Tous ceux ayant connu les Saint-Jean-Baptiste du début des années 2000 à Québec sont unanimes : c’était une explosion de joie populaire sans pareille, un rassemblement à peine croyable de centaines de milliers de Québécois qui transformaient la ville entière en une énorme fête. Jamais on ne pouvait être aussi fier d’être Québécois que lorsque les plaines entières s’allumaient de feux de joie et que les murailles étaient bondées de gens brandissant le fleurdelisé. Des inconnus partout se souhaitaient « Bonne Saint-Jean! » dans un esprit de fraternité.

Tous ceux ayant connu ces Saint-Jean sont unanimes : la Saint-Jean-Baptiste, à Québec, c’est mort.

On se rappelle d’abord que la tolérance face à la consommation d’alcool et à la présence dans les parcs faisait suite à une série de fêtes nationales qui avaient virées à l’émeute à la fin des années 90. On s’était alors dit qu’il était préférable de tolérer le « party » et l’encadrer, en offrant de plus longs spectacles, par exemple, ou en offrant des verres en plastique à ceux qui auraient des bouteilles en vitre.

C’est d’ailleurs la police qui se promenait avec ces verres en plastique, et ça donnait toujours l’occasion à des rapports extrêmement amicaux avec elle. Cette unique journée dans l’année permettait de fraterniser un peu, de voir son côté humain. On fumait des joints et buvait des bières avec satisfaction à la face des forces de l’ordre, et les policiers, eux, répondaient avec humour et semblaient passer du bon temps.

Or il y a déjà plus de dix ans, en 2011, le maire Régis Labeaume a décidé de mettre un terme à cette tolérance. « Les caisses de 24 sur les plaines, c’est fini! », scandait-il, et une campagne de sensibilisation stigmatisait « les colons », au style marginal et visiblement saouls, versus « les patriotes », soignés à l’impossible et brandissant des drapeaux comme dans une « stock photo ».

La chose avait évidemment fait controverse et refroidi beaucoup de gens, mais une bonne masse de personne s’était tout de même présentée le 23 au soir… pour être accueillie par l’anti-émeute qui vidait les rues autour du « secteur festif » de Grande-Allée. Beaucoup s’étaient ensuite rabattus sur le secteur autour du Grand-Théâtre, pour ensuite en être chassés plus tard.

La chose était claire : les Saint-Jean-Baptiste en tant que « fiesta » populaire partout en ville, de style latin comme la San-Juan de Barcelone ou les fêtes de la musique françaises, étaient des choses du passé. Désormais, la seule fête possible se déroulerait sur la rue des clubs, avec ses prix exorbitants et son style qui est loin de faire l’unanimité dans la population.

Pour beaucoup à l’époque, c’était la victoire des « douchebags » sur la fête nationale, ni plus ni moins.

Dans les derniers jours, je croyais sentir une certaine fébrilité ; pour la première fois mon entourage exprimait sa volonté de célébrer. Il faut dire qu’après deux ans et demi de pandémie et de mesures liberticides, toute manifestation festive de cet ordre devient alléchante.

Or c’était probablement la Saint-Jean-Baptiste la plus triste à laquelle j’ai assisté. Je n’en reviens pas encore à quel point le Vieux-Québec était vide. Il n’y avait pas même de regroupements entre le Concorde et les plaines, un des endroits qui était dans les plus achalandés autrefois. C’était, somme toute, une soirée de clubs assez ordinaire sur Grande-Allée. En fait, l’ouverture des terrasses, deux semaines auparavant, est probablement rendue une plus grosse fête que ne peut l’être la Saint-Jean…

Avec recul, cette soumission qu’ont eu les Québécois face à cette décision d’un seul homme en 2011 était un peu un avant-goût de ce qui a pu se passer avec le Covid. La réaction aux réglementations autour de la Saint-Jean-Baptiste est à l’image du Québec : un peuple d’une passivité sans pareille qui accepte qu’on détruise ses traditions et ses plaisirs, qui accepte d’être relégué à des banlieues mortes, des réunions zoom et des discussions de tondage de pelouse.

On peut parler de long en large de la programmation des spectacles, de l’affichage des drapeaux et de la qualité des processions, on peut retourner aux racines de la fête chrétienne jusqu’à son adoption par les canadiens français, ça ne ramènera jamais le dynamisme des célébrations sur les plaines. C’est simple, ce qui attirait, c’était le sentiment de liberté, et c’est ce sentiment qui grandissait le cœur des québécois ce jour-là et les rendaient fiers et motivés à scander cette fierté.

La fierté nationale ne se stimule pas artificiellement par des lois ou des mesures incitatives ; elle se crée spontanément lorsqu’il y a de quoi être fier et motivé par sa nation.

Une autre chose est sûre, au-delà d’un puritanisme qui ferait rougir les Américains, qui ont au moins un Spring Break, la population Québécoise est de plus en plus vieille… Et dévitalisée. La chose devient assez claire alors que chaque jour une nouvelle « controverse » au sujet du bruit émerge, des parcs à chiens aux festivals, tout est attaqué et accusé d’être un désagrément. Il n’y a plus de sens organique à la vie en ville, plus de manifestations spontanées, plus de cris d’enfants, plus de brouhaha des marchands… Nos villes sont désormais des dortoirs sanitarisés où la vie sociale doit se faire discrète. Et une soirée de complète liberté dans l’année, c’est déjà trop.

Ces Canadiens Français, qui se sont longtemps targués d’être plus latins que les Anglais, sont désormais plus frileux que des calvinistes, et s’ils veulent réellement fêter, ils changent de continent ou vont dans le sud, là où la vie sociale fait encore un peu de sens.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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