Virage électrique : l’industrie automobile canadienne risque l’anéantissement complet

Ce mercredi 30 octobre 2024, nous apprenions que la compagnie de voiture électrique chinoise BYD avait dépassé Tesla en termes de ventes pour son troisième trimestre. C’est un évènement particulièrement important dans le contexte actuel, car il confirme encore un peu plus la domination de la Chine dans le secteur des voitures électriques, et à quel point, en parallèle, nos politiques d’interdiction des voitures à essence pour 2035 menacent d’éradiquer notre industrie automobile.

BYD profite des politiques de transition occidentales

En effet, BYD semble sur toutes les lèvres en ce moment. Selon l’Agence France-Presse : L’entreprise basée à Shenzhen a enregistré un chiffre d’affaires de 201,12 milliards de yuans (28,24 milliards de dollars) au cours du troisième trimestre, en hausse de 24 % par rapport à la même période l’an dernier, et supérieur aux 25,2 milliards de dollars annoncés par l’américain Tesla la semaine dernière. Le bénéfice net de BYD au cours de cette période s’établit à 11,6 milliards de yuans (1,6 milliard de dollars), en progression de 11,5 % par rapport au troisième trimestre de l’an passé. »

D’abord, il faut comprendre qu’ici, en 2024, nous essayons tant bien que mal de démarrer la « filière des batteries » et l’industrie des véhicules électriques et malgré les milliards qu’on fait pleuvoir, les projets et entreprises comme Northvolt, Lion électrique, Taiga motors sont tous en difficulté. Et même les grandes marques comme Ford ou Volkswagen ont ralenti leurs investissements et projets dans l’électrique. Mais BYD œuvre dans le secteur des batteries depuis 1995, et a commencé à produire des voitures électriques dès la fin des années 2000! L’entreprise chinoise était déjà très bien établie lorsqu’elle est tombée sur un coup de chance formidable : l’interdiction des voitures à essence pour 2035 dans les pays occidentaux.

Ce n’est donc pas un hasard d’avoir vu les ventes et le développement de BYD exploser ces dernières années, avec des projets d’expansion partout dans le monde, dont un au Mexique, que Donald Trump affirme dernièrement avoir bloqué « sans même être président », simplement parce que l’entreprise chinoise prévoit sa victoire et l’imposition de tarifs encore pires.

Des sites de fact checking démentent cette affirmation, or, on ne peut s’empêcher d’émettre un doute en les voyant relayer les déclarations officielles de BYD à l’effet que l’usine mexicaine ne viserait « que le marché Mexicain » et pas l’exportation depuis le Mexique. Trump parle pour sa part d’une usine « d’une grosseur jamais vue », capable de produire autant de voitures que tout l’État du Michigan (le cœur de l’industrie automobile américaine) ; la vérité doit donc se situer entre les deux. Clairement, BYD a des visées en Amérique du Nord et il n’est pas farfelu de penser qu’elle puisse revoir ses plans en raison du retour de Trump à la Maison-Blanche.

De toute façon, la menace de la compétition chinoise dans le domaine automobile est loin d’être une exagération Trumpienne ; Le gouvernement Biden a imposé une surtaxe de 100% aux voitures chinoises entrant sur le territoire des États-Unis, une mesure suivie par notre très vert Justin Trudeau ici, au Canada.

Répétons au cas où certains l’auraient manqué : la menace est tellement grave que même Justin Trudeau taxe des voitures électriques à 100%!

Enfin, en Europe, on connaît BYD depuis plus longtemps ; ses voitures y sont déjà disponibles, mais tout de même, l’Union-Européenne, qui débat de la question depuis des mois, a fini par imposer une surtaxe de 35% dans les derniers jours.

L’industrie en « arrêt complet » à cause du virage électrique

Ainsi, alors que le géant chinois BYD célèbre des records de ventes et son expansion rapide, les États Occidentaux accablent leur propre industrie automobile de réglementations et de taxes étouffantes, et menacent même d’interdire leur principal produit, ce qui force une reconversion bousculée des usines actuelles. Pour ce faire, de nombreuses activités sont mises sur pause, ce qui force la fermeture de nombreux lieux de travail et cause des pertes d’emplois. Et tout ça, pour un pari loin d’être assuré.

C’était le sujet d’un article du Financial Post le 21 octobre dernier, qui dressait un portrait très sombre de l’industrie automobile canadienne. On y expliquait comment, n’ayant pas de marques automobiles natives du Canada, la majorité de notre industrie se base sur des producteurs de pièces complémentaires aux usines des grosses compagnies. De la sorte, ces entreprises sont beaucoup plus fragiles face au grand changement technologique en train de s’imposer dans l’industrie et risquent fort de ne pas survivre aux perturbations occasionnées :

« Les fournisseurs de pièces automobiles, qui fabriquent des sièges et des systèmes de suspension ainsi que des boutons pour les tableaux de bord et de nombreux autres éléments utilisés par les constructeurs automobiles, représentent plus de la moitié des emplois de l’ensemble du secteur, selon Statistique Canada et d’autres estimations. Le secteur est secoué par la fermeture d’usines par les constructeurs automobiles pour un long processus de rééquipement ou par la recherche d’une réduction des coûts par l’internalisation de travaux qu’ils confiaient auparavant à des sous-traitants. Dans un contexte d’inflation élevée et de hausse du chômage, les pressions immédiates exercées par la transition vers les véhicules électriques amènent de nombreux travailleurs de l’industrie automobile à s’interroger sur la sagesse de la stratégie du gouvernement. »

Depuis quelques années, plus d’une douzaine d’entreprises de pièces automobiles étant passé par ce processus n’y ont pas survécu.

Dans l’article, on y interroge Jody Schneider, mise au chômage vers la fin de 2023 avec 150 autres travailleurs, lorsque l’usine de suspensions pour laquelle elle travaillait a été forcée de fermer pendant 18 mois, le temps de faire une reconversion pour produire des pièces pour véhicules électriques ou hybrides : « Nous entendons parler de l’électricité depuis des années, mais tout d’un coup, « Oh, c’est là maintenant » et nous ne sommes même pas prêts… Maintenant, c’est comme si tout le monde devait s’arrêter complètement ».

Le problème, apparemment, c’est que tant du côté du gouvernement que des entreprises, on ne semble pas faire beaucoup d’effort pour mettre à niveau les anciens travailleurs de l’industrie des voitures à essence, et la majorité du temps, on ne fait que les remplacer par une nouvelle génération de travailleurs formés à neufs dans les écoles. Dans certains cas, les travailleurs mis à pied retrouvent leurs emplois à la fin des travaux, mais pour d’autres, comme Jody Schneider, ce n’est pas le cas.

Le pari de nos gouvernements dans la filière des batteries et des véhicules électriques est donc le même qu’autrefois: c’est d’encourager les grosses compagnies à implanter leurs usines ici afin de créer des retombées pour nos usines de pièces. Comme l’explique la politologue et présidente de l’Université de Guelphe, « toute la stratégie automobile du Canada depuis le 19e siècle repose sur le fait que l’ouverture d’une usine automobile entraîne diverses retombées. Il s’agit là des éléments constitutifs du secteur. » Or cette fois-ci, il s’agit d’une spéculation beaucoup plus risquée face à la menace chinoise, et c’est toute l’industrie automobile canadienne qui est mise en gage.

Un coup de poker?

Malheureusement, ce n’est pas seulement les compagnies de pièces qui souffrent du virage électrique ; l’industrie des voitures électriques elle-même, qui est censée remplacer les voitures à essence, accumule les difficultés – comme nous l’avons vu avec la saga Northvolt.

Dans un autre article du Financial Post, on peut lire l’auteur se demander s’il faudrait continuer à lancer de l’argent dans l’électrification de l’industrie automobile occidentale : « Les ventes de véhicules électriques continuent de croître, notamment en Chine et en Inde, mais plus lentement que prévu en Amérique du Nord et en Europe. La demande est même en baisse en Italie, au Japon et en Allemagne. Pendant ce temps, les véhicules électriques chinois, moins chers, gagnent des parts de marché en Europe et en Asie. Bien qu’elles se soient améliorées récemment, les ventes mondiales de véhicules restent léthargiques : 90 millions d’unités en 2023, soit quatre millions de moins qu’en 2018. »

De la sorte, on voit bien que c’est un combat perdu d’avance et que la pression de la compétition asiatique est beaucoup trop forte pour rentabiliser ces politiques de transition agressives. Beaucoup de commentateurs commencent à s’inquiéter qu’on ait sacrifié notre industrie pour rien, et qu’on se retrouve avec un marché entièrement dominé par la Chine.

C’était le sujet d’un autre article de ce journal, relayé par l’Institut Fraser, et qui titrait : « L’imposition des voitures électriques par Ottawa pourrait détruire l’industrie automobile canadienne ». Selon Ross McKitrick, professeur d’économie à l’Université de Guelph, la logique est plutôt simple : si, en 2035, le gouvernement a besoin d’une loi pour forcer les gens à acheter des voitures électriques, cela voudra dire qu’on aura ruiné notre industrie :

« Dans un nouvel article à paraître dans la revue scientifique Canadian Journal of Economics, je développe et utilise un modèle interprovincial détaillé de l’économie canadienne, y compris le secteur automobile. Je soutiens que pendant la période de mise en place progressive, le secteur automobile augmentera le prix des véhicules à moteur à combustion interne et obtiendra des loyers supérieurs à ceux du marché, mais cela ne couvrira pas les pertes du côté des véhicules électriques et l’industrie subira des pertes globales à la fin des années 2020. Ces pertes seront permanentes tant que les coûts de production des VE n’auront pas baissé suffisamment pour qu’un mandat ne soit pas nécessaire. En bref, le mandat 2035 n’est abordable que s’il n’est pas nécessaire. S’il faut un mandat pour forcer les consommateurs à choisir les VE plutôt que les VCI, ce mandat détruira l’industrie automobile canadienne. »

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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