En 2020, pour faire face à ce que les journalistes appellent pompeusement « l’ère de la post-factualité », plusieurs médias sociaux ont décidé d’apposer une notice dans les publications des médias considérés « contrôlés » par des gouvernements. L’annonce fut généralement bien reçue, mais des années après la mise en place de cette notice, il devenait évident que les seuls médias visés étaient russes, chinois ou en tout cas, non-occidentaux. Tous les équivalents en Occident, c’est-à-dire les médias publics tels que la BBC britannique, PBS aux États-Unis, ABC en Australie, France Radio/France Télévision en France ou CBC/Radio-Canada chez nous, jouissaient d’un étonnant passe-droit. On comprend qu’ils puissent avoir des critères de qualité plus élevés – ce qui est débattable – mais ils demeurent des médias publics relevant de leurs États respectifs et, logiquement, devrait être sujets à la même transparence. Après un appel du chef du Parti conservateur du Canada Pierre Poilievre à Elon Musk plus tôt cette semaine, Twitter a décidé de lever cette exemption pour la CBC/Radio-Canada, ce qui a engendré une levée de boucliers dans la classe journalistique canadienne.

CRTC et déontologie journalistique

La raison de cet outrage est simple : la CBC/Radio-Canada se sent comparée à des organes de propagandes du régime de Poutine ou de Xi Jinping et refuse donc cette notice qui, pourtant, est véridique. Le média est bel et bien financé par l’État canadien ; mais il sent sa réputation entachée dans une sorte de comparaison indirecte.

La notice est aussi une forme d’avertissement pour les usagers et leur rappelle que le contenu de ce média peut être influencé par l’État canadien ou son gouvernement. Évidemment, la CBC/Radio-Canada se sent rabaissée par un tel avertissement et a tenu à défendre son indépendance.

Dans un communiqué, le média public a fait savoir qu’il était financé par des budgets votés par tous les députés, soulignant ici leur aspect non-partisan. Et en termes de normes journalistiques, il a tenu à préciser qu’il était régulé par le CRTC et non par le gouvernement, ce qui assurerait une déontologie journalistique adéquate et une pleine indépendance.

En cas de litiges, un ombudsman indépendant est chargé d’analyser les plaintes, ce qui assurerait encore davantage d’indépendance et de transparence pour le public canadien.

Or, loin de moi l’idée de remettre en cause le professionnalisme du journalisme radio-canadien, ni de le comparer au secteur de l’information en Russie, mais cette défense contient en elle-même les éléments de sa réfutation. C’est-à-dire que c’est précisément dans la loi sur la radiodiffusion qui réglemente le CRTC qu’on a les premiers éléments de biais éditorial sur la CBC/Radio Canada.

Une direction entièrement nommée par le gouvernement

D’abord, commençons par régler un point très simple : si les budgets sont bel et bien votés par tous les députés à la Chambre des Communes, la loi sur la radiodiffusion stipule quand même que le PDG, le président du conseil ainsi que le conseil d’administration du média public doivent être nommé par le cabinet fédéral. Ainsi, le budget est non-partisan… mais toute la direction est susceptible de faire l’objet de nominations partisanes.

Par exemple, la présidente-directrice-générale de Radio-Canada, Catherine Tait, qui termine en ce moment son mandat, a été nommé à ce poste en 2018 par Mélanie Joly, qui était alors ministre du Patrimoine canadien.

Ce n’est un secret pour personne que le pouvoir pour un gouvernement de nommer des gens à des postes clés – en l’occurrence ici à la direction du principal média d’information du pays – constitue un énorme pouvoir qui peut être détourné à des fins partisanes. Si un gouvernement peut s’assurer de placer des gens sensibles à ses politiques au bon moment, il peut s’assurer d’une couverture à son avantage pendant 5 ans.

Une mission fédéraliste et multiculturaliste

Maintenant, la défense de Radio-Canada consiste à dire que de toute façon, ils n’appliquent que les normes journalistiques du CRTC et appliquent rigoureusement la déontologie propre au métier. Ce serait les accuser de manquer de professionnalisme que de les accuser de quelconque biais ou ligne éditoriale imposée d’en haut.

Le hic, c’est qu’encore une fois, c’est la loi sur la radiodiffusion auquel ils font référence qui définit le mandat du CRTC et de la CBC/Radio-Canada. Et ces grandes lignes sont loin, très loin d’être neutres…

En effet, outre les provisions pour s’assurer du bilinguisme des médias au pays et d’une couverture régionale adéquate, la loi stipule aussi le devoir de faire une programmation « principalement et typiquement canadienne », de « contribuer activement à l’expression culturelle et à l’échange des diverses formes qu’elle peut prendre », de « contribuer au partage d’une conscience et d’une identité nationales » et, finalement, de « refléter le caractère multiculturel et multiracial du Canada ».

On pourra débattre toute la nuit pour déterminer à quel point ce mandat est contraignant, à quel point il est tout de même possible d’être indépendant et à partir d’où est-ce qu’on peut commencer à dire que le mandat devient, en soi, une ligne éditoriale. À quel moment ce biais peut devenir malhonnête?

Dans tous les cas, malgré la quantité de nuance qu’on peut apporter, les conséquences de cette ligne sont claires : chez CBC/Radio-Canada, on fait la promotion du fédéralisme canadien et du multiculturalisme.

***

Quand bien même que la chose soit « moins pire » qu’une propagande pro-poutine ou des médias chinois complaisants avec la répression à Hong Kong, ça n’en demeure pas moins un biais clairement définit dans une loi de l’État et appliquée par une société d’État dont la direction est nommée par le gouvernement. La CBC/Radio-Canada aura beau déchirer sa chemise et hurler au scandale, sa mission de consolidation de l’idéal rose bonbon du Canada trudeauiste (père et fils) n’est que trop évidente pour que leur défense soit prise au sérieux. Bravo à Twitter de forcer les médias à agir en toute transparence, et maintenant, on attend la même chose pour la BBC, PBS, ABC, etc.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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