Recherche médicale : une IA accomplit en 100 secondes ce qui aurait pris deux ans de travail

Pour la première fois, l’intelligence artificielle a permis de prédire avec précision le fonctionnement d’un nouveau médicament — et celui-ci pourrait révolutionner le traitement de la maladie de Crohn. C’est ce que rapporte Dorcas Marfo dans un article publié par CTV News le 4 octobre 2025, en citant les chercheurs de l’Université McMaster et du Massachusetts Institute of Technology (MIT).

Ces chercheurs ont mis au point un antibiotique inédit baptisé enterololin, conçu pour cibler uniquement les bactéries nocives présentes dans l’intestin, sans détruire les « bonnes » bactéries essentielles à la santé du microbiome. Cette découverte marque un tournant majeur dans la lutte contre les maladies inflammatoires de l’intestin (MII), notamment la maladie de Crohn et la colite ulcéreuse.

Le professeur Jon Stokes, chercheur principal à McMaster, explique qu’il s’agit « d’une première incursion dans une nouvelle manière d’aborder cette maladie accablante ». Les traitements actuels reposent surtout sur la gestion du système immunitaire, sans s’attaquer directement à la cause bactérienne. Enterololin, lui, viserait une famille précise de bactéries nocives : les Enterobacteriaceae, dont fait partie l’E. coli, souvent liée aux poussées de Crohn.

L’équipe a testé le médicament sur des souris, constatant que celui-ci éliminait les infections sans provoquer la prolifération de souches résistantes — un risque fréquent avec les antibiotiques classiques dits « à large spectre ».

Mais la véritable percée, selon Stokes, tient dans l’usage novateur de l’IA pour comprendre comment le médicament agit. Habituellement, déterminer le « mécanisme d’action » (MOA) d’une nouvelle molécule prend jusqu’à deux ans et coûte environ deux millions de dollars. Grâce à l’intelligence artificielle, ce délai a été réduit à… 100 secondes.

L’étudiante Denise Catacutan, qui travaille sous la supervision de Stokes, a eu l’idée d’utiliser un modèle d’IA baptisé DiffDock, développé au MIT, pour prédire la cible moléculaire d’enterololin. En quelques instants, le programme a identifié un complexe protéique bactérien appelé LolCDE — essentiel à la survie des microbes — comme étant la clé de son action.

Catacutan a ensuite confirmé cette hypothèse en laboratoire. « C’est comme assembler deux pièces d’un puzzle : tout s’emboîte parfaitement », a-t-elle déclaré à CTV News. Le processus, selon elle, devient ainsi « plus fluide, plus rapide et beaucoup moins coûteux ».

Les résultats publiés dans Nature Microbiology suggèrent qu’en combinant IA et microbiologie, il est possible d’accélérer la découverte de nouveaux traitements tout en réduisant massivement les coûts de recherche. Stokes estime que le projet a permis d’économiser jusqu’à 18 mois de travail et de ramener les dépenses à environ 60 000 dollars.

La molécule a déjà été confiée à Stoked Bio, une jeune entreprise fondée par Stokes lui-même, qui espère lancer des essais cliniques sur l’humain d’ici trois ans. Les premières données suggèrent qu’enterololin pourrait également s’attaquer à d’autres « superbactéries » résistantes, telles que Klebsiella, classée par l’Organisation mondiale de la santé parmi les menaces sanitaires prioritaires.

Pour Stokes, cette expérience prouve que l’intelligence artificielle peut jouer un rôle crucial dans tous les aspects des soins médicaux — du diagnostic à la personnalisation des traitements. Il cite notamment les travaux de sa collègue Regina Barzilay, du MIT, dont un modèle d’IA parvient à détecter des signes précoces de cancer du sein invisibles à l’œil humain sur des mammographies.

Le chercheur voit dans ces innovations un moyen de « rendre les soins plus rapides, moins coûteux et mieux adaptés aux patients ». Son objectif reste simple : « Diagnostiquer plus vite, traiter plus efficacement, et permettre aux patients de retrouver plus rapidement une vie normale. »

Cette avancée arrive alors que le Canada fait face à une crise croissante de maladies inflammatoires de l’intestin. Selon une étude internationale dirigée par l’Université de Calgary et publiée plus tôt cette année dans Nature Portfolio, la prévalence de ces maladies pourrait atteindre un pour cent de la population canadienne d’ici 2045, faisant du pays l’un des plus touchés au monde.

Enterololin et la méthode d’analyse par IA représentent donc un espoir tangible pour des centaines de milliers de patients qui vivent chaque jour avec la maladie de Crohn, sans traitement curatif.

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