Un réveil nationaliste en fin de campagne?

À moins de quatre jours du scrutin fédéral, un message publié en majuscules sur la page Facebook de Paul St-Pierre Plamondon est venu rompre le ronron anesthésié de cette fin de campagne québécoise : « MARK CARNEY POSE UNE MENACE EXISTENTIELLE POUR LE QUÉBEC ». Voilà qui a le mérite d’être clair. Et soudainement, dans l’air, flotte une idée qu’on croyait remisée depuis le début de cette campagne : et si le Québec retournait, une fois encore, dans les bras du Bloc québécois?

Car le contexte est particulier : les libéraux, après une remontée inattendue menée par le mondialiste notoire Mark Carney, dominent encore de peu les conservateurs de Pierre Poilievre dans les intentions de vote. Or, si Carney devait former un gouvernement majoritaire, ce serait un prolongement direct du trudeauisme. Pour les nationalistes québécois, ce scénario s’apparente à un cauchemar.


Un appel clair de Paul St-Pierre Plamondon

La lettre de Paul St-Pierre Plamondon n’a rien d’anodin. Elle tranche avec les postures feutrées souvent associées au chef péquiste. Ici, pas de circonvolutions, pas de flou souverainiste : on appelle un chat un chat, et un libéral, un danger.

Dès l’ouverture, le ton est donné : PSPP rappelle les « torts irréparables » causés par dix années de régime libéral, et avertit que les quatre prochaines s’annoncent comme une continuité du recul. Mais surtout, il centre son message sur la menace que représente une majorité libérale menée par Mark Carney. En dénonçant l’embauche par Carney de Mark Wiseman — architecte de l’« Initiative du siècle » visant à faire grimper la population canadienne à 100 millions d’habitants — Plamondon met en lumière un point crucial : une croissance démographique non seulement idéologique, mais hostile aux intérêts fondamentaux du Québec. Car lorsque Wiseman affirme que son projet doit être réalisé « même si ça fait aboyer le Québec », il ne s’agit plus d’un simple débat politique — il s’agit d’une forme de mépris colonial assumé.

L’intervention du chef péquiste est marquée d’un courage certain, et d’un recentrage identitaire plus musclé que ce à quoi il nous avait habitués. Depuis quelque temps, d’ailleurs, PSPP se démarque par des prises de position qu’on pourrait qualifier, sinon de conservatrices, à tout le moins de nationalistes pragmatiques : la défense des compétences exclusives du Québec, la critique de l’immigration massive incontrôlée, la dénonciation des ingérences judiciaires d’Ottawa dans les lois sur la langue et la laïcité. Il est loin, le jeune chef timoré d’avant pandémie.

Et c’est là tout l’enjeu de cette intervention : bien qu’il appelle à voter Bloc, l’essentiel de son message n’est pas partisan — il est structurel. Il ne dit pas seulement « votez pour le Bloc » ; il dit « si vous aimez le Québec, fermez la porte à Carney ». Carney n’est pas un adversaire politique normal, il est, selon lui, une menace existentielle.


Rétropédalage de Blanchet

Il est difficile de ne pas voir dans cette sortie une tentative de rectification, après ce qui s’apparente de plus en plus à une erreur stratégique de la part de Yves-François Blanchet. Rappelons que dans la foulée du dernier débat, le chef bloquiste avait publiquement admis qu’une victoire de Carney était « plus que probable », ajoutant qu’il y avait plus de chances que le Bloc remporte 35 sièges que de voir Pierre Poilievre devenir premier ministre. Une telle déclaration, en pleine fin de campagne, a été interprétée comme une résignation — voire une forme de collaboration passive avec les libéraux, aux dépens des conservateurs.

L’effet immédiat fut une perte de repères pour un électorat nationaliste qui, dans certaines régions, penche vers les conservateurs par simple rejet du trudeauisme. Car dans plusieurs circonscriptions où le Bloc est en position de force, le vote conservateur est trop faible pour l’emporter, mais suffisant pour faire gagner un libéral dans une course serrée. Ce sont ces électeurs-là qu’il fallait convaincre de voter utile — c’est-à-dire Bloc — afin de bloquer Carney. Or, en jettant l’éponge avant même le dernier droit, Blanchet a brouillé le message. Il a donc dû rétropédaler.

Depuis, on sent une tentative manifeste de raviver la fibre nationaliste. En entrevue avec QUB, Blanchet a affirmé qu’il fallait admettre la réalité d’une possible victoire libérale pour mieux la contenir. Et dans un discours livré à Shawinigan, il a qualifié le Canada de « pays artificiel », affirmé que le Parlement fédéral était un « parlement étranger », et promis de jouer un rôle « défensif » jusqu’à l’indépendance. Bref, un retour au ton de 2019. Mais le mal était fait.


Un front uni contre Carney?

Ce qui est frappant dans cette dernière ligne droite, c’est que les intérêts du Bloc et des conservateurs convergent : tous deux ont besoin que les libéraux soient contenus. Le Bloc veut jouer la balance du pouvoir ; les conservateurs veulent le reste du pays. Dans ce contexte, il est permis de rêver, pour les nationalistes, à un certain front commun tactique, même si non déclaré.

C’est d’autant plus frappant que les deux chefs, Carney et Poilievre, sont tous deux vulnérables dans leur propre comté. La fragilité est partagée. Et tandis que le Bloc cherche à sauver ou reprendre des sièges aux libéraux, notamment en banlieue de Montréal, le Parti conservateur tente d’y faire des percées inattendues — pensons à Vaudreuil, Beauport ou même Hochelaga. Une dynamique contre-intuitive est en train de se mettre en place : dans plusieurs cas, le vote conservateur pourrait indirectement aider le Bloc, et vice-versa, simplement en resserrant les courses.

Dans un monde idéal, le Bloc se retrouverait face à un gouvernement minoritaire conservateur, bien plus perméable aux revendications du Québec qu’un gouvernement libéral hargneux et centralisateur. Ce serait, paradoxalement, le scénario le moins mauvais pour les nationalistes.


Le mondialisme postmoderne, ennemi des peuples

Ce que cette fin de campagne nous rappelle crûment, c’est que le principal ennemi des nations, en 2025, n’est ni la gauche ni la droite — c’est le mondialisme postmoderne. C’est lui qui efface les identités, centralise les pouvoirs, ouvre les frontières à l’excès, détruit les équilibres culturels, linguistiques, démographiques. C’est lui qui, aujourd’hui, parle par la bouche de Mark Carney.

Le libéralisme canadien, sous Trudeau puis Carney, s’est mué en une machine technocratique, sans racines ni loyauté envers les peuples. Le Québec n’est pas une province comme les autres. Et il n’est pas une variable d’ajustement pour un projet mondialiste de croissance démographique et d’uniformisation culturelle.

Dans cette optique, le nationalisme québécois — qu’il soit souverainiste ou simplement autonomiste — ne peut plus se permettre les demi-mesures. Il doit s’allier, par pragmatisme, à ceux qui partagent une vision du monde fondée sur la nation, les frontières, le gros bon sens.

Aujourd’hui, ces valeurs sont incarnées, au niveau fédéral, par le conservatisme et la droite populaire. C’est là que se trouve, de plus en plus, l’alternative au mondialisme. Et c’est aussi ce que Paul St-Pierre Plamondon a, en creux, reconnu dans son message.

Le réveil est peut-être tardif, mais il n’est pas inutile.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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