Pourquoi une telle déconnexion entre le petit milieu de la culture au Québec et la population?

L’abandon du cinéma par Xavier Dolan a beaucoup fait réagir. Certains se réjouissent, d’autres tentent de l’encourager à s’accrocher. Mais on peut faire un constat, peu importe dans quelle « équipe » on est : il y a un clivage profond entre la population québécoise et le petit milieu de la culture. Clivage qui n’a fait que se creuser depuis une décennie avec le wokisme affiché de nombreux artistes qui créent parfois des œuvres suscitant peu d’enthousiasme. Pourquoi est-ce préoccupant pour l’avenir? Voyons ça ensemble.

On se souvient tous d’un passé pas si lointain qui voyait triompher le cinéma québécois, allant parfois jusqu’à dépasser les recettes des grandes productions américaines. CRAZY, La grande séduction, Les boys, Les invasions barbares, Bon cop bad cop, tous de grands succès critiques et populaires. Mais depuis ce relatif âge d’or, qu’est-ce qu’il s’est passé? Cela fait plusieurs années que nous n’avons pas vu un grand succès populaire sur grand écran. Pourtant, ce n’est pas la quantité de films québécois qui manque.

C’est que les producteurs ont choisi la facilité. Avec des critères sociaux de plus en plus contraignants, avec des militants d’extrême gauche prêts à s’attaquer pour des futilités aux producteurs, ils font des films faciles. Notamment ce que les critiques nomment des « comédies d’été », normalement un film mettant en vedette un ou des humoristes dans un scénario facile avec peu de rebondissements. Le Québec étant probablement le seul endroit sur terre à mettre de l’avant à ce point des humoristes, un genre artistique mineur ailleurs.

Et ce sont habituellement les films qui « pognent » le plus de nos jours. Autrement, nous avons droit à des films d’auteur soporifiques sur les tribulations d’une adolescente vivant dans une petite ville industrielle, ou encore un père divorcé incompétent qui tente vaguement d’entretenir une relation avec sa fille. On pourrait théoriser longuement sur la vision que les réalisateurs projettent de la psyché québécoise dans leurs films. Serions-nous des incapables? Pourquoi les personnages féminins sont héroïques et forts, pendant que les hommes sont des lâches?

En plus de nos jours, les producteurs sont obligés de mettre de l’avant la richesse de notre diversité culturelle, sous peine de subir des sanctions par les organismes fédéraux de subventions, ou encore l’hostilité d’une petite minorité de militants énervants. L’idée n’est plus de mettre des personnages issus de minorités de façon intelligence, mais de cocher des cases comme celles d’une liste d’épicerie.

Bon, il nous faut un couple gai qui souhaite avoir un enfant avec une mère porteuse. Après, il nous faut une femme autochtone forte qui prend l’initiative. Là, ce sont des personnages noirs ou arabes qu’il faut caser. Les hommes blancs québécois? Dans le rôle des corrompus, de ceux qui trompent leur femme (qui joue le rôle principal).

Les gens ne veulent pas voir une liste de critères sociaux, individuels, raciaux et culturels dans leurs séries ou au cinéma. Ils veulent passer un bon moment. À une certaine époque, Pierre Falardeau parlait de cinéma de CLSC, c’est-à-dire des films qui auraient pu être réalisés par des travailleurs sociaux. Avec tous les problèmes de notre société postindustrielle.

Il parlait aussi du film Les invasions barbares comme d’un film « charestiste » sur le système de santé. Un des grands sujets d’actualité depuis des décennies. Grosse nouvelle : non, les réformes Charest, Couillard, Barette et maintenant Dubé n’ont pas réduit le temps d’attente dans les hôpitaux.

Depuis 20 ans, rien n’a changé. C’est même bien pire. Oui, parler d’enjeux sociaux est important, mais cela peut être amené de façon intelligente et subtile. Comme l’a montré La grande séduction qui parle de l’exode rural et des effets délétères de l’aide sociale sur la santé mentale des bénéficiaires. Aujourd’hui les réalisateurs et producteurs n’essaient même plus d’être fins et subtils. On fonce avec un bulldozer pour imposer un point de vue parfois fort contestable.

À force d’imposer des critères de représentativité, avec un univers digne d’un département de travail social du Cégep du Vieux Montréal, on a créé un cinéma qui ne parle plus aux gens ordinaires. Cela explique peut-être pourquoi Xavier Dolan est victime de sa propre idéologie qui ne parle pas au commun des mortels.

Dans un prochain article, nous verrons comment le milieu de la chanson a réussi à se couper de la jeunesse en essayant d’imiter grossièrement ce qui fait ailleurs au lieu de puiser dans la richesse de notre culture pour produire quelque chose d’unique qui touche au cœur.

Anthony Tremblay

Originaire de La Baie, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, Anthony Tremblay a étudié en politique appliquée à l’Université de Sherbrooke. Curieux de nature et passionné par les enjeux contemporains, il a parcouru le monde, explorant des pays tels que l’Indonésie, la Turquie et la Chine. Ces expériences l’ont marqué et nourrissent aujourd’hui ses réflexions sur la crise du monde moderne, les bouleversements technologiques et l’impact croissant des réseaux sociaux. Fort de son expérience d’enseignement de l’anglais en Chine, Anthony conjugue perspectives locales et internationales dans ses analyses. Il réside actuellement à Sherbrooke, où il partage son quotidien avec ses deux chiens.

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