En l’espace de quatre jours, Donald Trump a parcouru le Moyen-Orient comme peu de dirigeants occidentaux avant lui. Accueilli avec faste à Riyad, Doha et Abou Dhabi, le président américain a tenté un pari audacieux : remettre en mouvement plusieurs des dossiers les plus inextricables de la diplomatie internationale. De la Syrie à l’Iran, de Gaza à l’Ukraine, son offensive médiatique et politique a été menée tambour battant. Rarement une telle accumulation de gestes, de signes, de prises de position et d’accords n’aura été concentrée dans un laps de temps si court. Si la stratégie de Trump est parfois improvisée, elle n’en est pas moins cohérente : désamorcer les conflits sans passer par les protocoles multilatéraux classiques, et rebâtir des rapports de force plus pragmatiques, autour d’intérêts clairs et d’acteurs résolus. C’est cette vision qui sous-tend ce que d’aucuns décrivent déjà comme un « tour du chapeau géopolitique ».
Une fois encore, c’est à Riyad que Trump a choisi d’ouvrir le bal. Comme en 2017, l’accueil a été somptueux, orchestré pour flatter l’égo d’un homme qui conçoit la diplomatie à l’image d’une négociation d’affaires. Escorté par des F-15 saoudiens, salué par des gardes chameliers et servi par des hôtes en ceinturons d’apparat, le président américain a retrouvé un prince héritier réhabilité : Mohammed ben Salmane. Ensemble, ils ont signé une série de contrats d’une ampleur colossale, prévoyant jusqu’à 600 milliards d’investissements saoudiens aux États-Unis. Trump, jamais avare de superlatifs, a même évoqué un objectif d’un « trillion de dollars ». Mais derrière les dorures, l’essentiel était ailleurs : dans le virage diplomatique que Washington opère, en choisissant de faire de Riyad le nouveau pivot de sa stratégie régionale.
L’évocation des Accords d’Abraham, relégués au second plan depuis le carnage du 7 octobre 2023, fut un autre moment fort. Trump a publiquement appelé l’Arabie saoudite à reconnaître Israël, dans « son propre temps ». Une manière de ranimer une dynamique gelée, sans heurter de front les sensibilités arabes, en particulier la question palestinienne. Contrairement à l’approche de Biden, fondée sur la création d’un État palestinien, Trump propose une diplomatie de contournement, fondée sur des récompenses concrètes. La paix, selon lui, passe par des deals, non par des illusions. C’est là un des axes majeurs de sa politique : l’abandon du paradigme moraliste au profit d’un réalisme assumé.
Ce pragmatisme s’est manifesté avec force dans le dossier iranien. Depuis Oman, les émissaires américains ont transmis une proposition de compromis : suspension de l’enrichissement pendant trois ans, retour à un seuil de 3,75 %, fourniture de combustible par la Russie, supervision internationale, et levée progressive des sanctions. Trump, qui s’était retiré de l’accord de 2015, joue ici une partition audacieuse : il veut restaurer un cadre d’entente, sans apparaître faible. Il fustige les « armes atomiques » tout en assurant qu’il ne provoquera pas de « nuages radioactifs » au-dessus de l’Iran. Si l’accord aboutit, ce sera une victoire diplomatique majeure, d’autant plus que les Israéliens en ont été tenus à l’écart. Téhéran, de son côté, négocie avec prudence, consciente que la levée des sanctions est vitale pour son économie effondrée.
Mais c’est justement ce décalage croissant avec Tel-Aviv qui soulève les interrogations. Non seulement Trump a choisi de ne pas inclure Israël dans son itinéraire, mais il a multiplié les signes de distance. Lors d’une rencontre avec des hommes d’affaires à Abou Dhabi, il a même évoqué la possibilité que les États-Unis prennent le contrôle de Gaza pour y créer une « zone de liberté ». Plus encore, il a publiquement déclaré : « les gens meurent de faim à Gaza, nous devons faire quelque chose ». Ce discours tranche radicalement avec celui de 2018-2020. Si Trump reste un allié de principe d’Israël, il semble déterminé à ne plus subir le tempo de Netanyahu, et à reconquérir une base conservatrice plus isolationniste, plus critique envers les « guerres éternelles ».
Ce réajustement est illustré par la véritable surprise de la semaine : la rencontre avec Ahmad al-Sharaa, nouveau président par intérim de la Syrie, ex-chef rebelle et islamiste modéré, qui a renversé Assad fin 2024. En levant les sanctions contre Damas, Trump tourne une page entamée en 1979. Il reconnaît de facto un pouvoir encore controversé, au nom de la stabilité. Le message est limpide : si vous prenez le contrôle de votre pays, si vous faites barrage à l’Iran, vous pouvez redevenir fréquentables. Cette doctrine du « réalisme nationaliste », exposée à l’ONU en 2019, s’applique ici avec force. Peu importe le passé, ce qui compte, c’est l’ordre.
Enfin, à Istanbul, Trump tente l’impossible : faire parler la Russie et l’Ukraine. Pour la première fois depuis trois ans, des délégations se sont rencontrées. Si la réunion fut brève (90 minutes), elle a permis l’échange de 1 000 prisonniers de chaque côté. Un geste symbolique, mais réel. Zelenskyy accuse la Russie de négocier sans sincérité, tandis que Poutine refuse encore toute rencontre directe. Trump, de son côté, continue de miser sur une rencontre au sommet : « rien ne se fera tant que Poutine et moi ne nous parlerons pas ». Une médiation à l’ancienne, personnalisée, où tout repose sur la force de persuasion d’un seul homme.
Le tour du chapeau diplomatique est-il complet? Non. Aucun des dossiers ouverts n’est vraiment réglé. Mais tous ont avancé. La même semaine, Trump a réussi à consolider ses alliances arabes, réactiver l’esprit des Accords d’Abraham, amorcer un accord avec l’Iran, normaliser la Syrie, initier un dialogue russo-ukrainien et prendre ses distances avec Israël sans rompre. C’est un exploit en soi. Le monde arabe l’accueille comme un partenaire sérieux, la Russie le reconnaît comme un interlocuteur indispensable, l’Iran hésite mais n’insulte pas l’avenir.
Ce que Trump a esquissé au Moyen-Orient n’est pas encore la paix. Mais c’est une architecture possible. Réaliste, asymétrique, brutale parfois, mais fonctionnelle. Dans un monde déstabilisé, c’est peut-être la seule voie encore praticable. Et c’est celle qu’il tente, en joueur de poker plus qu’en stratège classique. S’il réussit, il aura mérité son Nobel. Sinon, il aura au moins démontré que l’inaction, elle, n’a jamais été une option.
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