Ndlr : « Basé », « Based » en anglais, est une expression mémétique signifiant quelque chose d’étonnamment « terre à terre », empruntant souvent à la simplicité et l’humilité du mode de vie conservateur ou traditionnel. En bon québécois, nous pourrions aussi dire « groundé ».
La comédie fantaisiste basée sur l’iconique poupée manufacturée par la société Mattel connaît un succès retentissant au box-office. En date du 31 juillet 2023, le film Barbie avait engrangé un total mondial de 795,7 millions de dollars, alors que son budget s’élevait à 145 millions. Le succès n’est pas étonnant, d’abord parce qu’il s’agit de la première production en prise de vues réelles mettant en scène l’univers rose flamboyant de Barbie. Aussi parce que la campagne de marketing a été estimée à 150 million de dollars – soit davantage que le budget de production. Le film, qui est d’ailleurs une production de la division Mattel Films, suscite une vaste gamme de réactions depuis sa sortie en salle.
La poupée Barbie a été créée en 1959 par Ruth Handler, l’épouse du cofondateur de la société de jouets Mattel, Elliott Handler. Tel qu’on l’explique d’entrée de jeu dans le film, Barbie a été l’une des premières poupées à représenter une femme adulte, plutôt qu’un bébé ou un enfant. Avec ses traits fins, sa silhouette mince et ses cheveux blonds, Barbie s’est imposée comme standard de beauté emblématique. Cependant, la poupée a également suscité des critiques concernant l’idéal de beauté irréaliste qu’elle véhiculait et les pressions qu’elle pouvait exercer sur les jeunes filles pour ressembler à une image stéréotypée, voire inatteignable, de la perfection. Outre, son manque de diversité en termes de couleurs de peau et de caractéristiques physiques a été critiquée comme ne reflétant pas la diversité réelle de la population.
Dans les années 1960 et 1970, de nombreuses tenues et accessoires de Barbie étaient centrés autour de la mode et des activités liées au foyer, comme le ménage et la cuisine. Les féministes ont d’ailleurs souvent accusé Barbie de limiter les ambitions des jeunes filles en perpétuant les stéréotypes de genre. La Barbie et le féminisme sont loin d’avoir été des alliées traditionnelles.
En réponse à ces critiques, Mattel a subséquemment lancé des campagnes publicitaires visant à changer la perception de sa poupée Barbie, mettant l’emphase sur l’émancipation et la confiance en soi, pour montrer que les filles sont capables de poursuivre leurs rêves et aspirations, quelles qu’elles soient. Afin de promouvoir des modèles positifs, Mattel a aussi crée de nouvelles poupées Barbie à l’effigie de femmes célèbres, par exemple des athlètes et scientifiques.
Depuis 1968, année ou Mattel a introduit Christie, la première Barbie noire, la famille des poupées Barbie n’a cessé de s’agrandir. Elles sont d’ailleurs trop nombreuses pour toutes les énumérer. En 1988, il y a eu Barbie Teresa, l’amie hispanique de Barbie. En 1990, Barbie Kira, son amie asiatique. En 2017, Mattel a lancé une première poupée Barbie portant le hijab, inspirée par l’escrimeuse américaine Ibtihaj Muhammad, la première femme musulmane américaine à porter le hijab aux Jeux olympiques. Dans le cadre de sa gamme « Fashionistas », Mattel a lancé des poupées en surpoids, ainsi qu’une Barbie à mobilité réduite, une Barbie malentendante et une Barbie trisomique. En 2022, la première poupée Barbie transgenre a été commercialisée, à l’effigie de la vedette de la série « Orange is the New Black », Laverne Cox. Selon Mattel, ces poupées Barbie sont conçues pour célébrer la « diversité et l’inclusion ». La proximité de Barbie et de l’aboutissement intersectionnel du féminisme apparaît ainsi plus marquée.
Le film, qui est coécrit et réalisé par Greta Gerwig, prend place dans Barbieland, une société matriarcale exclusivement dirigée par des femmes, où réside joyeusement une grande variété de Barbies. La présidente est une Barbie de race noire, élément qui n’a rien de problématique, mais qui indique que la production a pris soin de cocher toutes les cases de la bien-pensance « diversitaire et inclusive ». Barbie Docteur est personnifiée par Hari Nef, une figure emblématique de la communauté transgenre. Ce personnage reste peu ébauché, mais le choix de casting est un moyen d’inclure une Barbie transgenre dans la distribution.
Les homologues masculins des Barbies, les Kens, sont basés sur la poupée créée en 1961 en tant que petit ami de Barbie. Ce sont des personnages superficiels qui passent leur temps à profiter des plaisirs de la plage. Le Ken principal n’est heureux qu’en compagnie de Barbie, mais celle-ci le repousse constamment. On retrouve aussi le personnage d’Allan, le meilleur ami de Ken, ajouté à l’univers Barbie en 1964.
Dans l’univers rose de Barbieland, personne n’a de parties génitales et personne ne vieillit. Les douches sont sèches, parce qu’il n’y a pas d’eau. Chaque journée est la meilleure, telle que la veille et le lendemain.
Quand Barbie tombe proie à des préoccupations et incapacités qui minent sa routine quotidienne, elle décide de partir chercher la petite fille à laquelle elle appartient dans le monde réel afin de pouvoir guérir. Ken, qui l’a accompagné dans son périple, prend plaisir à découvrir un système patriarcal où il se sent valorisé. Ken retourne à Barbieland et convainc les autres Kens de prendre le pouvoir. Suite à un lavage de cerveau, les Barbies sont asservies et réduites à des rôles stéréotypés tels que servantes ou petites amies conciliantes. Quand Barbie rentre à Barbieland accompagnée de sa propriétaire pré-adolescente Sacha et de Gloria, la mère de celle-ci [qui lui transférait involontairement ses états d’âmes], elle tente de rétablir le régime matriarcal, mais en vain. Gloria convainc les Barbies de se libérer de la domination des Kens. Les Barbies dupent alors leurs Kens respectifs, en leur faisant croire qu’elles ont des vues sur un autre. Ce subterfuge sème la zizanie entre eux, ce qui les empêche d’instaurer une constitution consacrant la supériorité masculine.
Allan, le seul personnage masculin qui n’est pas un Ken, collabore avec les Barbies pour restaurer le matriarcat. Il représente potentiellement l’homme gai, traditionnel allié de la cause féministe, même s’il n’est jamais explicitement désigné comme tel.
À la fin, après une conversation avec sa créatrice Ruth Handler, Barbie choisit de rejeter l’utopie et de quitter le monde matriarcal de Barbieland pour aller vivre une vie complète dans le monde réel en tant qu’humaine, en ayant conscience que cette décision implique le vieillissement et une mort certaine. La scène finale montre Barbie portant ses vêtements du monde réel se faisant déposer devant un bâtiment par Gloria, Sasha et le père de Sasha. Elle entre dans un bureau, et alors qu’on suppose qu’il s’agit d’un entretien d’embauche, elle demande à voir son gynécologue.
« Je voulais finir sur une blague qui fait l’effet d’une chute de micro, mais je trouve aussi ça très émouvant », explique Greta Gerwig, ajoutant qu’elle souhaitait aussi que « tout fonctionne à au moins deux niveaux ».
Si le film a été décrié par des chroniqueurs conservateurs comme étant un véhicule de propagande woke, c’est parce que le scénario donne lieu à de longs monologues qui font un emploi abusif du mot « patriarcat ». Ceux-ci sont hélas livrés sans la pointe d’ironie qui aurait facilité un second niveau d’analyse.
La posture moralisatrice du film nuit également à l’appréciation de la direction artistique, qui est spectaculaire [il faut rendre à Barbie ce qui revient à Barbie]. Les prises de vue de cet univers rose donnent carrément dans le psychédélique. La production de Barbie aurait néanmoins pu rendre un film léger sans biais idéologique, appréciable par tous, peu importe les sensibilités politiques.
Un autre irritant relevé dans les critiques: le portrait de l’homme hétérosexuel, qui conformément aux standards de la normalité woke, n’a pas le beau rôle dans le film Barbie. Incarné par Ken et les siens, il est tantôt présenté comme un décérébré superficiel, tantôt comme un dominateur qui vise à diriger les femmes. Les Kens sont toutefois plus attentionnés à l’endroit des Barbies dans le Barbieland patriarcal que les Barbies ne le sont à l’endroit des Kens dans la société matriarcale. Rapport à l’objectification, les Kens ont tous le physique svelte, alors que les Barbies ne semblent pas soumises à la même rigueur.
Tandis que la chroniqueuse Sophie Durocher et Ben Shapiro du Daily Wire n’ont pas grand commentaire positif à émettre sur le film, d’autres en font une lecture entièrement différente. C’est le cas de Michael Knowles [également du Daily Wire] qui, sur Twitter, a qualifié le film de formidable et Greta Gerwig de « génie ». Connor Tomlinson des Lotus Eaters et la YouTubeuse Shoe0nHead considèrent que Barbie est une perle anti-woke, parce que le film expose involontairement les manoeuvres et les inconsistances du féminisme woke. Mot clé: involontairement.
On peut aussi y voir la récupération du wokisme par le capitalisme corporatiste, à moins que ce ne soit l’inverse. Dans un cas comme dans l’autre, ce ne serait pas nouveau. L’union a été consommée sur l’autel des critères ESG il y a de cela plusieurs années.
Plus cyniquement, on peut y voir une campagne publicitaire spectaculaire pour stimuler les ventes de poupées Barbie; une info-publicité léchée pour laquelle les gens sont prêts à débourser une douzaine de dollars. Après tout, c’est Mattel qui produit le film. Au cours des six premiers mois de 2023, malgré le buzz autour du film en attente de parution, les ventes de Barbie avaient diminué de 23% par rapport à la même période en 2022.
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