Ère Trudeau : un déclin du Canada sur la scène internationale

On en a beaucoup à dire sur les politiques internes de Trudeau ; wokisme et réglementations environnementales contraignantes, dépenses négligentes, endettement collectif accéléré, inflation, immigration de masse, crise du logement, enjeux éthiques et ingérences étrangères ; les sujets ne manquent pas et dressent un portrait peu reluisant de nos dernières 8 années de gouvernement libéral. Une chose, cependant, qu’on a eue tendance à oublier ces dernières années, est le déclin de l’influence du Canada dans le monde et à quel point Trudeau y a contribué. Le récent G20 en est un dur rappel. Petit résumé de 8 ans de politiques étrangères décalées qui ont isolé le Canada sur la scène mondiale.

Élections de 2015 : le Canada à la croisée des chemins

Lorsque Trudeau a été élu en 2015, le monde entier était emporté par la vague d’attentats de l’État Islamique, qui s’était autoproclamé comme le retour du Califat islamique dissous après la première guerre mondiale. Le rythme et la gravité de ces attentats était soutenu et il ne passait pas un mois sans une nouvelle tragédie. Un immense brassage démographique s’activait avec, d’un côté, des millions de réfugiés prenant d’assaut les routes d’Asie Mineure ou de la Méditerranée et, de l’autre, des combattants se rendant en Syrie ou en Irak pour se battre de part et d’autre du conflit.

En réaction, le monde occidental vivait de grands changements politiques et renouait avec une certaine sensibilité nationale, voire même une nouvelle forme de populisme, qui remettait en question la gestion multilatérale du monde. Déjà, avec le Brexit et l’annonce par Donald Trump de sa candidature, une vision radicalement différente de la politique étrangère était en train de se dessiner.

C’est dans ce contexte que Trudeau fut élu, et pourtant, il prit un chemin complètement opposé à cette nouvelle réalité, s’attachant obstinément aux repères traditionnels de l’ordre mondial incarné dans les institutions internationales telles que l’ONU, les G8, G20, les COP, le Forum économique mondial, etc.

Après près de 10 ans de pouvoir conservateur austère, Justin Trudeau était à Stephen Harper ce qu’Obama était à George W. Bush. Les Canadiens voulaient eux-aussi d’un dirigeant moins belliqueux, plus attaché aux causes sociales et plus axé sur la coopération internationale. Les Canadiens voulaient un premier ministre « cool »… Le hic, c’est que l’ère Obama tirait justement à sa fin, et l’élection de Donald Trump annonçait de grands bouleversements dans les relations internationales. Le plan de Trudeau était anachronique, manquait de proactivité et ne fonctionnerait pas dans ce monde changeant.

Déclin du multilatéralisme sous Trump

Quoiqu’on en dise, on ne peut traiter de politique internationale sans prendre en compte l’influence américaine. Les présidents de cette super-puissance déterminent pour un large part les modalités des rapports entre les nations et sont souvent à l’origine des changements de trajectoires. Dans le cas qui nous concerne ici, l’élection de Donald Trump, un an après celle de Trudeau, mettra en relief le décalage entre les politiques canadiennes et celle du reste du monde.

Trump arriva au pouvoir avec des politiques extrêmement disruptives dans un ordre mondial qui s’était assis sur ses lauriers pendant de nombreuses années.

D’abord, en ce qui a trait aux enjeux de sécurité, il renouera avec une philosophie plus martiale, incarnée dans l’expression « Peace through strenght », popularisée par Ronald Reagean. Là où Obama, voulant se démarquer de Bush, avait tenté de désengager les forces américaines déployées au Moyen-Orient par de nouvelles stratégies asymétriques, comme l’usage intensif de drones et une plus grande volonté de négocier – comme par exemple avec l’accord sur le nucléaire iranien – Trump préférera le franc-parler et le langage de la force.

Obama annonçait un « combat générationnel » contre l’État islamique ; Trump affirma simplement vouloir « bomb the shit out of them » et de concert avec une Russie tout autant brutale et les alliés locaux, vaincra l’État terroriste l’année suivante. Trudeau, pour sa part, avait retiré les F-18 envoyé par Harper en tout début de mandat, signifiant une plus grande frilosité canadienne à user de la force.

Trump se retirera de l’accord sur le nucléaire iranien, qui accordait à l’État islamiste des milliards de dollars, pour renouer avec un régime de sanctions extrêmement sévère. Il sera tout autant sévère avec la Corée du Nord, qu’il poussera dans ses derniers retranchements avec des menaces d’annihilation nucléaire lors de la saga du « gros bouton ». Bref, les États-Unis affichaient clairement leur intention de rester fermes sur leurs positions et d’envoyer le message clair qu’ils n’hésiteraient pas à user de la force si nécessaire.

Mais surtout, ils régleraient leurs comptes au cas par cas, dans des relations bilatérales, et n’attendraient pas après les lourdeurs bureaucratiques et diplomatiques des institutions internationales. En quelques mois, il était devenu clair que le vrai pouvoir mondial et la vraie diplomatie ne passaient plus par les grandes rencontres internationales ; il faudrait désormais jouer du coude à coude et négocier d’États à États.

Cette nouvelle réalité n’affectait pas seulement les enjeux de sécurité ; Trump remettait aussi en question les rapports commerciaux et souhaitait les renégocier, eux-aussi, au cas par cas. De la sorte s’engagea une guerre commerciale contre la Chine – et le début de rapports beaucoup plus tendus avec cette nouvelle super-puissance – et la renégociation de l’Aléna, qui mit beaucoup de pression sur le ministère canadien des Affaires étrangères.

Dans tout cela, la vision politique des relations internationales de Trudeau devenait complètement caduque. Le premier ministre canadien avait espéré évoluer au travers d’institutions internationales qu’il connaissait bien et le rendaient confortable, il avait espéré pouvoir fédérer les nations ensemble dans une coopération pacifique et tempérée où le Canada disposait d’une grande crédibilité de médiateur, or la nouvelle réalité faisait en sorte que ces institutions étaient de plus en plus ignorées et laissées de côté.

Alors qu’en 2018 Trump parvenait à lancer des pourparlers avec Kim-Jung Un, qu’il avait insulté pendant des mois, et qu’il parvenait à rencontrer Vladimir Poutine malgré les investigations sur une supposée aide de la Russie pendant les élections de 2016, Trudeau, pour sa part, visitait l’Inde dans des accoutrements ridicules, faisant de lui une risée, sans même parvenir à rassurer le géant indien sur l’activisme Sikh au Canada. Pendant l’été, il avait eu l’honneur d’accueillir le G7 à Québec, mais l’évènement avait tourné en vraie farce, toutes les caméras étant braquées sur un Trump en retard et peu respectueux des procédures autour de qui, pourtant, tous les chefs d’États voulaient graviter. L’amertume de Trudeau, qui souhaitait faire de l’évènement un grand rassemblement international qui ferait rayonner le Canada, était palpable au point de se terminer en prise de bec avec le président américain qui le traita alors de « faible » de ne pas avoir eu le culot d’exprimer ses déceptions en face à face.

Le lendemain de ce sommet avait des apparences de fin d’époque : le G7 semblait complètement désuet. Désormais, ce sont les relations bilatérales qui étaient maîtres, ce qui signifiait aussi que les relations diplomatiques des États étaient davantage déterminées par leur véritable poids économique et politique dans le monde. Le Canada de Trudeau ne pouvait plus bénéficier d’un statut privilégié dans les institutions internationales, il devrait dorénavant faire valoir ses intérêts au cas par cas comme son voisin du sud. Une catastrophe pour Trudeau, qui s’avérera très mauvais pour bâtir des relations avec ses homologues.

Covid-19 : la réplique mondialiste

La pandémie de Covid-19 à partir de 2020 vint mettre un terme à cette nouvelle dynamique internationale. Certes, chaque pays gérait l’enjeu de manière indépendante, avec certains analystes affirmant même le retour de la prééminence nationale – en temps de crise, c’est l’État national qui porte le poids de l’enjeu. On a même vu certains cas de « free for all » avec, par exemple, des lots de matériels médicaux négociés à la hâte sur des tarmacs aux dépens de certains pays amis. Mais avec le recul, on peut dire qu’il s’agissait en fait du retour de la coopération internationale et de la coordination des politiques nationales dans les institutions traditionnelles.

L’importance de l’Organisation mondiale de la santé et de ses prises de positions, l’alignement généralisé des États en ce qui concerne les mesures sanitaires, le masque, les confinements, l’organisation mondiale des campagnes de vaccinations, etc. Sans parler non plus des liens occultes des entreprises d’expertise-conseil agissant dans tous les pays dans l’élaboration de ces politiques ; tout indiquait un retour des forces supranationales et d’une coopération internationale marquée par un renouveau mondialiste.

D’autant plus que Trump est éjecté du pouvoir et même banni de la majorité des médias, signifiant une répudiation complète de son héritage… On pourrait dire que pour beaucoup de gens, c’était « back to business as usual ».

On a rarement vu un tel alignement international qu’en cette période de pandémie et de post-pandémie. Bien vite, tous les chefs d’États ont commencé à réciter « Build Back Better » et « Great Reset » comme un mantra. Les institutions internationales telles que le Forum économique mondial ont recommencé à être prise au sérieux et les dirigeants ont recommencé la consolidation de cet idéal mondialiste où les États-nationaux devraient s’effacer et taire leurs intérêts pour le « bien commun ». Et d’une manière tout à fait radicale, tout critique du mondialisme et de ces institutions étaient désormais considérée comme « complotiste ». La volonté de revanche était évidente.

Avec le retour de ce type de politique internationale, Trudeau a dû pousser un soupir de soulagement. Joe Biden, au sud, signifiait le retour d’une politique internationale gérée par les institutions supranationales et un type de politique semblable à celle d’Obama, que Trudeau avait tant souhaité poursuivre en 2015. Le Canada pouvait enfin évoluer dans un milieu qu’il connaissait.

Guerre en Ukraine ; quand la réalité rattrape l’idéal

Or ce retour de la coopération internationale était tout à fait factice. C’était un trompe-l’oeil strictement destiné aux populations occidentales. En réalité, le monde avait profondément changé et était plus divisé que jamais. Les relations entre la Chine et l’Occident s’étaient dégradées considérablement, et ce, jusqu’à un point de non-retour. Et pour envenimer encore davantage la situation, le déclenchement d’une guerre entre la Russie et l’Ukraine et la mobilisation monstre qui s’ensuivit en occident vint littéralement plonger le monde dans une nouvelle guerre froide.

Ainsi, la coopération internationale renaissante s’est faite en vase clos entre différentes sphères d’influence. Encore une fois, le Canada devrait se contenter d’être spectateur des évènements qui agiterait les super-puissances.

Non seulement ça, mais aussi, malgré un immense soutien à l’Ukraine, le Canada de Trudeau, d’une négligence absolue en termes de défense, se retrouvera à devoir défendre une posture martiale sans qu’il s’en donne nécessairement les moyens, apparaissant une fois de plus comme une vraie farce. Non seulement nous sommes loin d’atteindre les 2% du PIB en défense requis au sein de l’OTAN, non seulement Trudeau affirme ouvertement que nous ne les atteindrons jamais, mais en plus, nous allons jusqu’à refuser de vendre du gaz à l’Europe pour l’aider à se défaire de sa dépendance au gaz russe! L’énergie est pourtant le nerf de la guerre, mais le Canada, qui pourrait être une superpuissance énergétique, choisi la voie incertaine de la « transition énergétique »…

Et ensuite, Trudeau déballe ses discours prémachés dans les sommets mondiaux, affirme la nécessité de contrer la Russie et monte ses argumentaires en papier. Mais personne n’est dupe et personne ne prend ce gars cool et woke au sérieux. Même Biden, en plein déclin cognitif, s’en tire mieux que Trudeau. Le nombre de séquences vidéos montrant comment Trudeau a l’air d’un enfant d’école dans les réunions internationales est tout simplement sidérant. Face à Xi, il semble terrifié. Ça se voit dans son visage.

Ingérences chinoises

D’ailleurs, si l’affaire des ingérences chinoises est un enjeu interne, il concerne aussi en grande partie nos relations à l’international. Les scandales qui ne cessent de s’accumuler au sujet d’ingérences chinoises dans la politique canadienne et particulièrement dans les réseaux libéraux viennent s’ajouter à cette série de discrédits du Canada sur la scène mondiale. Le pays est une vraie passoire pour les espions, et les Chinois ne sont d’ailleurs pas les seuls. La République islamique d’Iran aussi fait opérer des agents sur notre territoire pour intimider les irano-canadiens qui oseraient parler contre le régime. Et tout récemment, Jody Thomas ajoutait l’Inde à la liste!

On dit souvent que le Canada est un pays « ouvert sur le monde ». Et bien, c’est tout à fait vrai. C’est un buffet ouvert pour n’importe qui et même les puissances les plus prédatrices.

Comment croyez-vous que ça se transcrit dans les relations entre le gouvernement Trudeau et l’étranger? On en a eu un bel exemple lors de l’accrochage entre Xi Jinping et le premier ministre l’an passé. Xi reprochait à Trudeau de l’avoir critiqué de manière inacceptable dans son dos et affirmait qu’il pourrait y avoir des conséquences. Non seulement la Chine envoie des tonnes d’espions sur notre territoire et essaie de s’ingérer dans nos élections, mais en plus de ça, son dirigeant se permet de gronder notre ado de service qui fait figure de premier ministre!

Modi n’a pas de temps à perdre

Il ne faut donc pas s’étonner si Narendra Modi semble si froid dans ses rencontres avec Justin Trudeau. On pourra toujours parler de l’enjeu de l’activisme de Sikhs radicaux au Canada et des liens de certains membres du gouvernement avec cette communauté. On pourra bien parler de la maladresse de Trudeau dans ce dossier. Mais il faudra aussi prendre en considération les rapports de force, de crédibilité, et la capacité de Trudeau à forger des relations avec ses homologues.

Ce que les médias indiens ont rapporté cette semaine, dans la saga du G20, de l’avion brisé et cloué au sol et du séjour allongé de Trudeau en Inde, c’est son absence de certains évènements organisés à l’initiative de Modi, son refus de profiter de l’occasion pour organiser d’autres rencontres avec des officiels indiens et son isolement dans sa chambre d’hôtel. Il est ahurissant de voir comment Trudeau semble s’écraser dans ces rencontres internationales où il serait censé être comme un poisson dans l’eau.

De toute évidence, les dirigeants mondiaux ne sont plus dupes. Ils voient bien que le Canada de Trudeau a peu à offrir, et que Trudeau lui-même n’est pas un personnage sérieux. Il déclame de belles phrases pour les caméras, mais n’offre aucune garantie ou plan crédible sur quelconque enjeu. Il est plus intéressé par son agenda woke rose bonbon pour le Canada et une vague vision naïve de paix dans le monde que par le fait d’agir comme un véritable partenaire avec ses homologues.

Pendant ce temps, les États-Unis, la Chine, l’Europe, la Russie et tous les autres gros joueurs se déchirent et refaçonnent le monde sans nous. Le multilatéralisme est encore un mirage pour endormir les peuples, et tout est encore une question de rapports bilatéraux entre les États et de rapports personnels entre les dirigeants.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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