Dans un contexte où la question de l’immigration et de l’équité judiciaire soulève de plus en plus de controverses au Canada, certaines décisions de tribunaux viennent raviver le débat sur l’égalité devant la loi. Lorsqu’un crime est commis par un étranger, la justice doit-elle adapter sa sentence pour éviter une expulsion jugée trop sévère, ou au contraire appliquer la loi avec la même rigueur que pour un citoyen canadien ? C’est précisément le dilemme qu’a illustré un récent jugement rendu en Ontario. En effet, le journaliste Chris Lambie rapporte dans le National Post qu’un juge ontarien a tenu compte des « conséquences en matière d’immigration » avant de condamner un ancien étudiant étranger reconnu coupable d’avoir espionné ses colocataires féminines dans leur salle de bain. Le verdict, rendu par la Cour de justice de l’Ontario, a suscité un vif débat sur la clémence judiciaire accordée aux non-citoyens lorsque leur statut migratoire est en jeu.
Une affaire de voyeurisme sordide
Selon le compte rendu de Chris Lambie, Aswin V. Sajeevan, un ressortissant indien âgé de 20 ans vivant à Barrie, a plaidé coupable à quatre chefs d’accusation de voyeurisme après avoir espionné et filmé ses colocataires féminines « dans divers états de nudité » sur une période d’environ six mois. L’enquête a révélé qu’il avait percé un trou entre la buanderie et la salle de bain de la maison qu’il partageait avec 11 autres personnes, afin d’observer les femmes à leur insu.
Les victimes ont découvert la supercherie après avoir constaté que le trou — rebouché à plusieurs reprises — revenait sans cesse. Le 11 mars 2025, l’une d’elles a surpris Sajeevan accroupi dans l’obscurité, observant par le trou une colocataire nue. Malgré ses dénégations initiales — il prétendait chercher ses écouteurs —, l’accusé a fini par admettre les faits.
Les ravages psychologiques sur les victimes
Le juge Craig A. Brannagan a souligné dans sa décision, datée du 2 octobre 2025, l’ampleur du traumatisme subi par les victimes : anxiété, méfiance envers les hommes, peur d’utiliser des toilettes publiques ou des vestiaires. L’une d’elles a confié avoir « vécu un véritable cauchemar » et ne plus pouvoir faire confiance à ses proches.
Le tribunal a estimé que ces actes avaient eu un « effet glaçant » sur les victimes, les poussant à modifier durablement leur comportement par crainte d’être à nouveau observées. Le juge a qualifié le voyeurisme de crime « sinistre », puisqu’il viole l’intégrité et la sécurité d’autrui « dans des lieux où les victimes s’attendent à être en sécurité ».
Une peine modulée pour éviter l’expulsion
Chris Lambie rapporte que la fourchette « appropriée » pour ce type de délit se situait entre six mois et un an d’emprisonnement. Or, la sentence finale s’est établie à cinq mois et demi de prison — juste en deçà du seuil qui, en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, aurait rendu Sajeevan « inadmissible pour grande criminalité » et donc expulsable du Canada.
Le juge Brannagan a reconnu que ces considérations ne constituent pas, en soi, des facteurs atténuants, mais qu’elles relèvent de la situation personnelle de l’accusé et doivent être prises en compte : « La prise en compte des conséquences collatérales, y compris celles liées à l’immigration, est obligatoire, non facultative. »
Ainsi, bien qu’il ait considéré que le crime exigeait une peine d’emprisonnement ferme, le magistrat a choisi de rester en deçà du seuil de six mois pour éviter ce qu’il a décrit comme des « conséquences disproportionnées ». Sajeevan purgera également 18 mois de probation.
Le refus de l’assignation à domicile
La Cour a rejeté la recommandation conjointe de la défense et du ministère public, qui proposaient une peine de douze mois avec sursis. Le juge Brannagan a jugé qu’une telle sanction « ferait perdre confiance au public dans l’administration de la justice », rappelant que les crimes avaient été commis à l’intérieur même du domicile de l’accusé, contre les personnes avec qui il vivait.
Selon lui, le confinement à domicile aurait été « totalement détaché de la réalité » et incapable de prévenir d’éventuelles récidives.
Une décision qui soulève des questions
L’article du National Post cite des précédents récents ayant suscité des débats similaires sur les « rabais de peine » accordés pour des raisons d’immigration. Cette jurisprudence, de plus en plus invoquée, met en lumière la tension entre le principe d’égalité devant la loi et la prise en compte du statut migratoire.
Dans ce cas, le juge Brannagan a affirmé avoir agi dans le respect de la jurisprudence canadienne ; toutefois, de nombreux observateurs estiment qu’une telle approche revient à créer une justice à deux vitesses, où les non-citoyens obtiennent des sentences plus légères pour éviter l’expulsion.



