L’entrepreneur et penseur américain Jordan Hall [aussi connu sous le nom de Greenhall] a formulé la métaphore de « l’Église Bleue » pour désigner la structure d’encadrement social qui s’est imposée en Occident après la seconde guerre mondiale. Il est question d’environnement social à son sens le plus global, incluant la doxa, la sensibilité populaire et la conscience psychologique collective. Sur le plan idéologique, cette Église Bleue se caractérise par la défense des valeurs progressistes, l’ouverture sur le monde, la tolérance envers la différence, l’affirmation de l’individu et une culture de l’hédonisme. Son règne a été marqué par la révolution sexuelle et l’allègement de mœurs. L’Église Bleue est libertaire par sa permissivité pour déroger au modèle traditionnel hérité de l’époque victorienne. Elle ne valorise pas tant la loi et l’ordre que les idéaux de sa révolution culturelle postmoderne.

L’Église Bleue s’apparente au Parti Démocrate américain [et à leurs équivalents dans les autres pays occidentaux]. Elle englobe les institutions académiques, les grosses corporations, les médias de masse et l’industrie du divertissement. Depuis que son régime s’est installé [car il s’agit d’un régime], ce sont les partis progressistes qui font avancer son agenda. Quand elle accède au pouvoir, l’opposition conservatrice ne fait qu’appliquer les freins ou appuyer sur pause. Hall note que même si les administrations Républicaines diffèrent significativement des administrations Démocrates en termes d’orientation politique, « l’impact de ces différences sur la trajectoire réelle du « navire de l’État » est relativement faible ».

Hall explique que l’Église Bleue est indissociable du mode de communication qui a accompagné son avènement et sa dominance. Ainsi, l’Église Bleue est aussi sa propre diffusion, initialement marquée par une forte asymétrie entre le petit nombre de signaleurs et un public potentiellement nombreux durant l’ère des trois grands réseaux de la télévision [ABC, CBS et NBC]. Une dissémination à sens unique avec extrêmement peu de retour. Bien que l’émergence de chaînes câblées ait progressivement élargi le paysage médiatique, c’est vraiment l’avènement de l’Internet qui a défié les faisceaux concentrés de sa diffusion.

À la fin de la décennie 2000, l’accès à Internet est devenu aussi courant que la possession d’un poste de télévision en Occident. Ce moment coïncide avec le début du déclin de l’Église Bleue, qui voit pointer à l’horizon ce que Hall appelle la « Religion Rouge », soit un courant conservateur, populiste et patriotique. Aux États-Unis, elle s’exprime d’abord par l’émergence du Tea Party, puis par celle du mouvement MAGA piloté par Donald Trump – dont l’élection surprise de 2016 fait trembler le régime. Au Royaume-Uni, la victoire du Brexit suscite une panique similaire. Ailleurs en Occident, la montée de mouvements populistes conservateurs inquiète les élites en place. Loin de se limiter à l’arène politique, l’affrontement entre l’Église Bleue et la Religion Rouge se joue en permanence sur les réseaux sociaux, où il prend la forme d’une guerre culturelle de plus en plus clivante.

Ayant porté le féminisme de deuxième vague ainsi que les mouvements pour les droits des noirs et des homosexuels, la contre-culture progressiste et anticonformiste des années 1960 et 1970 est devenue celle de l’establishment. Le sans-frontiérisme scandé par des pionniers du mouvement punk se retrouve dans le discours politique. Idem pour les revendications d’environnementalistes radicaux. Dans le paysage actuel, c’est le conservatisme qui émerge comme une nouvelle contre-culture subversive. Parallèlement, des rockers apparentés à la gauche qui se croient anticonformistes servent de suppôts du régime [peut-être inconsciemment].

Force est de constater que l’atteinte de certains objectifs en matière de justice sociale n’a pas rassasié le vecteur progressiste. Devenu néo-progressiste [ou woke], il prône désormais la déconstruction de tous les repères sociaux au nom de la diversité et de l’inclusion. Même le réel sexué de l’espèce n’est pas épargné. D’ailleurs, rien n’illustre mieux la déchéance de l’Église Bleue que le cautionnement du dogme incohérent qu’est la notion d’identité de genre, ainsi que la novlangue qui s’y rattache. Tout discours affirmant que le sexe diffère du genre faisant aussi allusion au sexe « assigné » à la naissance n’est qu’enfumage ou manipulation.

Sentant son règne menacé, l’Église Bleue a durci le ton. Les médias ont resserré leur contrôle du message, qui est devenu de plus en plus propagandiste. Parallèlement, les opposants ont été dénigrés à coups d’étiquettes de raciste, fasciste, puis complotiste. On a cherché à les exclure du discours public avec des efforts coordonnés pour les bannir des populaires plateformes du web. Tout discours critique s’est vu qualifié de « haineux » ou de « désinformation ». Du coup, après avoir décrié le manque de liberté d’expression dans les régimes autoritaires, voilà que l’Église Bleue s’est transformée en régime de censure – instinct de survie oblige. L’épisode COVID lui a permis d’affirmer un penchant autoritariste et d’en tester la marge de manoeuvre.

La proportion des adeptes de l’Église Bleue demeure élevée mais en déclin. Un nombre croissant de gens se détournent des médias de masse, dont ils perçoivent les tactiques de manipulation. La baisse de cotes d’écoute des galas où des vedettes prennent le micro pour faire la morale au petit peuple [par exemple: les Oscars] est un autre indicateur. Inversement, le populisme et le conservatisme semblent avoir le vent dans les voiles [la popularité des vidéos de Tucker Carlson sur X, le succès des campagnes de boycott contre Bud Light et Target, le retour en force de la musique country].

Selon un sondage réalisé par le réseau ABC, Trump aurait une avance de 51% contre 42% pour Biden dans un éventuel face-à-face. Un nouveau sondage de NBC News révèle que l’approbation de Biden parmi les électeurs noirs est passée de 80% à 63% depuis 2021, soit une chute de 17 points. Le vote des noirs est crucial pour assurer une victoire Démocrate.

Rien n’illustre mieux l’état de panique du régime en place que le traitement réservé à Donald Trump, qu’on tente par tous les moyens de criminaliser et d’écarter de la course présidentielle. Il se présente comme le représentant le plus redoutable de la mouvance désignée comme la Religion Rouge. D’une part, vu qu’il n’est pas issu de la classe politique; mais aussi parce qu’il est hostile à l’establishment Républicain et aux institutions de l’État profond. Jusqu’à présent, les vastes efforts concertés pour miner sa campagne de réélection ne semblent pas affecter sa popularité, bien au contraire. Et l’acharnement contre lui vient encore de s’intensifier. Dans un dernier développement, le juge Arthur Engoron a statué que Donald Trump avait commis une fraude en surévaluant ses actifs et sa valeur nette afin de conclure des transactions ou obtenir du financement. De ce fait, la procureure générale Letitia James veut maintenant interdire à Trump de faire des affaires dans l’État de New York.

Sur fond de climat social acrimonieux, l’Église Bleue demeure néanmoins en position de force, notamment à cause du contrôle qu’elle continue d’exercer sur les institutions. Ce n’est pas la « démocratie » qui est menacée par Trump, mais le régime d’une élite usée et corrompue. Par contre, un régime qui instrumentalise l’appareil judiciaire à des fins politiques partisanes constitue un danger pour la démocratie. Inversion du réel quand tu nous tiens.

Ophélien Champlain

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