Transports collectifs : entre idéalisme et patinage vertuiste à la CAQ

En affirmant cette semaine que les sociétés de transport collectif québécoises devront « se serrer la ceinture », le gouvernement Legault a jeté un pavé dans la mare de la sacro-sainte « mobilité durable » qu’il prétend pourtant mettre de l’avant. Les critiques fusent désormais de toutes parts pour dénoncer cet acte qui, prédit-on, viendra décourager les gens à prendre le transport en commun. Pourtant, avec des déficits de 2,5 milliards prévus d’ici cinq ans, les arguments des sociétés de transport semblent ténus.

Qu’on se le dise, la « mobilité durable » est devenue un dogme incontestable dans la politique en 2023. La moindre remise en doute est taxée d’hérétisme et vivement combattue. Le nouvel idéal de nos temps « modernes », c’est d’abandonner les voitures, s’entasser dans des wagons ou faire du « transport actif » (c’est-à-dire suer à vélo pour se rendre au travail).

Dans ce qu’on présente comme un impératif d’abandonner l’automobile, les politiques municipales semblent de plus en plus axées vers le contrôle de nos déplacements. Tous les investissements devraient viser à nous décourager de circuler librement en voiture, même lorsqu’il s’agit de jeter de l’argent par les fenêtres à coup de milliards de dollars.

Ainsi, dans un billet passionné en réaction à la récente sortie du gouvernement contre les sociétés de transport, un journaliste du Journal de Montréal écrivait ce genre d’ineptie :

« Encore plus ridicule, c’est la rhétorique caricaturale de la «capacité de payer des contribuables». Concept ridicule, trompeur, qui révèle une réelle idéologie au gouvernement, au-delà du «on aime le transport en commun». S’est-on questionné de cette «capacité de payer» pour Northvolt? General Motors? Les nouveaux barrages? Le nouveau-vieux-nouveau troisième lien? La baisse d’impôts? Les chèques envoyés? »

Ce journaliste apparemment « moderne » et préoccupé par la crise climatique s’est-il questionné deux secondes au sujet de ces investissements? Il aurait réalisé que la majeure partie de ceux-ci résulte justement des impératifs déraisonnables de la transition verte qu’il défend pour la mobilité durable.

C’est PARCE QUE le gouvernement est particulièrement agressif dans son agenda vert que tous ces investissements ont été faits.

(Pour ce qui est de « la baisse d’impôts », ça témoigne d’une drôle de conception de ce qu’est l’impôt et l’investissement de la part de monsieur. Enfin…)

Il n’y a pas si longtemps, d’ailleurs, le ministre de l’Économie, de l’Énergie et de l’Innovation Pierre Fitzgibbon nous disait qu’il faudrait éventuellement se départir d’au moins la moitié du parc automobile, signant par le fait même une inquiétante prédiction, qui prenait des airs d’écartèlement de la fenêtre d’Overton, comme pour nous préparer au pire…

D’un autre côté, tant du côté fédéral que du provincial, on investit à coups de milliards dans l’implantation d’usine de batteries sur notre territoire, forcés de compétitionner avec le Inflation Reduction Act américain, qui fait gonfler artificiellement les incitatifs gouvernementaux nécessaires pour attirer les entreprises.

Et si on investit autant dans les batteries, c’est évidemment pour faciliter la production de voitures électriques pour remplacer les voitures à essence qu’on veut bannir en 2035.

Bref, tous ces investissements ne viennent pas tant d’une demande organique du marché ; ils sont essentiellement poussés par les contraintes réglementaires qui sont imposées partout en occident. En bannissant unilatéralement un produit, on crée un immense vide à remplir qui crée une ruée vers les investissements, pour le meilleur et pour le pire.

Et en bout de ligne de tout ça, on a la pression d’abandonner carrément les voitures au profit du transport en commun, ce qui viendrait en quelque sorte nuire au retour sur investissement dans l’électrique. Sans compter la baisse d’achalandage des dernières années, qui est loin de confirmer un réel intérêt pour le transport en commun dans la population.

On nous présente évidemment des chiffres témoignant d’une remontée d’achalandage, comme dans une lettre ouverte de la directrice générale de Trajectoire Québec et une professeure de l’UQAM dans La Presse : « À Laval, on observe des pics d’achalandage de 103 % les fins de semaine, par rapport à 2019. À Sherbrooke, pour les mois de juin et juillet, il y a eu une moyenne mensuelle de 116 % et 120 % d’usagers et usagères par rapport à l’ère prépandémique. À Montréal, l’utilisation des autobus et du métro s’approche rapidement de leur pleine capacité, avec une croissance d’environ 2 % par mois récemment observée. »

Tout cela est bien beau, mais on en vient à se demander ce que signifie un achalandage normal. Dépasse-t-on le 100% dès que tous les sièges sont occupés, ou bien nous rendons-nous jusqu’aux « pousseurs » dans les métros de Tokyo, qui poussent les gens entassés pour pouvoir fermer les portes?

Je joue la naïveté, évidemment, mais la question me semble vraiment légitime. Qu’est-ce qui fixe un achalandage normal dans les transports en commun, considérant que dans la majorité du monde, la norme est définitivement à l’entassement. Qui fixe cette limite arbitraire? Ne sommes-nous pas en train de poursuivre une chimère lorsqu’on lance ces chiffres en l’air comme ça? Le transport en commun peut-il réellement être confortable ET rentable? Ou n’est-il pas plutôt un mal essentiel pour les gens moins nantis? Poser la question, c’est y répondre.

On nage en plein idéalisme avec des images de villes futuristes avec de beaux wagons propres et spacieux. La réalité, c’est que le transport en commun demeurera toujours à la limite de ses capacités, et les heures de pointe existeront toujours.

Par exemple, à Québec, l’un des arguments pour le tramway est que le trajet des métrobus 800 et 801 est à la limite de ses capacités. Est-ce vraiment le cas? Est-ce vraiment si dramatique? On n’en a pas vraiment l’impression pour être honnête. Les bus sont pleins dans les heures de pointes, comme ça a été le cas durant les dernières décennies. Certains restent debout au centre. « Big Deal »… Et encore une fois l’achalandage a baissé depuis la pandémie.

Mais désormais, ce n’est plus simplement pour répondre à la demande de service qu’on veut maintenir des investissements faramineux dans le secteur, c’est aussi pour être attractif et encourager les gens à abandonner leur voiture. Vous voyez à quel point cet objectif est flou, déraisonnable et comment on peut justifier à peu près n’importe quel montant avec ça?

Tous les milliards du monde ne pourront jamais faire s’équivaloir la voiture et le transport en commun. Aussi simple que ça.

Et c’est bien beau de rappeler à l’ordre le gouvernement Legault sur les objectifs inscrits dans son Plan pour une économie verte, mais entre la transition énergétique qui pose des problèmes de sécurité énergétique, la dynamique de chantage dans les investissements gargantuesques pour les usines de batteries, les milliards pour des projets de tramway et de REM, les constantes moralisations et menace de réduction du parc automobile, leur tarification toujours plus outrancières, disons que les déficits prévus des sociétés de transport commencent à être la goutte qui fait déborder le vase pour une population qui a de plus en plus de misère à joindre les deux bouts.

En tant que journaliste, se moquer de notre capacité de payer en tant que contribuables dans la situation économique actuelle n’est pas simplement indélicat, c’est carrément enfantin et honteux. Et aucune vertu environnementaliste ne saura vous excuser de cette digression méprisante.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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