Depuis août 2023, les Canadiens n’ont plus accès aux médias d’information sur Facebook ou Instagram. Cette mesure, par la compagnie mère Meta, fut mise en place en réaction à la loi C-18, qui forçait les médias sociaux à donner une part de leurs revenus aux médias reconnus par l’organisation journalistique canadienne qualifiée. Une forme d’extorsion gouvernementale au profit d’une industrie compétitrice en difficulté. Cette loi s’accompagnait de la loi C-11, qui forçait les médias sociaux à aligner leurs algorithmes sur le CRTC, une autre intrusion gouvernementale mettant en danger la libre expression. Mais les récentes annonces par Mark Zuckerberg, la semaine passée, pourrait rapidement changer la donne.

Zuckerberg veut travailler avec Trump

Dans sa vidéo où il annonçait qu’il terminerait les facts checkings sur Facebook, Mark Zuckerberg concluait en affirmant sa volonté de collaborer avec l’administration Trump afin de faire respecter la liberté d’expression en des pays qui, selon lui, l’avaient attaqué. Il déclare « C’est juste un buffet ouvert à l’échelle mondiale ».

Et c’est un point qu’il a réitéré vendredi dernier, dans un podcast avec Joe Rogan. Il y a expliqué comment, selon lui, le gouvernement américain aurait dû protéger ses entreprises, y compris les médias sociaux, mais comment, au contraire, il s’était ligué avec les gouvernements étrangers pour l’extorquer et le contraindre à la censure. Il explique que l’Union européenne a récolté 30 milliards en amendes diverses dans les dix dernières années.

Habilement, il ajoute qu’aux vues de l’importance stratégique des géants de la tech pour les États-Unis, ces extorsions de la part des États étrangers et leur magnitude colossale constituent des formes de tarifs pour l’économie américaine : « Si un autre pays voulait nuire à un secteur qui nous tient à cœur, le gouvernement américain trouverait probablement un moyen de faire pression sur lui. ». Zuckerberg déplore donc ce traitement différencié pour les médias sociaux, qui sont accusés de tous les maux de la société.

Bien qu’il ait, jusqu’à maintenant, concentré ses attaques contre l’Union européenne, nous savons que le Canada a lui-aussi développé une relation acrimonieuse avec Meta avec l’implantation des lois dites C-11 et C-18, qui subordonnent le web au CRTC et forcent les médias sociaux à compenser les médias d’information. Cette dernière exigence s’est d’ailleurs tellement envenimée que Meta a simplement commencé à bloquer les sites de nouvelles de ses plateformes.

Mais il y a aussi la Taxe sur les services numériques (TSN) de 3% sur les redevances des géants du numérique, finalement adoptée par Chrystia Freeland en juin dernier, qui a fait grincer des dents aux États-Unis. Déjà le 13 novembre dernier, Janyce McGregor écrivait dans les pages de la CBC que : « Le risque de représailles tarifaires directes de la part des États-Unis est l’une des principales raisons pour lesquelles des groupes tels que la Chambre de commerce du Canada se sont opposés dès le départ à la mise en œuvre du TSN canadien. »

Momentum dans les relations canado-américaines

Les derniers temps ont été, disons, étrange avec notre voisin du sud… Et tous ces memes d’annexion, cet intérêt soudain des Américains pour le Canada…

Qu’on le veuille ou non, les projecteurs sont sur nous. Et au même moment où Trump tweet vouloir annexer le Canada, l’affirmation d’un « enthousiasme » de Zuckerberg à l’idée de faire défendre les intérêts américains via ses réseaux sociaux pourrait rapidement pousser à la question : « Quelle est la situation de Facebook au Canada en ce moment? » Et à Zuckerberg de répondre : « Eh bien, nous avons dû bloquer les sites de nouvelles au Canada puisque le gouvernement Trudeau tentait de nous soutirer de l’argent pour la donner à leurs médias en faillite. Et ils nous ont forcé à donner une forme de contrôle algorithmique à leur organisme de régulation des médias. Alors, je dirais, pas très bonne »

Vous imaginez bien ce qu’en penserait l’Ogre Orange, n’est-ce pas? Et à quel point il serait empressé de tweeter comment le Canada extorque les fleurons de la tech américaine et en sont venus, à coups de lois idéologiquement en bancroute, à priver leurs millions de citoyens d’une source massive d’information. On dira ce qu’on veut de Trump, mais un soutien le flatte assez pour qu’il soit ensuite un ami fidèle ; il veillera désormais probablement à défendre Meta et Mark Zuckerberg.

Ainsi donc, c’est simple : dans le cadre des négociations et de la possible guerre commerciale entre le Canada et les États-Unis – et dans le cadre de ce réalignement des géants de la tech américaine, de Twitter devenu X à Meta – les lois C-11 et C-18 devront tomber. Si « l’enthousiasme » de Zuckerberg conduit à une politique cohérente avec ses propos tenus sur le Podcast de Joe Rogan, il est inévitable que la question du blocage des nouvelles au Canada va être mis sur la table.

En fait, la classe politique canadienne, toute effarouchée des idées d’annexion, devrait probablement rougir de honte à l’idée que Trump commence à tâter ce sujet… On ne fait pas bonne figure.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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