Ce que l’English week au cégep Garneau dit de notre époque du tout à l’anglais

Une semaine au Québec ne serait pas complète sans une nouvelle controverse concernant la présence de l’anglais dans nos vies quotidiennes. Cette fois-ci, c’est suite à la publication du département des langues du Cégep Garneau qui encourage la communauté étudiante et les enseignants à parler anglais durant une semaine. Pas besoin de dire que c’est non seulement maladroit, mais aussi symptomatique de notre rapport trouble à l’anglais depuis la conquête de 1760. Quelques réflexions à ce sujet.

Plusieurs chroniqueurs, tels que Loïc Tassé et Richard Martineau, ont soulevé des points intéressants en dénonçant l’initiative. Que l’anglais n’a pas besoin d’une semaine au Cégep pour afficher son « ouverture sur le monde », de même le fait que plusieurs jeunes Québécois s’expriment mieux en anglais qu’en français, et que ceux-ci consomment massivement des films, séries et chansons en anglais. S’il est vrai que la qualité du français fait souvent défaut à l’école, c’est justement, car il n’est pas assez valorisé.

Depuis notre plus tendre enfance, nous, Québécois, nous nous sommes fait dire par nos parents que l’anglais était « important pour aller loin dans la vie ». Plusieurs parents ont déploré ne pas avoir accès aux écoles anglaises pour leurs enfants. Pourtant, jamais rien n’est dit sur l’importance d’un français de qualité pour travailler, s’instruire et se cultiver.

Les enfants francophones, qui ont eu la « chance » d’accéder à l’école anglaise, ont pour la plupart des carences importantes en français. Ceux-ci ont bien souvent du mal à intégrer le cégep français, ou à s’exprimer au quotidien. Bien sûr, les vox pop de Guy Nantel ne sont pas un échantillon représentatif, mais lorsqu’il interroge une étudiante québécoise au collège Dawson, celle-ci est incapable de dire le mot en français lorsque Nantel lui présente un trombone.

Personnellement, c’est une chose que j’ai constaté avec plusieurs connaissances qui ont fréquenté une école anglaise durant leur enfance, ou qui ont étudié après le secondaire soit au cégep ou à l’université en anglais. Cependant, de nos jours, plus besoin de fréquenter ces écoles en bas âge pour avoir des lacunes en français. Qu’il s’agisse de Netflix, Spotify et Disney+, ceux-ci offrent énormément de contenu en anglais, et très peu en français. Pour le contenu québécois, nul besoin de mentionner qu’il est quasi inexistant sur les plateformes de streaming.

L’anglais est vu comme la langue de la « modernité », et pour reprendre un terme très orwellien, « inclusive ». Comme si le français ne permettait pas l’ouverture sur plusieurs pays d’Europe, d’Afrique, sur la « diversité » francophone des Amériques et l’histoire élargie de la France dans le monde.

L’anglais n’a pas besoin d’une semaine supplémentaire de promotion auprès des étudiants. Et les enseignants ont un rôle à jouer dans la transmission culturelle. Bien trop souvent, un certain relativisme sur la culture québécoise s’est installé chez certains administrateurs ou enseignants. Par exemple, certains affirment que l’histoire occidentale ou québécoise serait de trop, car elle ne « reflète pas la diversité culturelles des étudiants ». Ou bien que certains classiques québécois comme Maria Chapdelaine sont « ennuyeux » et « poussiéreux » pour être présentés à des jeunes en 2023.

Les Denis Drolet et leur « spique in engliche », c’est l’injonction que nous entendons trop souvent dans les commerces, à la fois des clients et des employés. Le français est toujours dévalorisé comme la langue des gens « fermés ». Pourtant, imaginez le tollé qu’une semaine de la langue française ou de la culture québécoise aurait provoqué dans un cégep anglophone.

Le manque d’ouverture ne se trouve pas chez les québécois. Combien de fois avons-nous entendu parler des autochtones anglicisés qui se sont plaints de la loi 96 comme d’un projet « génocidaire » et « assimilationniste »? Génocidaire, rien de moins! Pourtant, ce sont seulement des cours de français adaptés au niveau de l’étudiant qui sont exigés. Pourquoi nous ne blâmons pas le manque d’ouverture des étudiants autochtones et anglophones à l’égard du français?

Le Cégep est censé être une porte ouverte vers la vie en société. Et pour s’impliquer politiquement, se cultiver, travailler, il importe d’avoir un socle culturel commun. On oublie trop souvent que les étudiants ne sont pas là pour avoir des cours à la carte, pour prendre seulement ce qu’ils veulent. Mais pour suivre une formation générale. L’idée de l’étudiant roi qui pourrait décider de ne pas suivre tel cours, ou d’aborder tel sujet, est profondément malsaine. À quoi bon dans ce cas maintenir l’école si on ne permettrait pas tout simplement à ceux-ci de se former sur ce qu’ils veulent sur Tik Tok ou YouTube?

Il faut à la place investir dans notre culture, la rendre encore plus intéressante, et surtout sensibiliser les jeunes à sa richesse. Arrêter de toujours trouver des excuses comme quoi « l’anglais, on peut y faire, c’est la vie ». Et surtout en finir avec un certain relativisme qui dit qu’il n’y a aucune vérité ou réalité objective. Oui, la culture, ça existe. La nation aussi. S’ouvrir sur l’anglais, c’est éventuellement se fermer à notre propre culture. Et comme nous pouvons le constater, depuis que le processus d’anglicisation est enclenché, nous sommes une société plus pauvre et plus fragmentée.

Anthony Tremblay

Après des études en politique appliquée à l'Université de Sherbrooke, Anthony Tremblay s'est intéressé notamment aux questions sociales telles que le logement ou l'itinérance, mais aussi à la politique de la Chine, qu'il a visité et où il a enseigné l'anglais. Il vit à Sherbrooke avec ses deux chiens.

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