Taxe carbone : le Bloc est-il un parti fédéraliste?

Depuis quelques jours, les railleries fusent contre le Parti conservateur du Canada qui, dit-on, aurait essayé de convaincre les Québécois qu’ils sont affectés par la taxe carbone fédérale alors qu’elle ne s’applique pas au Québec, qui a plutôt choisi la mise en place d’une bourse du carbone. Dans ces circonstances, le Bloc Québécois a choisi de voter contre une motion conservatrice appelant à suspendre la taxe carbone pour le chauffage résidentiel, qui était surprenamment soutenue par le NPD, qui faisait pour une première fois faux-bond au gouvernement Trudeau, auquel il est censé être allié.

En d’autres mots, le Bloc Québécois est venu sauver la peau à Justin Trudeau à un moment où tout le reste du pays se liguait contre lui, et par la bande, a privé d’un allègement tarifaire le reste des familles canadiennes alors que cette motion n’avait carrément aucun impact pour le Québec… La question se pose quand même : si ça ne concerne pas le Québec, quelle mouche a piqué les bloquistes d’aller mettre leur nez dans les affaires du ROC comme ça?

La moindre des choses aurait été de s’abstenir de voter sur la question.

Si le Bloc veut être conséquent et ne s’occuper que d’enjeux québécois, il n’avait qu’à laisser le ROC décider pour lui-même. Mais non. Quand vient le temps de faire du signalement de vertu à Ottawa, le Bloc devient étrangement fédéraliste et intéressé par les questions canadiennes.

Dans la foulée de cette motion, on a vu des députés bloquistes se plaindre comme des bébés lalas que « pendant ce temps-là, l’opposition officielle, elle ne fait pas son travail pour les Québécois ». Il faudrait peut-être arrêter de se regarder le nombril et réaliser qu’évidemment, tout ce qui est discuté à Ottawa ne touche pas nécessairement le Québec. Franchement.

Et après, on utilisait à outrance l’argument que c’est l’Alberta qui coûte cher au Québec, elle qui reçoit 24 milliards de redevances pour ses hydrocarbures. Eh bien, voilà le coût d’être une province dépendante de sources extérieures d’énergies parce qu’elle se refuse – encore une fois par signalement de vertu – d’exploiter ses propres hydrocarbures.

Mais évidemment, la situation était une occasion pour nos adeptes de chauvinisme mal placé de vanter l’écologisme des Québécois, en affirmant des absurdités telles que « contrairement aux conservateurs, nous ce qu’on a fait au Québec c’est qu’au lieu de considérer ça comme un coût, la transition énergétique, on considère ça comme un investissement. Et donc on est passé à l’hydroélectricité, on a investi dans les éoliennes, on a investi dans le stockage de l’énergie. Aujourd’hui, on est fiers de ça, c’est une expertise qui rend le Québec fier, on l’exporte et on s’est enrichi. »

Quelle absurdité : le Québec n’est pas « passé à l’hydroélectricité » en raison de la transition énergétique du tout! La majorité de ces infrastructures ont été construites le siècle dernier. Et le comble de l’ironie, c’est qu’aujourd’hui, la transition énergétique radicale qu’on s’impose fait en sorte que notre prospérité énergétique s’est érodée au point où on risque les pénuries, et on réalise qu’on n’aurait peut-être pas dû exporter aux États-Unis et qu’on doit débourser des milliards pour mettre nos infrastructures à niveau plutôt qu’engendrer de la richesse!

Le Bloc vit-il encore dans les années 70? Je peux bien comprendre qu’on puisse voir la ruée aux milliards dans le green washing comme un « investissement, mais de là à dire qu’on s’est enrichi avec la transition est une affirmation pratiquement orwellienne. C’est complètement le contraire à l’heure actuelle.

Maintenant, on en voit déjà partager des exemples de Québec bashing sur les réseaux sociaux suite à cette interférence québécoise dans une mesure qui visait à aider les citoyens canadiens en une période économique déjà difficile.

J’ai beau détester le Québec bashing, mais franchement, sur cet enjeu, on l’a bien cherché.

Imaginez simplement être une famille du fin fond de la Saskatchewan qui a de la misère à joindre les deux bouts et qui s’inquiète des montants qu’elle devra débourser pour se chauffer cet hiver. À gauche comme à droite du spectre politique, on s’entend qu’il faudrait suspendre la taxe carbone, et une motion est déposée au Parlement en ce sens. Quelle bénédiction! Et tout à coup, des Québécois qui n’ont même pas à payer cette taxe viennent trancher pour ceux qui doivent la payer et disent non!

Il faut avoir du front tout le tour de la tête!

Et comme avec toutes les politiques du Bloc – ou des souverainistes en général – on finit toujours par se demander s’il n’y a pas une sorte de stratégie machiavélique derrière tout ça. Pourquoi supporter Trudeau contre Poilievre et le NPD? Qu’est-ce qu’ils ont à y gagner? Veulent-ils s’assurer de paraître plus écolos que le NPD? Préfèrent-ils un Trudeau détesté et qui représente une adversité plus traditionnelle entre le fédéral et le Québec qu’un Poilievre qui pourrait gagner des points dans un Québec caquiste un peu populiste?

Veulent-ils simplement emmerder le reste du Canada, faire augmenter le Québec bashing et, conséquemment, l’appui à la souveraineté? Avec les souverainistes, cette option est loin d’être farfelue… Certains en viennent à carrément se réjouir de voir du Québec bashing parce que ça consolide leur option politique.

Je suis moi-même nationaliste et je reconnais que pour faire de la politique, il ne faut pas hésiter à se salir les mains. Mais est-ce qu’on peut s’entendre que s’attaquer au portefeuille des familles canadiennes et à leur capacités de chauffer leur logement durant l’hiver, c’est cheap sans bon sens.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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