Il y a quelques jours, les sept syndicats des employés d’Hydro-Québec ont lancé une campagne publicitaire pour s’opposer à une éventuelle privatisation de la société d’État. En effet, dans un contexte d’enjeux énergétiques graves – qui sont principalement le résultat de politiques de transition prématurées et aventuristes qui nous mènent droit aux déficits – toutes les options semblent désormais sur la table.
Le slogan de cette campagne est « Mettons nos énergies à la bonne place. Il ne faut pas laisser le privé s’en emparer ». C’est futé, mais il y a un hic. La réalité, c’est plutôt que nous n’avons plus assez d’énergie à mettre, même aux bonnes places.
On peut comprendre l’inquiétude des syndicats et une bonne partie des québécois doivent être d’accord avec eux. La nationalisation de l’électricité et la constitution d’une véritable puissance hydroélectrique par Hydro-Québec à partir des années 60 est souvent associée à l’entrée du Québec dans la modernité. On voit en la société d’État le socle de notre prospérité collective. Les Québécois voient d’un mauvais œil la possibilité d’une privatisation de ce secteur clé de l’économie.
Or dans le cas présent, comme nous l’avons souligné, des politiques de transition agressives nous forcent à trouver des alternatives pour augmenter rapidement nos capacités de production, et les perspectives de privatisation partielle du secteur sont loin d’être aussi déraisonnables qu’on le présente.
D’abord, comprenons bien que les perspectives de « privatisation » envisagées visent plutôt à ouvrir un marché qui n’existe pas réellement en ce moment, à savoir les centrales de production d’électricité trop petites pour même être envisagées comme projet par le géant qu’est Hydro-Québec.
Ce genre de petites productions locales d’énergie existe déjà sur le territoire, mais les entreprises qui les opèrent ne peuvent vendre leur électricité qu’à Hydro-Québec, qui s’occupe ensuite de sa distribution. La part de production du privé n’a d’ailleurs cessé d’augmenter dans les dernières années, notamment dans l’éolien.
Ce qu’on appelle « privatisation » n’implique donc pas nécessairement de démembrer Hydro-Québec et revendre ses mégabarrages au plus offrant, mais simplement de permettre aux petits producteurs de revendre eux-mêmes leur électricité, et en encourager d’autre à multiplier les petites centrales qu’Hydro-Québec n’aurait de toute façon pas construite.
Ainsi, à l’écoute de la publicité des syndicats d’Hydro-Québec, on ne peut s’empêcher de souligner quelques ironies :
D’abord, on entend : « Pour nous, Hydro-Québec, c’est développer l’économie tout en finançant nos services publics ». Pour la partie « financement des services publics » je veux bien, mais Pierre Fitzgibbon nous a déjà informés qu’en raison du tarissement rapide de nos surplus énergétiques, nous ne pourrons même pas connecter la moitié des projets de développement industriels sur notre territoire. Alors pour le développement économique, on repassera. Ça ne représente d’ailleurs que 25% des invesstissements dans le plan de Micheal Sabia.
On entend ensuite que « Pour nous et pour nos enfants, c’est de garder des tarifs d’électricité parmi les plus bas dans le monde ». Eh bien soit ; les politiques de transition actuelles font exploser la demande à un moment où nous avons de moins en moins de surplus. Ça ne prend pas la tête à Papineau pour comprendre que ça aura un impact sur les prix. L’État pourra bien geler les hausses de tarifs pour un certain temps, mais ça va devenir de plus en plus déraisonnable à moins qu’il trouve une manière extrêmement rapide pour stimuler la production. Ce n’est pas pour rien qu’il vous vante désormais la « sobriété énergétique », qui n’est qu’un bel euphémisme pour « austérité énergétique ».
Si ça peut nous éviter de faire notre lavage à 1h du matin, ouvrir un marché de petites centrales privées ne semble pas si ridicule.
La publicité continue ensuite avec : « Pour nous, c’est des projets énergétiques qui respectent nos valeurs ». Ça doit sonner comme de la musique aux oreilles des gens, mais ce sont précisément ces projets énergétiques capricieux poussés par une transition énergétique imprudente qui nous a mené à ce contexte de pénuries potentielles. Il est magnifique de se soucier de nos valeurs, mais il serait peut-être temps de faire les premières pelletées de terre puisqu’à ce rythme, il faudra célébrer nos valeurs dans le noir.
On parle ensuite « d’énergie verte » qui va créer des emplois. La logique est la même que ci-haut, mais rien n’empêche le privé d’investir dans l’énergie verte et de créer encore plus d’emplois. Et de préférence, pas des emplois à 1,4 millions par tête comme ceux de la vallée de la transition énergétique, s’il-vous-plaît. D’autant plus qu’au regard de l’état du réseau de distribution et du travail monumental qui reste à faire pour le remettre à niveau, il semble y avoir encore beaucoup de place à combler dans les rangs d’Hydro-Québec.
On finit ensuite avec l’appel au sentiment classique dans ce débat ; un rappel que nous « avons construit Hydro-Québec ensemble » et que c’est « à nous tous », ce qu’on ne remet certainement pas en question, mais disons qu’avec le tarissement des surplus, c’est comme si nos parts fondaient au soleil.
C’est donc un peu une question de vouloir le beurre et l’argent du beurre. Soit on se donne les moyens de faire la transition énergétique et on explore le potentiel d’un marché privé de petites centrales, soit on allège le fardeau d’Hydro-Québec en allégeant cet agenda politique fanatique qu’est devenu celui de la transition verte.
Les Québécois ont tellement été habitués à l’abondance énergétique pendant des décennies qu’ils en sont venus à prendre l’électricité pour acquise. Et dans tout ça, ils portent un amour inflexible pour le monopole d’Hydro-Québec sur la vente d’électricité. Il est temps de réaliser à quel point le contexte a changé en 2024, et comment radicales devront être les décisions à venir dans le secteur énergétique. Tout n’est pas noir ou blanc ; la privatisation pourrait jouer un rôle bénéfique dans les prochaines années.
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