L’élection fédérale canadienne en cours revêt une importance particulière pour les générations montantes. Au-delà des débats dominés par les tensions commerciales internationales et la transition de pouvoir entre Justin Trudeau et Mark Carney, on assiste à une cristallisation des tendances contemporaines qui façonneront les prochaines décennies. Notamment, un fossé idéologique se creuse entre les baby-boomers, qui conservent un pouvoir électoral significatif, et les jeunes générations, dont le poids électoral est moindre et qui voient leurs aspirations entravées par des politiques économiques nocives.

Un changement de paradigme chez les jeunes électeurs

Traditionnellement associés à des idéaux progressistes, les jeunes Canadiens manifestent aujourd’hui une inclinaison notable vers le conservatisme. Comme je l’évoquais en décembre 2022, cette évolution s’explique en partie par le contexte socio-économique dans lequel ont grandi les générations récentes. Les « zoomers », ayant vécu la crise financière de 2008, la guerre contre le terrorisme et la pandémie, adoptent une approche plus pragmatique que leurs prédécesseurs milléniaux, bercés par l’optimisme de la mondialisation et de l’essor technologique.

Cette tendance se reflétait alors dans les intentions de vote. Un sondage de Mainstreet Research réalisé en décembre 2022 indiquait que 46,5 % des Canadiens âgés de 18 à 34 ans soutenaient le Parti conservateur, contre seulement 27 % pour les Libéraux. Plus récemment, un sondage de Léger en avril 2025 révélait que 31 % des jeunes Québécois de cette tranche d’âge appuyaient les conservateurs de Pierre Poilievre, tandis que le Parti libéral ne recueillait que 22 % de leur soutien.

C’est totalement l’inverse pour les Canadiens âgés de 55 ans et plus, qui soutiennent les libéraux de Carney à 46% et ne donnent que 19% de soutien aux Conservateurs de Poilievre.

Cependant, malgré cette affinité croissante pour le conservatisme, les jeunes demeurent moins enclins à voter que leurs aînés. Selon Élections Canada, lors des élections fédérales de 2019, le taux de participation était de 53,9 % chez les 18 à 24 ans et de 58,4 % chez les 25 à 34 ans, comparativement à 79,1 % chez les 65 à 74 ans. Cette faible mobilisation réduit l’impact potentiel de leur virage conservateur sur les résultats électoraux.

L’attachement des baby-boomers aux Libéraux

À l’inverse, les baby-boomers affichent une fidélité marquée envers le Parti libéral. Comme je l’ai souligné en novembre 2024, cette génération, qui a bénéficié des « trente glorieuses », conserve une certaine nostalgie des idéaux hippies et se montre sensible aux politiques progressistes et environnementales promues par les Libéraux. Ils invoquent souvent le désir de « sauver la planète pour leurs enfants » pour justifier leur soutien à ces initiatives.

Toutefois, cette priorité accordée aux enjeux progressistes et écologistes peut sembler déconnectée des préoccupations immédiates des jeunes générations. Ces dernières aspirent principalement à accéder à la propriété et à fonder une famille, mais se heurtent à des obstacles économiques considérables, notamment en raison des politiques économiques du parti le plus populaire auprès des boomers. Comme je l’ai déjà mentionné, les baby-boomers devraient prendre conscience que, pour véritablement aider les jeunes, il est essentiel de s’attaquer en priorité aux défis économiques auxquels ils sont confrontés. Cela implique de s’intéresser à la dette nationale, à la compétitivité économique, à la flexibilité du cadre réglementaire et aux libertés individuelles.

Avec tout le respect dû aux baby-boomers, il est indéniable qu’ils ont profité des meilleures années, grâce aux sacrifices de la génération silencieuse, et qu’ils laissent derrière eux des sociétés en déclin, fragmentées et confrontées à des défis migratoires massifs. En continuant à soutenir les Libéraux, ils risquent d’aggraver la situation de leurs enfants plutôt que de l’améliorer. Aucune législation environnementale ne saurait compenser les désordres engendrés par certaines politiques libérales.

Une élection de la dernière chance?

L’élection fédérale actuelle est donc marquée de clivages générationnels profonds qui influenceront durablement le paysage politique canadien. Les jeunes, bien que séduits par le conservatisme, doivent surmonter leur apathie électorale pour traduire cette inclination en pouvoir politique réel. De leur côté, les baby-boomers gagneraient à réévaluer leurs priorités politiques afin de mieux soutenir les aspirations économiques et sociales de leurs successeurs.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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