Nous savions déjà que le projet de loi C-11, qui vise à réglementer le contenu en ligne, posait un risque pour la liberté d’expression ; désormais l’Assemblée mationale s’inquiète à raison que ces nouvelles compétences du CRTC n’empiètent sur ses champs de compétence en culture.

Les projets de loi C-11 et C-18 du gouvernement fédéral font depuis quelques mois controverse. En effet, beaucoup de gens s’inquiètent que le gouvernement s’accapare trop de pouvoir sur le web et puisse par le fait même y effectuer une censure directe et indirecte.

D’abord, rappelons que C-11 vise à subordonner les procédés algorithmiques des grandes plateformes web aux normes du CRTC. C’est-à-dire que l’État canadien aura son mot à dire sur le contenu qui vous est présenté sur le web, ce qui implique un risque évident de dérapage, de censure et d’isolement général du web canadien par rapport au reste du monde. Ça implique aussi qu’un contenu qui serait jugé contraire aux normes du CRTC – ou simplement moins représentatif de celles-ci – serait désavantagé d’un point de vue algorithmique par rapport à du contenu « dans les rangs ».

Ajoutez à cela le projet de loi C-18, qui veut forcer les plateformes à payer les médias jugés légitimes (selon l’organisation journalistique canadienne qualifiée), et vous avez un cocktail parfait pour profondément déstabiliser l’écosystème du web ; ses algorithmes autant que sa monétisation.

Les petits créateurs non qualifiés et les organisations médiatiques potentiellement controversées seraient, encore une fois, désavantagés tant en termes de portée qu’en termes de monétisation.

Dit simplement ; le gouvernement aura plus de pouvoir sur ce qui est publié sur le web et sur qui devrait être payé.

Maintenant, après avoir été adopté par la Chambre des Communes, avec l’appui du Bloc Québécois et des Néo-Démocrates, le projet de loi libéral, férocement contesté par les conservateurs, a été fortement amendé puis accepté par le sénat. Il est donc de retour pour une dernière lecture à la Chambre des Communes, une occasion pour le Bloc de se raviser.

En effet, réalisant l’impact énorme que cette loi aura sur la culture, l’Assemblée nationale du Québec a adopté à l’unanimité une motion pour demander à ce que soit inclus un mécanisme de consultation obligatoire du Québec au sujet des orientations du CRTC sur la question.

Une part énorme de la culture se déroule désormais sur le web ; il est simplement normal que le Québec, s’il veut préserver l’intégralité de son champ de compétence dans le domaine, revendique ce genre d’assurance. Que la chose ait été dans l’angle mort du Bloc Québécois est un peu gênant, et il semble un peu tard pour s’en plaindre, mais cette seconde lecture lui offre au moins la chance de se reprendre.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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