Les plaques tectoniques de la politique québécoise ont bougées dans les derniers jours. Alors qu’Éric Duhaime devenait le nouveau chef du Parti conservateur du Québec (PCQ) en avril 2021 sous la risée de certains commentateurs et internautes, son parti connaît une ascension aussi fulgurante qu’inattendue dans les intentions de vote. Selon un récent sondage de la firme Mainstreet, le PCQ récolterait 24% des suffrages faisant de lui la plus forte opposition.
«C’est la première fois qu’on est deuxième, c’est super encourageant !», lance le chef du PCQ en entrevue avec Québec Nouvelles.
Alors qu’aucun grand quotidien n’a fait mention de ces récentes études d’opinion, le vétéran de la politique québécoise ne s’en fait pas particulièrement et préfère plutôt savourer ce qu’il perçoit comme les potentiels fruits du travail acharné de son organisation.
«Je n’ai qu’un demi-employé. Le reste de l’équipe sont des bénévoles qui s’impliquent de temps en temps, rappelle-t-il. On doit encore structurer notre organisation et trouver 80% des candidats qui nous manquent. Nous avons encore beaucoup de travail à faire, un beau chiffre dans un sondage n’est pas forcément synonyme de votes dans une boite de scrutin».
Alors que le PCQ s’est principalement fait entendre comme une voix dissidente des mesures sanitaires « liberticides » dans les deux dernières années, de nombreux analystes ont attribué sa montée dans les sondages à ses prises de position. «Tout le monde croyait qu’on allait s’effondrer avec le relâchement des mesures sanitaires et finalement on monte encore plus vite!», se félicite Éric Duhaime.
Bien que les effets négatifs des restrictions sanitaires ont aidé la progression de sa formation, l’ancien chroniqueur croit que cette poussée s’explique également par les virages progressistes des autres partis de gouvernement.
«Le PLQ se voulait le ‘parti de l’économie’ au début des années 2000 et s’est transformé en QS fédéraliste. La CAQ qui remplaçait l’ADQ se définit désormais comme une gauche efficace. C’est d’ailleurs pour cela que le PCQ existe. Le centre droit a été laissé complètement libre. La nature ayant horreur du vide, nous sommes en train de combler l’espace politiquement», analyse-t-il.
Poursuivant dans sa lancée, le chef conservateur lance alors une flèche acérée en direction de François Legault. «Il a flashé à droite en campagne pour tourner à gauche au gouvernement. C’est ça François Legault ! C’est un péquiste qui essaie de courtiser un électorat de droite».
François Legault est un péquiste qui essaie de courtiser un électorat de droite.
Éric Duhaime
«La mauvaise nouvelle pour lui, c’est qu’il y a maintenant un nouveau parti à sa droite. Il ne peut plus aller à gauche pour tirer des points chez les autres partis, car c’est maintenant du côté droit qu’il perd des plumes», renchérit M. Duhaime en rencontre avec Québec Nouvelles.
Il va sans dire que la CAQ n’est pas insensible à un potentiel déplacement de son électorat et envoie déjà des signaux pour tenter de les rapatrier. «Qui peut penser que la CAQ s’ouvrirait au privé en santé si ce n’était pas de la montée du PCQ ?», pointe ici l’aspirant premier-ministre heureux de faire déplacer la fenêtre d’Overton.
Alors que les Québécois sont pris à la gorge par la hausse du prix de l’essence, Éric Duhaime a été le seul politicien proposant une mesure pour affronter cet enjeu de plein fouet.
«C’est sûr que de suspendre temporairement la TVQ sur l’essence n’est pas une mesure impopulaire !», lance-t-il dans un éclat de rire.
Subissant les effets économiques de la guerre en Ukraine, l’opinion publique québécoise est présentement en mutation sur la question du développement des hydrocarbures. Dans un récent sondage Ipsos commandé par l’Institut économique de Montréal, 52% des Québécois disaient préférer le pétrole Made in Québec.
La tragédie des consommateurs d’essence ne fait pourtant pas tirer l’arme à l’œil des caquistes. Après avoir reçu l’activiste Dominic Champagne à son congrès de mai 2019 et déposé un «budget vert» en 2020, le premier-ministre François Legault entend mettre en place une loi pour bannir l’exploitation des énergies fossiles du territoire québécois ce qui implique même des expropriations d’entreprises en processus d’exploration.
«Le projet de loi 21 envoie un très mauvais signal qui dépasse l’industrie gazière et pétrolière et rejoint l’ensemble des potentiels investisseurs locaux et étrangers. On ne peut pas exproprier comme ça des gens qui ont des droits et vouloir fixer d’avance le montant de dédommagement. Il y a quelque chose ici qui va à l’encontre des droits de propriété qui sont très importants dans une société libre et démocratique. Le gouvernement Legault crée ici un dangereux précédent», s’inquiète Éric Duhaime.
«On va mettre cette loi aux poubelles et faire complètement l’inverse en encourageant le développement de nos hydrocarbures !», affirme-t-il d’un ton confiant.
Grand partisan du projet de gazoduc GNL-Québec au Saguenay, le chef conservateur dit vouloir tout faire pour relancer le projet afin de faire travailler les gens d’ici. Il veut également donner une direction proactive à son futur gouvernement pour l’innovation dans le développement du secteur gazier.
«La transition énergétique ne se fera pas en deux semaines, pointe-t-il. Nous en avons pour 50 voir 60 ans et la question est de savoir ce que nous faisons durant cette période. Préférons-nous importer du pétrole de pays à des milliers de kilomètres de chez nous qui ont des législations environnementales inférieures aux nôtres ou l’on veut faire travailler notre monde dans un endroit avec les réglementations parmi les plus sévères au monde ?»
En plus d’encourager la construction de GNL-Québec, Éric Duhaime maintien son «préjugé favorable aux énergies canadiennes» et permettra aux entreprises albertaines de traverser la province par oléoduc afin d’exporter leur production notamment en Europe actuellement victime du chantage du pétro-État russe. «Je ne veux pas qu’aider l’industrie gazière albertaine, je souhaite que l’on développe la nôtre et que l’on soit en concurrence avec eux et que nous fassions mieux !», précise-t-il au passage.
Le Québec reçoit d’importantes sommes de péréquation annuellement se chiffrant en milliards de dollars canadiens. Alors que la CAQ promettait de libérer la province de son image de boulet économique de la fédération, le virage à 180 degrés sur cette question est équivalent au virage écologiste.
«François Legault voulait mettre fin à notre dépendance à la péréquation et faire du Québec la Norvège de l’Amérique du Nord, rappelle Éric Duhaime. Il y avait même un chapitre entier à ce sujet dans son dernier livre. C’est rendu exactement le contraire, il veut nous empêcher d’exploiter nos ressources».
En plus de ne pas vouloir diminuer le chèque de péréquation, la CAQ pousse la note jusqu’à exiger encore plus d’argent du gouvernement fédéral notamment dans les transferts en santé. Le chef conservateur dénonce cette politique et rétorque que le gouvernement dit nationaliste de François Legault aurait pu plutôt demander des points d’impôt à son homologue gouvernemental. «Les points d’impôt donnent de l’autonomie au Québec. La province peut se financer elle-même, avoir ses propres priorités, ne pas attendre après l’argent d’Ottawa et être soumis aux aléas de la politique fédérale puis aux changements de gouvernement», explique-t-il.
Alors que l’absence d’opposition à la droite de la CAQ a eu comme effet de tirer le parti vers la gauche, il est désormais raisonnable d’espérer que la montée du PCQ marquera le début de la fin de tradition des budgets socialisants auxquels les gouvernements ont successivement habitué les électeurs depuis la Révolution tranquille.
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