Cette fin de semaine avait lieu un colloque du Parti conservateur du Québec sur l’énergie, qui avait pour thème la diversité énergétique. La dernière année ayant été marquée par la crise énergétique, notamment en Europe, mais aussi au Québec, où s’est imposé le concept de « sobriété énergétique » en vue de la fin des surplus d’Hydro-Québec prévue pour 2027, les appels à diversifier nos sources d’énergie se font de plus en plus pressants, notamment au PCQ, qui demeure le seul parti en faveur de l’exploitation du gaz naturel.

Les schistes d’Utica

L’un des panéliste était Mario Lévesque, dirigeant d’Utica Ressources qui, avec Questerre, est l’une des deux dernières entreprises impliquées dans les projets de gaz de schistes qui ont été bloqués par le gouvernement Legault avec la loi 21.

M. Lévesque a d’abord commencé son intervention en rappelant à quel point l’exploitation des hydrocarbures avait contribué au développement du Québec, notamment dans des régions où la chose semble aujourd’hui oubliée, comme la Gaspésie, qui possédait de nombreux puits de pétrole entre le XIXe et le XXe siècle et qui possède toujours un certain potentiel. M. Lévesque a aussi souligné la diversité de nos hydrocarbures, rappelant qu’il ne s’agit pas que de gaz et de pétrole, mais aussi de butane et de propane.

On se rappelle d’ailleurs que lors des blocus ferroviaires de 2020 contre un projet de gazoduc, il y avait eu pénurie de propane au Québec, notamment pour les agriculteurs qui en ont besoin dans leur travail ; ajoutez à cela la possible fermeture de la ligne 5 d’Enbridge et des problèmes de pénuries pourraient rapidement émerger. Ces problèmes pourraient facilement être évités par une exploitation locale.

En ce qui a trait au gaz naturel, le potentiel est énorme. La zone d’exploitation de schistes d’Utica, située dans la vallée du Saint-Laurent, paraît à première vue moins imposante puisque moins étendue géographiquement que les poches américaines, cependant, ces dernières ne sont profondes que de 40 mètres alors qu’au Québec, on parle d’une poche d’une profondeur de 400 mètres, donc dix fois la profondeur des poches américaines. Il s’agit ainsi de la plus grande découverte gazière non exploitée au monde. Dans la région de Laurier-Station, on parle même d’une profondeur ahurissante de 1000 mètres!

En d’autres termes, nous disposons d’assez de gaz dans le sous-sol québécois pour répondre à notre consommation pendant 200 ans. Seulement 30 puits suffiraient à combler notre consommation et achever notre indépendance énergétique ; on est bien loin des discours catastrophiques qui défigureraient la Vallée du Saint-Laurent pour une faible efficacité. La réalité, c’est qu’on se prive d’une ressource abondante, facilement accessible et dont l’impact environnemental serait limité par la proximité géographique des puits.

Maintenant, en termes d’exportation, l’Allemagne était prête à signer un contrat de 20 ans avec nous, mais a dû se rabattre sur un contrat de 15 ans avec le Qatar. Notre refus de l’alimenter a un fort coût environnemental considérant qu’elle doit s’approvisionner dans des régions plus lointaines. En effet, la distance entre le port de Bécancour et le port de Wilhelmshaven en Allemagne n’est que de 3440 milles nautiques contre les 6116 milles nautiques qui le sépare de la Nouvelle-Orléans et les 7412 qui le sépare de Doha au Qatar.

Laisser les régions décider d’elles-mêmes

Ensuite, Pierre Charbonneau, chargé de cours à l’UQAC et porte-parole de Nos régions! Nos décisions! est venu apporter la perspective du développement régional de tels projets. Selon lui, il serait plus juste de laisser les régions décider d’elles-mêmes si elles veulent aller de l’avant dans l’implantation de projets d’exploitation ou d’acheminement gazier.

Notamment, il souligne le support régional pour GNL Québec au Saguenay, et à quel point le projet aurait pu aider à diversifier l’économie régionale, qui dépend en ce moment trop de l’industrie de l’aluminium ou des pâtes et papier. (On se rappelle d’ailleurs que les impératifs de la transition énergétique pilotée par le ministre Fitzgibbon met en danger des milliers d’emplois dans les alumineries). De plus, il souligne qu’outre la fonction d’exportation qui était prévue pour l’usine de liquéfaction et le port méthanier, la connexion d’un gazoduc dans la région aurait aussi pu approvisionner le Saguenay, qui, il n’y a pas si longtemps, était nettement desservi.

M. Charbonneau critique aussi le fait que les rapports défavorables du BAPE se basent sur un soi-disant manque d’acceptabilité sociale, alors qu’au contraire, une majorité de Saguenéens appuient le projet. De plus, toutes les décisions prises se font strictement dans une optique écologiste et ne prennent pas en compte les facteurs économiques. Justin Trudeau avait d’ailleurs consacré cette tendance quelque peu malhonnête dans sa formulation désormais célèbre qu’il « n’y a pas d’opportunité d’affaire pour le gaz naturel au Canada », un mensonge éhonté.

M. Charbonneau vient aussi souligner les failles dans la contre-argumentation de certains écologistes qui, à l’argument que le gaz naturel contribue à la diminution des GES en remplaçant le charbon allemand, opposent le fait que le coût environnemental du déplacement l’emporterait sur celui du charbon qui, quoique très polluant, est au moins local. Il n’en est rien ; les chiffres confirment le contraire. Non seulement le charbon allemand est en large partie du lignite encore plus polluant, mais l’Allemagne doit quand même s’approvisionner dans des régions plus éloignées et le gaz canadien et québécois aurait l’avantage d’être liquéfié à l’hydroélectricité, dans un climat plus froid et plus avantageux tout en étant plus proche que n’importe quelle autre source actuelle.

De nouveaux barrages?

Outre les considérations autour du potentiel gazier québécois, la nécessité de construire de nouveaux barrages est évidemment à l’ordre du jour en politique québécoise. Pour analyser la situation, Pierre Gingras, ingénieur industriel spécialisé dans les projets de barrages hydroélectrique, était invité pour en discuter.

Selon lui, l’échéancier sur 30 ans proposé par la CAQ est un peu exagéré et il serait possible d’accélérer significativement la mise en place de nouveaux projets.

Au cours de sa présentation il fait état de nombreux projets intéressants, notamment un barrage de 2 GW à proximité du projet de Gull Island, qui pourrait être accompli en 6 ans pour 4 milliards de dollars. Une dernière rivière où serait possible un projet dépassant les 1 GW se trouverait sur la Côte-Nord, mais comme le bassin créé s’étendrait jusqu’au Labrador, une négociation avec ce dernier serait essentielle.

Les négociations avec Terre-Neuve-et-Labrador sont d’ailleurs incontournables, notamment dans le dossier de Churchill Falls, dont l’entente arrive à échéance.

Maintenant, l’une des principales limitations réglementaires qui étouffent le développement énergétique québécois tient aussi du fait que tout projet hydroélectrique de plus de 50 mégawatts doit être fait par Hydro-Québec. C’est donc dire qu’on empêche le privé d’investir dans des projets somme toute limités, contrairement à ceux dans l’éolien, où la limite est de 400 mégawatts. Bref, comme le souligne M. Gingras, Hydro-Québec, qui est une méga-entreprise, ne cultive pas vraiment d’intérêt pour de si petits projets qui pourraient pourtant être bénéfique pour de petites communautés. Rehausser la limite au même niveau que l’éolien (400 MW) pourrait permettre un meilleur approvisionnement et stimuler certaines régions isolées.

En outre, M. Gingras considère que dans les circonstances actuelles où nous nous dirigeons vers des pénuries, nous ne vendons pas assez cher notre électricité aux américains et devrions plutôt prioriser les Québécois.

Se sacrifier par signalement de vertu?

Selon Michel Kelly-Gagnon, de l’Institut économique de Montréal, tous ces discours de sobriété énergétique et les sacrifices que nous accomplissons d’un point de vue énergétique sont vains et ne relèvent que du signalement de vertu. Il explique avec acuité comment la Chine, le plus grand émetteur de GES au monde, annule l’ensemble de nos efforts annuels en seulement quelques jours.

Avec raison, il y a lieu de se demander si sacrifier le développement économique de notre nation pour les décennies, voire le siècle à venir vaut réellement la peine. La réalité, c’est que le jeu n’en vaut pas la chandelle et que nos immenses efforts n’ont qu’un impact extrêmement limité sur les émissions mondiales. Nous serions donc en train de sacrifier notre prospérité simplement pour une question de paraître.

D’autant plus que la prospérité économique est l’un des prérequis pour transitionner vers des énergies plus propres. Plus l’économie se développe, plus de nouvelles techniques émergent et permettent de meilleures pratique. Ainsi, sacrifier notre développement économique, à terme, compromet nos capacités à devenir plus vert à l’avenir.

Il a d’abord fallu exploiter du charbon pour cesser de raser les forêts européennes au début de l’ère moderne, et ensuite, il a fallu développer le raffinage du pétrole pour cesser la chasse aux baleines qui étaient nécessaires pour l’éclairage aux lampes à l’huile, il a fallu développer le gaz naturel pour cesser d’utiliser du charbon, etc. C’est tout aussi vrai aujourd’hui et ce sont les sociétés les plus développés, et donc les plus consuméristes, qui sont actuellement le fer de lance de l’écologisme.

Bref, ne pas exploiter nos ressources actuelles revient à faire stagner l’avancée du progrès qui mène à un monde plus vert.

Vers la carbo-neutralité?

Enfin, Normand Mousseau de l’Institut Trottier, qui produit annuellement un rapport sur l’État de l’énergie au Québec, était de passage pour parler de carbo-neutralité. Représentant en quelque sorte une voix dissonante parmi les autres panélistes, il considère important de respecter la loi qui nous impose d’atteindre la carbo-neutralité d’ici 2050. Or loin de promouvoir la décroissance ou de vouloir empêcher le développement de notre énergie, il mise plutôt sur l’émergence des nouvelles technologies de captage de carbone.

Souvent raillées et caractérisées comme étant utopiste, ces nouvelles technologies enregistrent pourtant de nets progrès depuis quelques années.

D’abord, M. Mousseau explique qu’en ce qui a trait au captage du carbone émanant des dépotoirs, le procédé est plutôt simple : il suffit de couvrir le dépotoir d’une pellicule plastique pour ensuite venir capter directement les émanations et réutiliser les gaz comme carburants. C’est en quelque sorte la technologie de captage de carbone la plus basique.

Il affirme aussi que l’hydrogène bleu, c’est à dire la production d’hydrogène avec du gaz naturel avec des technologies de captage de carbone, aurait le potentiel de réduire nos émissions. Or la chose concerne plus l’ouest qui, lui, exploite son gaz.

Mousseau a aussi tenté de défendre le point que Terre-Neuve-et-Labrador, qui exploite ses hydrocarbures, est pourtant proche de la faillite. Or ironiquement, ce n’est pas son exploitation d’hydrocarbures qui l’ont coulé économiquement – au contraire – mais leur entente désavantageuse avec le Québec depuis les années 60 autour de Churchill Falls qui a eu pour résultat un refus de collaborer avec Hydro-Québec pour le projet catastrophique de Muskrat Falls. Bref, on pourrait dire que c’est plutôt l’hydro-électricité qui leur a nui.

Mousseau se montre aussi extrêmement critique de la bourse du carbone, qu’il considère une « fraude comptable » car loin de réduire les émissions, elle ne donne que des passe-droits aux gros émetteurs qui refilent ensuite la facture aux distributeurs qui, eux, la refilent au consommateur. D’autant plus que dans cette dynamique, Mousseau affirme qu’au bout du compte, cela fait en sorte que le Québec subventionne la modernisation de l’économie californienne. Le concept de bourse du carbone est donc remis en question ; une simple taxe carbone permettrait au moins aux capitaux de rester sur le territoire.

Le PCQ pro-énergie

Bref, c’était un colloque extrêmement exhaustif sur les questions énergétiques québécoises qui change du discours monolithique ambiant qui se concentre autour d’Hydro-Québec et de l’électricité. La diversité énergétique est primordiale dans la santé économique d’une nation et c’est dans ces circonstances qu’Éric Duhaime, qui concluait l’évènement par un discours, a réaffirmé son soutien à l’exploitation de nos ressources.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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