Est-il possible d’imaginer pire défaite commerciale que la revue à la baisse des projections de ventes d’un produit dont la clientèle est encouragée par des incitatifs généreux à l’achat, qui bénéficie littéralement d’un bannissement à moyen terme de ses compétiteurs, et qui reçoit des soutiens gouvernementaux à la production qui se comptent à coups de dizaine de milliards de dollars?

C’est à peu près ce qui se passe dans le marché des voitures électriques qui, malgré un soutien réglementaire et financier hors du commun, doit désormais ralentir sa production, faute d’acheteurs.

Une baisse marquée de la demande

En effet, on apprenait dans les dernières semaines que les ventes de voitures électriques chutaient partout en Occident, faisant modérer les ardeurs des constructeurs pour de nouveaux investissements.

Il y a d’une part l’effet de la hausse des taux d’intérêts et les mauvaises conditions économiques qui ont fait ralentir les achats d’une manière assez prévisible. C’est la raison invoquée par Tesla, notamment, qui envisage mettre la pédale douce sur la construction de sa nouvelle usine mexicaine.

Mais c’est aussi en raison des réticences du public que les constructeurs mettent en ce moment les freins sur de nouveaux investissements. Parmi les trois principales raisons de ces réticences : le manque de bornes de recharges, l’autonomie insuffisante et les prix plus élevés des véhicules.

En conséquences, Ford a décidé de reporter des investissements de 13 milliards pour un projet d’usine de batterie avec son partenaire coréen SK On. Même chose pour GM et Honda, qui reportent un investissement de 5 milliards. Volkswagen, pour sa part, constate une baisse de 50% sur le marché européen, qui, d’une manière générale, a commencé à stagner après des années de croissance.

Un secteur commercial et industriel chouchouté

Or, cette baisse de la demande malgré un cadre réglementaire et financier extrêmement conciliant de la part de nos gouvernements ne manque pas de laisser perplexe.

En effet, dans le cas du Canada, les gouvernements fédéral et provincial ont carrément annoncé le bannissement de la vente de voitures à essence à partir de 2035, et le même genre de politiques (parfois même plus agressives encore) se retrouve dans les pays de l’Union Européenne. C’est donc dire que la volonté gouvernementale de faire disparaître les voitures à essence complètement d’ici à une dizaine d’années est très claire, et malgré tout, la majorité de la population continue de prioriser ce type de transport plutôt que l’électrique.

Dix ans, c’est quand même assez pour un cycle de vie complet d’une voiture, alors on peut comprendre qu’il n’y a pas encore de sentiment d’urgence dans la population. En outre, les plus sceptiques vont même jusqu’à spéculer que les gouvernements devront peut-être abandonner ces mesures. Cela dit, peu de secteurs commerciaux bénéficient de la promesse d’un monopole sur un marché comme celui des voitures électriques, mais il semble tout de même incapable de capitaliser là-dessus à l’heure actuelle.

Non seulement ça, mais les gouvernements tentent actuellement de stimuler la demande de manière artificielle par de généreux incitatifs à l’achat, comme le programme Roulez Vert, au Québec, qui offre jusqu’à 7000$ à l’achat d’une voiture entièrement électrique et entre 2500$ et 5000$ pour des véhicules hybrides. En d’autres mots, le gouvernement paye les gens pour s’acheter des voitures électriques! On n’ose pas imaginer à quoi ressemblerait la demande si ces incitatifs n’existaient pas…

Cerise sur le sundae : dans cet agenda obstiné d’imposer le tout-à-l’électrique, et en prévision du bannissement prévu des voitures à essences, nos gouvernements tentent par tous les moyens d’attirer les constructeurs automobiles sur le territoire pour qu’ils y développent la filière des batteries, et pour ce faire, ils leur offrent des dizaines de milliards de dollars! Autrement dit, les investissements dans les nouvelles usines nécessaires à la production de voitures électriques sont hautement subventionnés.

Une bulle spéculative?

J’oserais même dire qu’il s’agit d’une forme de bulle spéculative, étant donné que, comme nous l’avons vu, les besoins de l’industrie sont ici strictement le résultat d’un nouveau cadre réglementaire idéologiquement orienté qui oblige la refondation de fond en comble de l’industrie : la création de A à Z de la filière des batteries – des mines jusqu’au produit final – la construction du réseau de bornes de recharges, la révision des procédés de construction automobile, etc.

On a pour ainsi dire créé un vide industriel complet dans l’un des secteurs les plus vitaux pour nos économies, entraînant une course aux investissements, un véritable Far West qui fait s’opposer tous les pays pour tenter d’attirer les constructeurs chez eux. Au lieu d’une croissance organique du secteur automobile, nous assistons à une refondation complètement artificielle de celui-ci.

Dans ces circonstances, on se bat à coups de subventions gonflées dans les milliards de dollars, et les constructeurs automobiles, eux, on le beau jeu de choisir au plus offrant.

On en a un bon exemple dans les offres de subventions actuelles au Canada et au Québec, dont les prix exorbitants sont strictement influencés par la compétition déraisonnable du géant américain, qui offre des fortunes en subventions dans le cadre de son Inflation Reduction Act.

Qu’adviendra-t-il si les promesses des voitures électriques ne se réalisent pas? Si, par exemple, la demande continue à stagner et que les populations refusent de se soumettre au banissement des voitures à essence en raison des craintes sur leur fiabilité, leurs coûts prohibitifs, des circonstances économiques et sociales désavantageuses, etc. Ou bien si une nouvelle technologie innovante s’avère une meilleure alternative, tel que le captage du carbone, l’hydrogène, ou une autre qui reste encore à découvrir? Qu’adviendra-t-il si on finit par réaliser que les coûts environnementaux de la production de batteries et les intenses activités minières qu’elles impliquent surpassent celle des voitures à essence?

On se sera ruiné pour rien et on aura gaspillé une énergie considérable dans un éléphant blanc qui n’aura enrichi que les investisseurs dans leurs projections de court et moyen termes. Comme on dit, ne vaudrait-il pas mieux de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier?

Les constructeurs chinois se frottent les mains

Pendant ce temps, la production chinoise, elle, semble plus optimiste. Avec une nouvelle usine basée au Mexique, Geely Auto, une compagnie chinoise propriétaire, entre autres, de Volvo et Polestar, pourra désormais conquérir le marché américain grâce à la suppression des droits de douanes inclus dans le USMCA, qui remplace désormais les accords de l’ALENA.

On voit le même phénomène se produire en Europe, où MG Motors (racheté depuis 2006 par Shangaï Automotive Industry Corporation (SAIC) et dont la production a été délocalisée en Chine) a décidé de casser ses prix en cette fin d’année 2023 en proposant des ristournes alléchantes pouvant aller jusqu’à 9500 euros (14 000 dollars CAN).

Serait-ce parce que la Chine contrôle encore la majeure partie des sources de lithium, nécessaire à la conception de batteries, que ses constructeurs se montrent plus optimistes? Bénéficient-ils de meilleurs prix à l’approvisionnement? Il n’est pas farfelu de le penser. La Chine se distingue des constructeurs automobiles occidentaux par le fait de produire des voitures électriques beaucoup plus abordables, ce qui lui donne un avantage compétitif non négligeable.

Nous nous lançons dans une compétition de grande envergure contre le géant chinois qui bénéficie déjà d’une longueur d’avance.

En somme, quand on regarde le portrait général de la situation, il est difficile de ne pas y voir un sabotage complet de l’industrie automobile occidentale au profit de l’industrie chinoise ; une tendance qui est loin d’être rassurante.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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