant Newsmax. Pour parer à la saignée d’audience, FOX News a surcompensé en accordant une légitimité excessive aux allégations de l’avocate Sidney Powell, qui affirmait que les machines à voter Dominion avaient été programmées pour modifier les votes en faveur de Joe Biden.

Parmi les animateurs de FOX News, Tucker Carlson n’est pourtant pas celui qui a poussé les suggestions de fraude. Il a toujours entretenu le doute: « nous ne savons rien du logiciel » ; « Nous ne savons rien du logiciel qui, selon beaucoup, a été truqué. Nous ne savons pas. Nous devons le découvrir » ; « Les fausses allégations de fraude peuvent être tout aussi destructrices que la fraude elle-même ».

Tucker Carlson s’est même attiré les foudres d’une frange pro-Trump en devenant critique de Sidney Powell. Dans son émission du 20 novembre 2020, il a annoncé qu’il refusait de recevoir Powell si elle n’apportait pas des preuves solides pour corroborer ses dires.

S’il fallait absolument faire tomber une tête en accompagnement de l’entente conclue avec Dominion, d’autres choix auraient étés plus conséquents. Lou Dobbs, Jeanine Pirro et Maria Bartiromo sont ceux qui ont impartialement soutenu la thèse de Sidney Powell – pas Tucker Carlson. Les textos les plus incriminants sont ceux de la directrice Suzanne Scott – pas ceux de Tucker Carlson.

Comme autre supposition, on avance aussi deux poursuites pour sexisme et harcèlement déposées par l’ancienne productrice Abby Grossberg, qui allégue que les lieux de travail des programmes de Tucker Carlson et de Maria Bartiromo regorgeaient d’exemples de misogynie. Sauf que de nombreux individus sont visés par ses poursuites. Il est donc peu probable que le réseau ait décidé de cibler uniquement Tucker Carlson. L’ancienne animatrice de FOX News Megyn Kelly ne pense d’ailleurs pas que ces poursuites soient solides.

Pour identifier le motif potentiel, il ne faut pas regarder là où pointent les médias. Il faut aussi voir où Tucker Carlson se situe dans le paysage médiatique. Pour le Guardian, c’est « un animateur d’extrême droite qui promeut des théories du complot racistes ». Une ébauche répétée dans beaucoup de médias.

La nouvelle droite conservatrice de Tucker Carlson n’a pas d’équivalent au Québec. S’il fallait absolument faire un parallèle, ce serait avec Mathieu Bock-Côté, dont Carlson serait une version populiste avec accent libertarien. Tandis que Bock-Côté fait l’équilibriste sur la limite de l’acceptabilité médiatique, Carlson l’outrepasse de plus en plus allègrement, s’éloignant de l’orthodoxie Républicaine.

Aux États-Unis, c’est Tucker Carlson qui mène la charge contre le wokisme et l’immigration illégale. Critique de l’establishment des deux principaux partis, il soutient Trump et le mouvement America First/MAGA, mais pas dans l’absolu. Farouchement anti-interventionniste militairement, il a dénoncé la CIA, le FBI et le DHS pour leur corruption. Il expose les manoeuvres déloyales de la classe politique ainsi que le biais et les mensonges des grands médias, exposant l’inversion du réel qu’on retrouve souvent dans le narratif officiel. Il ose même s’en prendre à Big Pharma et au Forum Économique Mondial.

Certes, il arrondit parfois les coins, mais rien de comparable à ce qu’on peut entendre sur les médias fidèles à l’establishment ou de la bouche de Sean Hannity, dont le programme suit sur FOX. On peut ne pas être d’accord avec ses points de vue, mais les reportages de Tucker sont honnêtes.

En mars dernier, il a diffusé des séquences vidéos captées par les caméras de surveillance du Capitole le 6 janvier 2021 [sélectionnées parmi les 44,000 heures que lui avait confiées le leader Républicain de la chambre, Kevin McCarthy], mettant à mal la version répétée en boucle par les médias tout en exposant le manque de rigueur, voire la malhonnêteté du Comité du 6 janvier. L’establishment politique [des deux partis confondus] et la classe médiatique complice l’ont accusé de désinformation. Pourtant, Tucker Carlson ne faisant que montrer d’authentiques séquences vidéo.

Au lendemain de la diffusion, le chef de la majorité Démocrate au sénat Chuck Schumer a appelé au congédiement de Tucker Carlson. Schumer a même spécifiquement interpelé Rupert Murdoch, lui demandant d’empêcher Tucker Carlson de montrer d’autres séquences. En exposant les inconsistances, Tucker Carlson venait de traverser la ligne rouge, activant du même coup le processus de son renvoi.

Depuis, Tucker Carlson a continué de défier l’establishment, recevant en entrevue Donald Trump, puis Elon Musk. Quand Robert F. Kennedy Jr. a lancé sa campagne à l’investiture Démocrate, c’est Tucker Carlson qui lui a offert une tribune, alors que les médias pro-Démocrates l’ont boudé. Dans son monologue du 21 avril, visant Big Pharma, il a abordé la corruption des commanditaires et des médias d’information. Ça peut expliquer pourquoi ce fut son dernier.

Le 20 avril, un témoignage de l’ancien directeur intérimaire de la CIA Michael Morell devant la Commission Judiciaire de la Chambre des Représentants a révélé que la campagne Biden et l’actuel Secrétaire d’État Antony Blinken avaient joué un rôle actif dans la production d’une déclaration publique visant à décrédibiliser le reportage du New York Post sur le laptop de Hunter Biden. Autrement dit, la fausse déclaration signée par 51 anciens responsables du renseignement, sur laquelle Joe Biden s’est appuyée pour discréditer les allégations de Trump lors du débat présidentiel de 2020, était une commande de la campagne Biden. Le but était de supprimer la nouvelle du cycle médiatique dans le dernier droit de la campagne. Une manoeuvre amplement plus grave que toutes les choses reprochées à Trump.

Survenant peu après qu’un sténographe de la Maison Blanche de l’ère Obama ait dénoncé les pots-de-vin de la famille Biden, la nouvelle est explosive – mais sera certainement étouffée par les médias de l’establishment. Celui qui aurait fait résonner cette affaire dans des millions de foyers à heure de grande antenne, c’est Tucker Carlson. La nécessité du sacrifice de ses cotes d’écoute peut s’expliquer ainsi. Tandis qu’une portion grandissante de la population remarque que le récit officiel craque de partout, l’establishment en panique colmate une brèche particulièrement menaçante.

Les monologues de Tucker Carlson faisaient de FOX News un média de masse à part des autres. En le renvoyant, FOX News signale une volonté de rapprochement avec l’establishment Républicain. La droite populiste, libertarienne et anti-système y perdra certes en représentation. Quant à Tucker Carlson, l’avenir dévoilera sous peu de quelle manière il se recyclera. La séparation risque toutefois de nuire davantage au réseau qu’à l’animateur.

Ophélien Champlain

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