Échec de l’élection du speaker : une revanche MAGA en vue?

L’élection du speaker de la Chambre des représentants s’effectue tous les deux ans au début janvier, à l’ouverture de la nouvelle session du Congrès et généralement sans surprise. La Chambre compte 435 sièges. Pour accéder au poste, le speaker doit être élu par une majorité de représentants votant pour un candidat spécifique – les abstentions, absences et postes vacants abaissent ce seuil en dessous de la barre du 218.

Après chaque élection du Congrès, le caucus de chacun des partis tient un vote interne pour désigner le représentant qui sera proposé comme speaker à la reprise des travaux. Le candidat du parti majoritaire remporte habituellement ce vote au premier tour, mais ce ne fut pas le cas à l’ouverture du 118ème Congrès.

Au moment d’écrire ces lignes, la Chambre a voté six fois et le Républicain de Californie Kevin McCarthy est toujours incapable de se faire élire. La dernière fois que le speaker n’a pas été élu dès le premier tour remonte à 1923, alors que l’élection du Républicain Frederick Gillett avait nécessité neuf votes sur trois jours.

Le problème s’explique en partie par la maigre majorité dont disposent les Républicains, avec 222 élus contre 212 Démocrates – et un siège vacant suite au décès du Démocrate Donald McEachin peu après sa réélection aux élections de mi-mandat.

Kevin McCarthy, qui n’avait obtenu que 203 voix lors du premier vote, n’en a récolté que 201 lors du sixième. Les 212 Démocrates ont voté pour le Démocrate Hakeem Jeffries lors des six scrutins. Chaque fois, c’est la balance d’une vingtaine de voix républicaines appuyant d’autres Républicains qui empêche McCarthy d’obtenir la majorité des votes exprimés.

L’impasse ne résulte pas seulement de l’insuffisante majorité Républicaine. Il témoigne de la fracture idéologique opposant l’establishment traditionnel du parti (représenté en Chambre par le Republican Governance Group) à la frange populiste MAGA/ America 1st (représentée par le Freedom Caucus). Un clivage en outre complexifié par un différend d’ordre stratégique qui traverse le Freedom Caucus, auquel appartiennent 54 Républicains de la Chambre.

McCarthy n’est pourtant pas un « Never Trumper » de la trempe d’un Mitt Romney ou d’une Liz Cheney. En tant que chef de la minorité, McCarthy s’est avéré un précieux allié pour Trump, gardant le caucus républicain unifié en soutien au président. En décembre 2020, il a fait partie des 126 représentants Républicains ayant signé un amicus curiae pour appuyer l’action en justice Texas v. Pennsylvania, déposée devant la Cour suprême des États-Unis pour contester le résultat de l’élection présidentielle.

Par contre, on lui reproche d’avoir rapidement fait volte-face. Une semaine après les événements du 6 janvier, McCarthy a prononcé un discours dans lequel il tenait Trump responsable des émeutes. Le 8 janvier 2021, lors d’une conférence téléphonique avec d’autres Républicains de la Chambre, McCarthy a déclaré que la conduite de Trump lors de l’émeute du Capitole était « atroce et complètement mauvaise » et qu’il avait « incité les gens » à attaquer le Capitole. Cet exemple est souvent mis de l’avant par ses détracteurs parmi l’électorat Républicain, qui le désignent comme un stratège avide de pouvoir et non un politicien de principes.

Arrive la question du financement alloué à l’Ukraine. Contrairement aux membres du Freedom Caucus, qui souhaitent voir les États-Unis jouer un rôle de médiation plutôt que d’envoyer de grosses sommes d’argent à Zelensky, McCarthy (qui s’est déjà présenté en Chambre arborant un mouchoir aux couleurs de l’Ukraine) entend continuer à soutenir l’effort de guerre – mais pas assez aux yeux de l’establishment Démocrate et des néo-conservateurs de son parti.

Matt Gaetz (FL-1), Lauren Boebert (CO-3), Scott Perry (PA-10) font partie des membres du Freedom Caucus qui bloquent le vote. Ils ont soumis à McCarthy une série de demandes conditionnelles à leur appui. Parmi celles-ci: la mise en place d’un comité pour enquêter sur le FBI, la promesse de tenir des votes sur divers projets de loi dont une législation qui imposerait des limites de mandat pour les membres du Congrès, le renforcement de la sécurité à la frontière et un budget fédéral équilibré. On réclame aussi une règle qui faciliterait la tenue d’un vote pour évincer le speaker ainsi qu’un engagement en vertu duquel le principal comité d’action politique (Super PAC) Républicain cesserait de financer les candidats qui s’affrontent lors des primaires du parti. Cette demande survient en réaction au soutien financier dont les candidats fidèles à l’establishment ont bénéficié. Après un refus initial, un Super PAC aligné sur McCarthy aurait consenti à cette demande lors de négociations tenues dans la soirée du 4 janvier, après le 6ème scrutin.

De l’autre côté, il y a les membres du caucus qui ont jugé stratégiquement acceptable de voter pour McCarthy, dont Marjorie Taylor Greene (GA-14) qui implore ses collègues d’en faire autant afin de pouvoir amorcer les travaux. Elle met en garde contre l’éventualité d’aboutir avec un speaker Démocrate. Dans un climat devenant acrimonieux, elle accuse les trois résistants ci-haut nommés d’avoir fait des demandes d’intérêt personnel à Kevin McCarthy, notamment de les charger de certains comités et sous-comités, et d’en retirer les élus y étant déjà assignés. À en juger des réponses que ses interventions reçoivent sur Twitter, la base MAGA soutient majoritairement le groupe de représentants qui bloque l’élection de McCarthy. Des internautes vont même jusqu’à traiter Marjorie Taylor Greene de vendue qui vient de rejoindre le « marais ».

L’appel de Donald Trump à soutenir l’élection de McCarthy semble avoir peu de traction, tant au sein de sa base que du côté des élus. Ça n’a pas contribué à donner un seul vote supplémentaire à McCarthy.

En attendant le dénouement de l’impasse, le Freedom Caucus ne gagne rien à s’entre-déchirer sur la place publique. L’élection du speaker pourrait cependant être vite classée. Parmi les meilleurs scénarios, des garanties substantielles de McCarthy permettant à un nombre suffisant de récalcitrants de lui accorder leurs votes. Préférable: le désistement de McCarthy menant à l’élection d’un speaker Républicain mieux disposé face aux priorités populistes. Le risque d’une entente avec les Démocrates accouchant d’un speaker fidèle à l’establishment n’est toutefois pas exclu. McCarthy regrettera-t-il de s’être empressé à faire déplacer son mobilier dans le bureau du speaker le 2 janvier, avant même la reprise du Congrès?

En toile de fond, la classe politico-médiatique continue sa campagne de dénigrement du mouvement conservateur populiste à coups de qualificatifs d’extrême droite et d’accusations de menace pour la démocratie.

Ophélien Champlain

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