Ukraine et ex-Waffen SS : la nécessité de prendre un pas de recul

La récente controverse autour de l’hommage rendu à un ex-Waffen SS est un rappel cruel qu’en ce qui concerne les relations étrangères et plus particulièrement l’Ukraine, il est parfois nécessaire de prendre un pas de recul. S’il faut définitivement s’opposer aux agressions et à la propagande russe, il faut aussi faire attention à ne pas tomber soi-même dans un narratif qui deviendrait négligeant, propagandiste et manichéen.

Justin Trudeau et Anthony Rota ne sont pas les seuls à ne pas avoir remarqué ce que « combattre les Russes pendant la deuxième guerre mondiale » voulait dire sur le coup ; tout le monde à la Chambre des communes a applaudi et la majorité des commentateurs ont d’abord analysé la venue de Zelensky comme un bon coup de Trudeau après une semaine difficile dans les relations Inde-Canada.

Je dois le reconnaître, j’ai écouté l’évènement en direct, et dans un moment de distraction, je n’ai pas relevé ce détail.

Mais voilà, c’est dans l’air du temps de détester la Russie et insister sur son comportement prédateur pour rappeler la légitimité du combat ukrainien, de sorte qu’on a invité un vieil homme qui a bel et bien dû subir le joug soviétique et qui, quoiqu’on en pense, devait avoir ses raisons de rejoindre des unités allemandes pour le combattre. L’histoire ukrainienne est extrêmement brutale et cruelle, faite de déchirements, de famines, de prédations impériales, etc. Ainsi, en voulant souligner la résilience du peuple ukrainien, une bourde a été commise ; on n’a pas pensé *avec qui* il combattait les Soviétiques et en quelle année…

Bref, c’est dans les jours d’après que les gens ont remarqué de quelle unité militaire il s’agissait…

Et déjà, si ce n’était qu’une faction de partisans, de résistants, ou d’une unité d’une armée régulière, mais non, il s’agissait carrément de la Waffen SS Galicie! Une unité bien connue pour ses crimes de guerre et ses râfles de juifs. L’affaire ne pouvait désormais que virer au fiasco.

C’est un dur rappel que l’histoire de la région est plus complexe qu’il n’y parait et que la prudence est de mise quand vient le temps de se positionner.

Évidemment que la propagande russe exagère en dépeignant l’ensemble du pays comme nazi! Mais il y a quand même un historique de présence nazie en Ukraine, et la présence de groupes fascistes violents tels que le bataillon Azov était très bien connu avant l’intervention russe de février 2022.

Je me souviens avoir pris conscience du phénomène en 2017 dans un documentaire au sujet de lynchages de russophones par des groupes paramilitaires fascistes ukrainiens ; il n’y avait absolument rien de controversé dans le fait de rapporter ces faits.

Pour ce qui est du support ukrainien aux Allemands pendant la deuxième guerre, il faut d’abord prendre en considération l’Holodomor et la Grande Terreur qui précédait les évènements. Le « génocide par la faim » de Staline, ses déportations, ses collectivisations, ses râfles de koulaks, etc.

Sans pour autant excuser les crimes contre l’humanité commis par des unités comme la Waffen SS Galicie, ces évènements aident à comprendre pourquoi une partie de l’Ukraine a pu accueillir les Allemands comme des libérateurs au point de rejoindre leurs rangs.

Ça ne veut pas dire pour autant que l’Ukraine d’aujourd’hui a besoin d’une dénazification et que l’intervention russe est justifiée, mais nier cet historique et la persistance d’une extrême droite littéralement fasciste encore aujourd’hui en Ukraine serait de mauvaise foi. Et le nier au point de vouloir censurer cette information et traiter ceux qui la partagent de complotistes pro-Poutine n’aide certainement pas à se faire une tête sur ce conflit déjà complexe.

C’est donc dans ce contexte où la moindre critique du support aveugle à l’Ukraine est vu comme une trahison que l’entièreté de notre classe politique a fini par se piéger elle-même. À force de ne pas poser de questions et supporter coûte que coûte la position la plus russophobe possible, notre parlement a fini par rendre hommage à un nazi, donnant tristement raison à Poutine.

Résultat? Des organisations juives demandent des excuses, la Russie demande des excuses, la Pologne parle carrément d’extradition, le président de la Chambre de Communes Anthony Rota a dû démissionner, Justin Trudeau a dû s’excuser… Même du Canada, il trouve le moyen de nuire à nos relations étrangères!

C’est le Canada en entier qui passe pour un clown sur la scène internationale, et dans une certaine mesure, tout le camp occidental pro-Ukraine.

On analyse surtout la chose comme une énième défaite de Trudeau qui s’ajoute à une litanie de faux pas diplomatiques, mais il faudra aussi en tirer la leçon que la prudence est toujours de mise quand vient le temps de prendre un camp dans un conflit à l’international, et la limite est très mince entre le soutien à un combat et la propagande d’un soutien aveugle.

On peut très bien soutenir l’Ukraine tout en demeurant réaliste et en se gardant le droit de s’informer sur les particularités parfois dérangeantes de sa politique interne et ses rapports avec la Russie. On serait ainsi un peu plus préparé au genre d’éventualité auquel on a assisté cette semaine.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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