Saint-Jean-Baptiste : est-il temps de trouver une nouvelle formule?

Je dois l’admettre, après des années à déplorer par écrit le déclin des célébrations de la Fête nationale et la folklorisation accélérée de notre culture, c’est la première année où je me sens un peu vaincu et, bien franchement, blasé sur la question. Tristement, il semble que j’aie moi aussi fini par succomber au désintérêt et à la lassitude… Pluie ou pas, je n’avais rien prévu de particulier en cette fête des Québécois, et en lisant les comptes-rendus du spectacle sur les Plaines d’Abraham, j’en viens à me demander s’il ne serait pas temps de changer un peu la formule et d’innover.

Est-ce vraiment juste une question de beau temps, de déclin du sentiment national, ou bien de montée d’un puritanisme qui tue le plaisir que les gens délaissent la Saint-Jean, ou bien ne sont-ils pas seulement blasés par l’évènement, qui n’est désormais qu’un « show sur les Plaines » comme un autre? Notre Fête nationale se limite-t-elle vraiment à un spectacle de musique et quelques feux d’artifices? Ça semble extrêmement superficiel comme célébration ; n’y aurait-il pas autre chose à faire pour la célébrer?

Si la Saint-Jean-Baptiste a toujours été célébrée au Québec – et même en France avant cela – la nature des célébrations a varié au cours du temps. À l’origine une célébration païenne du solstice d’été où on célébrait le début de la saison agricole par des feux de joie, la fête fut christianisée et associée à Saint-Jean-Baptiste. Plus tard, sous le joug britannique, les Canadiens français en on fait une fête au caractère identitaire et, ultimement, en ont fait leur fête nationale.

Initialement, la fête se caractérise principalement par un bûcher autour duquel on danse, mais entre le XIXe siècle et le milieu du XXe, on y ajoute des messes suivies de processions religieuses dans toutes les villes et villages. On se réunit ensuite dans des banquets, autour du bûcher, et l’on récite des hymnes et des poèmes vantant les Canadiens français.

Vers la fin des années 1960, les profonds bouleversements sociaux de la Révolution tranquille et, notamment, le rejet de l’Église catholique par les générations montantes rendent les célébrations de la Saint-Jean particulièrement controversées. Les défilés sont pris pour cibles par des activistes politiques, le terme « Canadien français » et rejeté au profit de « Québécois » et l’aspect traditionnel fait place à une esthétique plus moderniste.

Les débordements sont tels qu’on n’organisera plus de défilé à Montréal entre les années 1970 et 1980! La population trouve alors de nouvelles habitudes, et commence à célébrer la fête avec des grands rassemblements populaires et des concerts.

C’est à ce moment que le gouvernement québécois fait officiellement du 24 juin la Fête nationale du Québec. À ce stade, la fête a été totalement sécularisée et on la célèbre d’une manière tout à fait nouvelle – que d’aucuns oseraient qualifier de matérialiste et un peu désincarné.

Pendant les années suivantes et avec l’ascension du mouvement indépendantiste, la Saint-Jean-Baptiste devient hautement politisée, et alterne entre les grands rassemblements de joie et les émeutes. C’est le cas notamment en 1996, où de nombreux commerces sont pillés et même l’Assemblée-Nationale se retrouve vandalisée!

À l’époque, on fait encore « le party » pas mal fort sur les plaines, et on fait encore brûler un grand bûcher. On a, d’ailleurs, tous entendu parler de cette histoire de « gars sur le PCP » qui est mort brûlé en s’y approchant trop… Bref, la fête était devenue particulièrement chaotique. À l’époque, la solution proposée à ce problème est de ne pas confronter les fêtards, mais plutôt être tolérants et les encadrer pour éviter les débordements. On prolonge aussi le spectacle plus tard dans la nuit afin de les occuper.

De la sorte, au début des années 2000, la Saint-Jean devient le seul moment de l’année où les gens sont autorisés à boire et prendre des substances sur la voie publique ; les policiers ne font que circuler pour distribuer des verres en plastiques et se débarrassent des bouteilles en vitre avec le sourire. Sur les Plaines d’Abraham, les gens font des feux de camps, s’installent des tentes. Les rues sont noires de monde, partout dans le vieux Québec, sur les murailles, sur les plaines…

La célébration, quoiqu’un peu trop décadente et complètement détournée de son sens national et religieux originel, atteint des sommets de participation. Des gens se déplacent de partout dans la province pour rejoindre la Capitale ; les autobus sont complètement pleins à partir de Pointe-Sainte-Foy, au point où certains fêtards fraîchement débarqués de Montréal doivent faire le reste du chemin vers le centre-ville à pied!

Et puis vint Labeaume qui, on le sait, restreindra considérablement les célébrations et interdira aux gens de consommer leur propre alcool en enfermant les festivités dans un secteur surveillé étroitement par la police. Depuis ces nouveaux règlements en 2011, les célébrations sur les Plaines ont été en net déclin année après année.

De nos jours, on a bel et bien renoué avec les défilés à Montréal, mais pour ce qui est de Québec, on semble organiser la Saint-Jean par automatisme, comme une routine un peu lassante. On n’organise qu’un spectacle avec une belle brochette francophone : et voilà! On ne se donne même plus la peine de faire un bûcher. La fête nationale sent le préchauffé… C’est comme si on n’essayait plus vraiment… on a jeté la serviette.

On peut bien passer son temps à blâmer le mauvais temps, il faut quand même reconnaître qu’un mini Festival d’été d’un soir en version Wish francophone n’est peut-être plus aussi attractif que ça l’était il y a quelques années. Les goûts et les intérêts de la population changent. Il y a lieu de se demander si la culture festivalière a fait son temps, ou en tout cas si on n’en est pas rendu un peu blasé.

En regardant ça aujourd’hui, je me pose donc simplement la question : tout comme la Saint-Jean a profondément changé à la fin des années 60, en sommes-nous arrivés à une époque similaire où les célébrations, pour survivre, devront radicalement être changées? Devrions-nous en revenir aux célébrations traditionnelles? Devrons-nous en créer de nouvelles? Dans tous les cas, j’ai beaucoup de misère à croire que les festivités puissent se perpétuer bien longtemps dans leurs modalités actuelles.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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