Dans un contexte mondial de plus en plus instable et marqué par la montée des tensions entre grandes puissances, le Canada se prépare à un tournant historique en matière de défense nationale. Un article de David Pugliese, publié le 31 octobre 2025 dans le Ottawa Citizen, révèle que les Forces armées canadiennes (FAC) ont amorcé un projet sans précédent visant à porter leurs effectifs de réserve à 400 000 personnes, contre environ 28 000 actuellement. Selon une directive signée le 30 mai par la cheffe d’état-major de la Défense, la générale Jennie Carignan, et la sous-ministre de la Défense nationale, Stefanie Beck, cette expansion colossale s’inscrit dans la préparation d’un Plan de mobilisation de la Défense (Defence Mobilization Plan, DMP), destiné à permettre une réaction rapide et coordonnée du pays face à toute menace majeure.
Un plan d’ampleur nationale
Le document interne, obtenu par le Ottawa Citizen, fixe des cibles ambitieuses : augmenter la réserve principale de 23 561 à 100 000 membres, et la réserve supplémentaire — composée d’anciens militaires et de volontaires inactifs — de 4 384 à 300 000. Cette montée en puissance, notent Carignan et Beck, nécessitera un effort de type “Whole of Society” (WoS), c’est-à-dire une mobilisation de l’ensemble de la société canadienne.
La directive précise que le plan doit permettre au pays de répondre à des menaces domestiques et internationales, allant « d’une catastrophe naturelle à faible intensité à une guerre à grande échelle ». Un groupe de travail spécial, surnommé « tiger team », a été créé le 4 juin 2025 au campus Carling du MDN à Ottawa pour définir les conditions préalables à une telle expansion, y compris les changements législatifs nécessaires pour faciliter l’intégration rapide de centaines de milliers de civils dans les rangs des Forces.
Une inspiration venue de Finlande
Toujours selon les informations rapportées par Pugliese, les responsables militaires canadiens s’inspirent notamment du modèle finlandais, souvent cité comme une référence mondiale en matière de défense nationale. En Finlande, le service militaire est obligatoire pour les hommes de 18 à 60 ans, et les réservistes demeurent mobilisables jusqu’à 65 ans. Le document canadien évoque d’ailleurs des consultations à venir avec les alliés de l’OTAN, dont la Finlande, pour adapter certains éléments de ce modèle à la réalité canadienne.
Une coordination interministérielle et sociétale
La directive souligne que le ministère de la Défense ne pourra pas mener seul cette transformation. Elle exige une coordination étroite avec le Bureau du Conseil privé, les autres ministères fédéraux et les provinces, ainsi qu’un effort de « socialisation » auprès de la population canadienne. L’objectif est de faire accepter l’idée d’une défense plus intégrée, où chaque citoyen pourrait, à divers degrés, contribuer à la sécurité nationale.
Carignan et Beck y voient une réponse à la nouvelle ère de compétition stratégique mondiale, marquée par la montée en puissance de la Chine et de la Russie. Le général de brigade Brendan Cook, directeur du développement de la force aérienne et spatiale, a d’ailleurs averti en juin 2025 qu’un conflit majeur entre les puissances occidentales et ces deux États pourrait survenir entre 2028 et 2030.
Des obstacles logistiques et humains majeurs
Malgré cette vision ambitieuse, plusieurs défis risquent de freiner la mise en œuvre du plan. Le ministère de la Défense nationale n’a pas répondu aux multiples demandes de commentaires du Ottawa Citizen, mais un rapport de la vérificatrice générale Karen Hogan, publié le 21 octobre 2025, met déjà en lumière les graves problèmes de recrutement et de formation qui minent les Forces armées canadiennes.
Selon ce rapport cité par Pugliese, les FAC n’attirent ni ne forment actuellement assez de recrues pour répondre à leurs besoins opérationnels. Le processus d’enrôlement, censé durer entre 100 et 150 jours, prend en réalité le double de temps, en raison notamment des retards dans les enquêtes de sécurité. Le rapport souligne également un manque de capacité de formation pour les nouvelles recrues, un obstacle critique à toute expansion rapide.
Un tournant stratégique dans la politique de défense
Enfin, la directive Beck-Carignan affirme que le Canada doit renforcer sa résilience et son autonomie stratégique dans un contexte international de plus en plus instable. Le tiger team doit donc déterminer les investissements requis, les infrastructures nécessaires et les modalités de maintien d’une force de 400 000 membres, une échelle sans précédent dans l’histoire militaire du pays.
Cette orientation reflète un changement majeur de posture : après des décennies de réduction et de sous-financement, les Forces armées canadiennes semblent vouloir se préparer à un scénario de mobilisation générale rappelant ceux de la Guerre froide.



