Duhaime sur l’immigration : « Ce sont des nombres qui sont insoutenables pour le Québec »

Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, était de passage à Ottawa la semaine dernière pour participer à un panel sur l’immigration à la conférence de Canada Strong and Free Network. Nous avons eu la chance de nous entretenir avec lui sur plusieurs sujets qui feront l’objet d’une suite d’articles. En voici donc un premier sur le sujet de l’immigration qui l’amenait à Ottawa en premier lieu.

PSCM: Bonjour M. Duhaime, je voulais vous parler parce que vous êtes venu ici parler d’immigration à la conférence de Canada Strong and Free Network, qui est un sujet qui, on doit le dire, n’a jamais été un gros sujet dans le Canada anglais. On a toujours été beaucoup plus prudent ici en ce qui a trait à l’immigration comparativement au Québec qui est, disons, plus identitaire. J’ai cru remarquer dans la dernière année qu’il y a eu une évolution sur le sujet, notamment avec la crise du logement, qui a en quelque sorte apporté de nouveaux arguments. J’ai vu aussi que dans votre conférence, vous parliez de la perspective du Québec et comment la sensibilité était peut-être en train de changer dans le Canada anglais. Donc, je voulais savoir comment vous voyez ça, est-ce une bonne chose pour le Québec que ça se réveille un peu ailleurs au Canada?

Éric Duhaime : « En fait, c’est un gros changement. On n’aurait pas pu parler d’immigration comme on en a parlé hier ici hier il y a trois ou quatre ans. Ça aurait été impossible. D’ailleurs au Québec, quand on parlait de ces enjeux-là, on était qualifiés rapidement de xénophobes, d’intolérants, de racistes… Il y avait une stigmatisation. Maintenant je pense qu’on est capable d’avoir davantage un débat ouvert. Je pense que c’est une excellente chose.

Et oui, la crise du logement, certainement, a aidé à faire en sorte que les gens prennent conscience de la dérape, mais c’est plus que ça. Il y a aussi le fait qu’il y a une explosion actuellement du nombre de gens qui entrent au Canada de façon non contrôlée et je pense que ça aussi ça inquiète beaucoup de gens.

Il y a le fait que le Québec n’est plus le seul à dire qu’il faut davantage de contrôle de son immigration. Même la première ministre [de l’Alberta] Danielle Smith, qu’on vient d’entendre ici aujourd’hui, est une de celles qui veulent davantage contrôler son immigration, qui veut que le fédéral lui cède davantage de pouvoir, qui veut une nouvelle entente avec Ottawa. Donc je pense qu’il y a comme une convergence de raisons qui font qu’il y a de plus en plus une volonté au Canada anglais de dire « wow ça va faire », d’être beaucoup plus prudent, d’être rationnel.

Il y a aussi même ; il y a eu un rapport… T’sais, quand ce sont les grandes banques canadiennes qui commencent à dire que le nombre d’immigrants est en train de nuire à l’économie… C’était toujours – même le milieu des affaires, historiquement, avait un discours exactement contraire. Donc, je pense que c’est bienvenu.

Évidemment, il faut toujours être prudent, c’est normal aussi. Il n’y a personne ici qui veut promouvoir des politiques d’intolérance. Au contraire, le Canada est riche de son immigration, on est tous, quelque part, des héritiers de l’immigration au Canada – et des politiques d’ouvertures -, mais on veut y aller de façon rationnelle, en fonction de nos intérêts et pour que ce soit une réussite et pour l’arrivant, et pour la société d’accueil, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle. »

PSCM : Donc plus précisément, qu’elles sont les politiques que le Parti conservateur du Québec appliquerait pour régler le problème?

Éric Duhaime : Eh bien, d’abord, moi, je suis un autonomiste. Je pense que c’est important que le Québec soit autonome. Le Québec a déjà eu deux ententes en 1978 et en 1991 au niveau de l’immigration, pour avoir une partie des immigrants que c’est lui qui sélectionne et qui contrôle. Je pense qu’il faut que ça soit davantage que ça. Il faut aller plus loin.

Il y a présentement plus de la moitié des demandeurs d’asile et des réfugiés qui arrivent au Québec alors qu’on est seulement 22-23% de la population. Ce sont des nombres qui sont insoutenables pour le Québec. Il faut trouver une meilleure façon de répartir ça.

Donc la demande, ce n’est pas compliqué. C’est d’abord qu’il faut rouvrir les ententes qu’on a pour les élargir pour que le Québec ait encore plus de contrôle, notamment au niveau des réfugiés. Et aussi qu’il y ait une meilleure répartition de ces gens-là à l’intérieur du Canada, que ça ne soit pas le Québec qui soit pris avec 50% de ceux-ci. Donc, je pense que ça, c’est peut-être la chose la plus urgente dans le contexte actuel.

PSCM : On parle beaucoup, justement, de référendums sectoriels depuis quelque temps. Est-ce que c’est une position qui vous rejoint ou est-ce trop une confrontation contre Ottawa?

Éric Duhaime : « On n’a pas besoin de référendums au Québec là… Il y a cinq partis politiques qui sont d’accords sur cet enjeu-là et qui représentent 98% des Québécois. Je ne pense pas qu’on a besoin d’un référendum pour confirmer ce que tout le monde sait déjà.

Au contraire, un référendum pourrait nous affaiblir parce que le taux de participation risquerait d’être très faible, parce que ce n’est pas une question qui intéresse nécessairement tout le monde! Et puis ça coûterait une fortune et on dépenserait de l’énergie pour rien. En plus ça n’aurait pas de valeur légale de toute façon, donc je ne vois pas pourquoi on ferait ça.

La façon de faire pour nous, ce n’est pas compliqué – et François Legault a échoué lamentablement à cet égard – d’abord, c’est de rassembler la classe politique, qu’on mette la partisanerie de côté, qu’on s’unisse les cinq partis. Moi, c’est ce que je propose depuis deux ans. Qu’on parle d’une seule voix.

J’ai été content de voir que Paul Saint-Pierre Plamondon s’est joint à nous récemment pour dire qu’effectivement, on devrait peut-être même venir les cinq ici à Ottawa, ensemble, parler d’une seule voix à la veille des élections fédérales pour dire « voici ce que le Québec a besoin, sinon, vous allez nous retrouver sur votre chemin pendant la campagne électorale au Québec ». Je pense que ça, ce serait déjà une bonne façon de faire.

La deuxième : on a des alliés à l’extérieur du Québec de plus en plus sur cet enjeu-là – on vient d’en parler. Comment ça se fait que Legault ne fait pas d’alliances avec ces gens-là? Comment ça se fait que c’est moi qui va en Alberta rencontrer Danielle Smith et que ce n’est pas lui? Comment ça se fait qu’hier, j’ai rencontré M. Higgs du Nouveau-Brunswick et lui ne le fait pas? Comment ça se fait qu’il ne bâtit pas, qu’il n’investit pas dans ses relations avec le Canada anglais pour former une alliance, pour faire un contrepoids à Ottawa ; pour se donner un rapport de force? »

PSCM : D’autant plus qu’il y a une grosse fronde des provinces en ce moment contre Ottawa?

Éric Duhaime : « Ben oui! En plus! Mais il n’est pas capable de faire ça. On dirait que ça ne l’intéresse pas. Et il arrive à Ottawa, il demande des choses à Justin Trudeau, il se fait envoyer promener, il rentre pitou pitou, puis il prend son trou. C’est inacceptable. Si tu veux gagner en politique, tu fais des alliances. Qu’il s’allie avec les quatre partis d’opposition au Québec, et puis qu’il s’allie avec les provinces conservatrices au Canada – qui, d’ailleurs, pensent comme nous – et puis là on va avoir un vrai rapport de force. Surtout qu’on est à la veille d’une élection fédérale… je pense que ça jouerait beaucoup et ça mettrait beaucoup de pression sur le Bloc, sur le NPD et sur les Libéraux avec leur coalition ; ça pourrait effriter cette coalition-là, justement. »

Pour écouter l’audio de cette entrevue, c’est ici :

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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