Depuis quelques semaines, un phénomène viral crée la controverse sur les réseaux sociaux ; à la question « préféreriez-vous vous retrouver dans un boisé avec un ours ou avec un homme? », des milliers de femmes répondent « avec l’ours » sans hésitation. Une question curieuse et un quasi-unanimisme tout autant invraisemblable pour de nombreux hommes qui y voient une énième manifestation de misandrie en notre époque polarisée.

Selon nos chroniqueuses d’ici, ces femmes ont « de bons arguments » et soulèvent des préoccupations légitimes quant aux hommes qu’elles n’auraient pas face à un ours : l’homme est plus imprévisible, l’ours ne « ne pourrait pas vraiment les violer ou les kidnapper », bien qu’il puisse les tuer « comme un homme »… Et la cerise sur le sundea : on les croirait supposément plus si elles étaient attaquées par un ours.

Selon Madelaine Pilote-Côté, « beaucoup de femmes ont peur des hommes inconnus dans les sociétés qui s’apparentent à la nôtre et ce n’est pas de leur faute ». D’entrée de jeu, je suis complètement en désaccord : la paranoïa des femmes n’est pas la faute des hommes ou de la société non plus ; elle est activement alimentée par des néo-féministes radicales qui ont fait du mouvement #MeToo une vraie farce.

Que veut-elle dire par « des sociétés qui s’apparentent à la nôtre »? Quoi? L’une des sociétés les plus féministes, ouvertes et progressistes au monde? Quel est son point de référence? Insinue-t-elle vraiment que notre société serait plus hostile que d’autres aux femmes? Mais sur quelle planète vit-elle?

Il est évident que ce genre de discours déconnecté s’inscrit directement dans les discours néo-féministes radicaux qui dépeignent constamment les hommes comme des prédateurs en puissance, des représentants actifs du « boys club » patriarcal, des participants hypocrites à la culture du viol… Dans ces enflures verbales qu’on entend sur toutes les tribunes, on est parvenu à politiser les rapports entre les sexes, et une méfiance réciproque semble croître entre les jeunes femmes et les jeunes hommes.

En effet, de récentes études ont démontré qu’un fossé idéologique énorme sépare les jeunes selon leur sexe. Alors que les jeunes hommes deviennent de plus en plus conservateurs, les jeunes femmes deviennent de plus en plus progressistes.

Cette division politique des jeunes femmes et des jeunes hommes est symptomatique de la polarisation et de la radicalisation des débats actuels, mais l’alimente aussi dans un cercle vicieux. Car plus les femmes deviennent féministes et lancent des accusations de toutes sortent envers les hommes, plus ces derniers sont attirés par la riposte masculiniste incarnée par les Andrew Tate de ce monde. Et plus les hommes sont attirés par ces mouvements contraires, plus les femmes redoublent en alarmisme féministe.

D’autant plus qu’on remarque des disparités hommes-femmes croissantes en termes de relations amoureuses, et que la « culture du dating » à l’ère du numérique enregistre de plus en plus de ratés. On ne peut s’empêcher de remarquer, dans les milliers de vox pop qui exploitent cette tendance en questionnant des jeunes femmes et des jeunes hommes dans la rue, à quel point le fossé idéologique est flagrant.

D’un côté, les jeunes femmes, à coups de « yass queen », sont exubérantes, ambitieuses et n’acceptent aucune limitations en termes d’aventures sexuelles. La liberté sexuelle est assimilée à une forme de libération féministe. De l’autre côté, les jeunes hommes se montrent de plus en plus intéressés de savoir le « bodycount » (le nombre d’aventures antérieures) des femmes et sont de plus en plus nombreux à chercher « une relation sérieuse ». Les hommes font désormais des blagues sur le fait qu’ils ne sont plus aussi intéressés par le sexe et sont plutôt désespérés de se trouver une femme aimante. C’est un complet renversement symbolique par rapport aux décennies antérieures où l’homme était considéré « courailleur » tandis que la femme était plus intéressée de trouver un parti à marier.

Ces deux tendances semblent aussi correspondre assez fidèlement à la division idéologique précédemment mentionnée ; les jeunes femmes sont plus « progressistes » dans cet appétit pour la liberté sexuelle et l’absence d’attachement, et les jeunes hommes, plus conservateurs dans leurs attentes dans leurs relations de couple.

Une certaine frustration semble aussi monter chez les jeunes hommes en raison des attentes tout à fait déraisonnables des jeunes femmes en termes de partenaires. En effet, avec des applications de rencontres qui offrent des choix de partenaires quasi-infini aux jeunes femmes et un bassin extrêmement limité pour les jeunes hommes, on remarque que les attentes féminines sont souvent exagérées et enflées par une attitude « girl power » qui les fait penser qu’elles méritent des hommes riches et parfaits. « Au moins six pieds », « six figures » (dans les centaines de milliers de dollars de salaire), musclé, etc. font désormais partie des critères minimaux pour une majorité de jeunes femmes. Mais les hommes n’osent pas s’en plaindre trop ouvertement, car l’accusation d’incel n’est jamais bien loin…

Bref, difficile de briser ce cycle infernal qui s’auto-alimente, mais on peut à tout le moins désigner le point de départ de cette polarisation : l’ascension du wokisme à partir des années 2010.

En effet, des études indiquent que depuis 2013, le racisme et le sexisme sont en nette progression. Il faudrait être aveugle pour ne pas voir la corrélation directe avec l’ascension du féminisme intersectionnel et de la théorie du racisme systémique. Comment se fait-il qu’avoir plus « d’antiracistes » et de « féministes » provoque exactement l’effet contraire de ce qu’ils prêchent? Précisément parce que ces idéologies ne prônent plus l’égalité (entre les sexes et entre les races), mais une vision rancunière, moralisatrice et franchement anti-blancs et anti-hommes-hétéros-cisgenres.

Pour conclure en légèreté, n’oublions pas non plus que les hommes ressentiraient probablement un malaise équivalent de devoir partager un sentier en forêt avec une femme inconnue. La fameuse hantise de « donner l’impression de suivre » l’attraperait assez vite. « Dois-je accélérer pour la dépasser? Elle penserait que j’accélère pour la rattraper… Ralentir pour créer plus de distance? C’est aussi creepy, ça donne l’impression que je veux l’observer de loin. Merde, habituellement je changerais de trottoir, mais on est dans un sentier… »

Et oui, les hommes ont bel et bien « intériorisé » ces paranoïas féminines et se sentent souvent coupables sans raison apparente.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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