De l’argent des contribuables pour enquêter sur un chat « problématique »?

Parfois, le manque de sérieux des médias devient un sujet sérieux. Hier, la division de Radio-Canada en Estrie a partagé l’histoire d’un chat « problématique » qui dérangerait quelques résidents d’une banlieue. L’histoire est si ridicule et impertinente dans le cadre d’un média d’information qui se veut sérieux qu’elle est rapidement devenue la risée des médias sociaux.

Or, on pourra railler tant qu’on veut les grands médias de s’abaisser au jeu des clics sur le web et de nous offrir de plus en plus d’histoires bidon qui ne méritent pas notre intérêt, mais il faudra aussi se rendre à l’évidence : nous payons pour ça. De la sorte, une sérieuse remise à l’ordre des médias s’impose, particulièrement en un contexte où ils déplorent leur faible rentabilité. À l’heure du blocage des nouvelles par Meta où les médias tentent de prouver leur importance, est-il réellement le temps de parler de matous qui grattent aux fenêtres?

Des nouvelles de petit peuple

Depuis quelques années s’est propagé sur les réseaux sociaux l’expression mémétique de Jérôme Blanchet Gravel « les Grands Enjeux », qui vise à se moquer des reportages et sujets d’articles des grands médias québécois, qui tombent souvent dans une petitesse délirante.

Des histoires de paniers de basketballs qui font trop de bruit, des parcs à chiens qui « troublent la paix », des restos ou évènements qui attireraient « trop » de monde, des chicanes de parkings sur le bord de shacks à patates sans histoire, etc.

Mais aussi du contenu de plus en plus mémétique et « people », avec des histoires absolument impertinente du web l’emportant sur des sujets important de politique internationale, notamment. Par exemple, récemment, sous la section « monde », dans le Journal de Montréal, on pouvait trouver un article titré « Un chien alcoolique est maintenant sobre ».

Si, à tout le moins, on pouvait trouver un côté humoristique à une histoire comme celle de la Dinde Noire qui avait ruiné le « lazy-boy » d’une dame, ou celle d’un Raton-Laveur retrouvé avec les testicules collées par le froid sur un chemin de fer, cette récente histoire de chat « problématique » l’emporte en impertinence et en stupidité à tous les niveaux. Elle n’a même pas le bénéfice d’être drôle, elle est juste pitoyable.

Des peurs de petit peuple

Dans ce court reportage de 4 minutes, un journaliste dépêché sur les lieux interroge deux citoyens d’un quartier de Rock-Forest, en banlieue de Sherbrooke, une vétérinaire de la SPA, un expert en comportement félin ainsi qu’une médecin de la Santé publique de l’Estrie pour parler du danger de la salive de chat sur les blessures. Tout ça pour un chat qui confronte et « se bat » avec d’autre chat à travers une porte de patio pendant la nuit…

Ça les réveille la nuit. Faut les comprendre, tsé.

Je peine à imaginer la simplicité de gens qui pourraient être contrariés par une telle situation, mais n’importe qui connaissant un minimum les chats en milieu urbain savent que les confrontations des deux cotés d’une porte de patio sont parmi les choses les plus communes, banales et prévisibles qui soit. L’écrasante majorité du temps, l’un ou l’autre des chats n’est vraiment pas content, va le vocaliser et, oui, frapper sur la fenêtre en essayant d’attaquer l’autre.

Le jour où ce genre d’interactions félines sortira de l’ordinaire, les cochons auront des ailes et les poules auront des dents.

La réalité, c’est qu’il s’agit d’un énième cas de mollesse de caractère et de paranoïa pitoyable de la part de citoyens dérangés par tout et n’importe quoi. Le genre de personnes qui croient qu’il faut une intervention gouvernementale à chaque fois qu’ils ont une mauvaise nuit de sommeil ou que leur « paix » est victime du moindre dérangement.

Ils parlent de ce chat mystérieux qui n’a pour seul crime que d’avoir tappé dans une fenêtre pendant la nuit comme d’un cougar ou d’une panthère en liberté dans les rues de cette petite banlieue sans histoire du Québec. Et maintenant, ils attirent l’attention des médias et tentent d’attirer celle du gouvernement pour qu’il agisse! Vous réalisez comment ces citoyens sont couteux pour la collectivité? Ils nous font gaspiller des ressources qui étaient destinées à de la vraie info et voudraient maintenant nous faire débourser pour une enquête et/ou une intervention des autorités?

Est-ce vraiment à Radio-Canada de couvrir de genre d’histoire? On n’est même pas dans les nouvelles locales, même pas dans les faits divers à ce stade… On est dans les radotages familiaux! Le genre d’histoires qui se racontent à table, au quotidien, du style : « Hey, tu te rappelles le gros chat un peu vilain de l’autre fois dans la porte de patio? Il est revenu voir Pichoune l’autre nuit! Il nous a réveillés! ». Suivi d’un « ah ouais!? Encore lui hein… Il se pense le roi celui-là » et d’une dissolution du sujet dans le bruit des ustensiles et des assiettes. Fin.

Il y a quelque chose de profondément égocentrique de croire que ce genre d’histoire est d’intérêt national.

Un gaspille d’argent public

En une époque où on ne cesse de souligner les inquiétudes des milieux médiatiques, qui sont de moins en moins rentables à cause de la fuite des revenus publicitaires vers le web, et où on défend corps et âme la nécessité de subventions gouvernementales pharaonesques pour les maintenir à flot, est-il réellement justifié de mobiliser autant de ressources pour un sujet aussi pitoyable?

J’aimerais bien voir la facture totale d’un tel reportage : le salaire du journaliste, du caméraman, du monteur, le kilométrage, les dépenses liées, etc. Même dans un appel téléphonique sur une ligne ouverte à la radio, j’aurais trouvé que c’était une perte de temps. L’idée qu’on ait apporté tout ce matériel professionnel sur place me dépasse complètement.

Imaginez en plus si on ajoutait le coût d’opportunité à cette équation, c’est-à-dire ce à quoi on a renoncé en employant des ressources pour cette histoire plutôt qu’une autre : on aurait pu couvrir des sujets beaucoup plus pertinents et potentiellement plus rentables, tant d’un point de vue monétaire que social. Le fait qu’autant de personnes aient été mobilisées ce jour-là pour une niaiserie comme ça, en soi, est une perte de productivité énorme pour une entreprise qui se targue de faire de la « vraie » information.

Meta, compagnie mère de Facebook et Instagram, a commencé à bloquer les nouvelles en réaction à la loi C-18 cette semaine. La loi visait à lui faire payer des redevances aux grands médias d’information canadiens, sous prétexte qu’ils ont droit à une part des revenus publicitaires et qu’il est essentiel de soutenir l’information « de qualité » contre la désinformation en ligne… Et c’est avec ce genre d’exemple que Radio-Canada pense qu’il convaincra les plateformes web de la nécessité de les payer? Même sur le bord du gouffre et menacé de disparaître pour beaucoup de gens, ces corporations médiatiques gloutonnes ont encore l’arrogance de produire un contenu médiocre, impertinent et carrément abrutissant? À leur place, je me garderais une petite gêne…

On a souvent relevé à quel point les « vidéos de chats » dominaient internet : des histoires de chats, le web n’en manque pas. A-t-on réellement besoin que Radio-Canada nous produise un tel reportage? Serait-il temps de limiter radicalement les financements gouvernementaux à l’information et exclure tout contenu de divertissement ou « d’infotainment » (information-divertissement)? La question se pose.

Au bout du compte, en termes de divertissement et d’histoires insolites, le web est déjà nettement autosuffisant. Pourquoi devrions-nous payer des subventions à des grands médias pour nous fournir ce genre de contenu? Certains affirmeront que préserver les contenus culturels et le divertissement dans les grands médias est essentiel pour protéger la culture francophone au Québec. Je répondrai que la scène culturelle, qu’on le veuille ou non, elle est sur le web, et celle des grands plateaux n’en est qu’une caricature.

Si l’on veut maintenir certains financements pour le divertissement et la culture, qu’on redirige ceux-ci vers les petits créateurs web d’ici, qui assument entièrement faire du divertissement, et demandons aux médias subventionnés de s’en tenir strictement à l’information « de qualité ». Je suis persuadé qu’il existe un YouTubeur expert en comportement félin à quelque part qui se serait fait un plaisir de produire le même genre de reportage pour une fraction du prix.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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