Nous apprenions dans les dernières heures que la CDPQ Infra, à qui le gouvernement Legault avait remis les dossiers du tramway et du troisième lien de Québec, est sur le point de déposer ses rapports et qu’on en connaît déjà les grandes lignes. La CDPQ Infra recommanderait donc la construction d’un tramway à 5 milliards suivant le même tracé que le projet initial de Labeaume en 2018. Autrement dit, nous sommes de retour à la case départ après 6 ans de tergiversations… Pour ce qui est du troisième lien, on ne serait pas parvenu à identifier de besoin concret en ce sens et donc, la CDPQ ne le recommanderait pas, de quoi faire sauter de joie la gauche municipale qui s’y opposait fermement.
En donnant ces dossiers à la CDPQ Infra il y a quelques mois, la CAQ fait en sorte que ce rapport est en quelque sorte reçu comme une position finale sur la question après des décennies de débats. Ça amène cette dynamique technocratique étrange où la CDPQ Infra aurait le pouvoir de trancher à elle seule un enjeu hautement controversé dans la population. Je n’ai aucun problème avec le fait qu’on puisse se positionner contre le troisième lien et faire valoir des arguments en ce sens, mais quand j’entends Jackie Smith proclamer le triomphe de la science dans cet enjeu, je ne peux m’empêcher de grincer des dents.
L’urbanisme n’est pas une science
D’abord, soyons clairs sur une chose : l’urbanisme n’est pas une science dure. La discipline peut bien baser ses conclusions sur des études et des données et tenter le plus possible d’adopter une méthodologie scientifique, mais ultimement, l’interprétation qui en est faite est plus de l’ordre des sciences sociales, et donc sujette à débats.
Ce n’est pas là une science implacable ; il n’y a pas de formule mathématique pour déterminer ce qu’est une ville bien construite et ce qui n’en est pas une. D’autant plus que les interprétations peuvent évoluer avec le temps…
Ce sont des urbanistes qui, dans les années 70, ont éventré nos quartiers historiques pour y faire passer des autoroutes qui sont aujourd’hui méprisées. Ce sont des urbanistes qui ont conceptualisé les banlieues nord-américaines, avec leurs « power centre » et leurs autoroutes… Ces projets furent le résultat d’études qui affirmaient « scientifiquement » que la voiture individuelle et les autoroutes étaient l’avenir, et qu’il fallait en construire pour assurer le passage du Québec dans la modernité. Toutes les nations industrialisées en arrivaient à ces conclusions : tel était le consensus « scientifique » de l’époque.
Alors, permettez-moi d’être un peu sur mes gardes quand je vois les urbanistes d’aujourd’hui prétendre à l’irréfutabilité de leur discipline dans le cadre de cette transition verte qui est, dans son essence même, fondamentalement politique.
Je ne dis pas ça pour discréditer l’entièreté du domaine, mais simplement pour rappeler ses limites, ce qui est un minimum en termes d’honnêteté intellectuelle. Les urbanistes peuvent produire leurs analyses, proposer des projets, des pistes de solutions à certains problèmes, mais traiter ces analyses comme si elles relevaient de sciences pures, comme le fait Jackie Smith et de nombreux politiciens, est – justement – scientifiquement malhonnête.
Ultimement, c’est la population qui décide dans quelle ville elle veut vivre et parfois, ça va à l’encontre de la logique urbanistique. La politique sert à trancher entre la vision des urbanistes et celle des citoyens… à moins que les politiciens se défilent.
La technocratie au secours de la CAQ
Et se défiler, c’est bien ce que la CAQ a fait avec les dossiers du troisième lien et du tramway. D’une position purement politique, où on promettait de faire un troisième lien coûte que coûte sans même avoir produit d’études, on est passé à une position totalement technocratique en refilant les dossiers à la Caisse de Dépôt et Placement du Québec. En d’autres mots, la CAQ s’en est lavé les mains.
Maintenant, ce n’est pas pour dire qu’une gestion apolitique des infrastructures par la CDPQ infra est nécessairement une mauvaise chose. L’organisation dispose des ressources et des compétences appropriées pour réaliser de tels projets dans un souci d’économie et de rentabilité. Ça permet effectivement d’avoir un regard relativement neutre sur ce genre de dossier. Mais seulement relativement…
Car, d’abord, cette vision technocratique de la politique relève du « problem solving », comme diraient nos voisins américains. C’est-à-dire que c’est une politique essentiellement réactive qui ne fait qu’apporter des solutions à des problèmes concrets et identifiables. C’est une excellente manière d’assurer une bonne gestion des priorités pour un gouvernement et de régler les problèmes efficacement au jour le jour, mais ça présente le problème d’être peu proactif et de négliger l’importance d’une projection vers l’avant, une chose qui est inhérente à la politique.
Pour mieux comprendre : c’est essentiellement le même principe que lorsqu’on dit que les partis politiques « n’ont plus de projet de société » et ne font que de la politique à la petite semaine. Ce qu’on veut dire ici, c’est qu’on n’attend pas seulement d’un gouvernement qu’il règle les problèmes, mais aussi qu’il stimule la société et la pousse à se dépasser, à se développer, à fleurir.
Ce n’est pas ce que fait la technocratie. Le « problem solving » des technocrates, c’est essentiellement de ne faire que le strict minimum pour assurer le fonctionnement normal de la société. On peut vivre confortablement en faisant le strict minimum, mais on ne peut s’enrichir. Pour faire fructifier sa richesse, ça prend de l’audace, de la prise de risque, de la vision, du rêve. Les technocrates peuvent certes comprendre le concept de développement économique, mais il s’avéreront habituellement beaucoup plus conservateurs dans son application que ne pourraient l’être des politiciens ou des hommes d’affaires passionnés offrant un projet de société à la population.
Dans le cadre du troisième lien, ça veut dire que pour la CDPQ infra, il faut un problème identifiable comme le trafic pour justifier un développement de la sorte. Toute cette « science » doit se baser sur des données qui identifient un problème ou, à tout le moins, identifient clairement une opportunité économique. Il importe très peu que les résidents de Québec rêvent d’un nouveau lien à l’est depuis les années 70, que l’idée fasse partie de l’imaginaire collectif au point de déchaîner les passions de manière tenace et que ce soit un projet, une manière de concevoir la ville pour le futur qui dépasse largement la question du trafic ; si la CDPQ infra ne parvient pas à trouver un problème de congestion, elle en conclue qu’il n’y a pas de raison d’accomplir ce projet.
Il était ainsi évident que la CDPQ infra en arriverait aux mêmes conclusions tièdes qui sont scandées sur toutes les plateformes par nos partis municipaux et les promoteurs de l’urbanisme vert. C’est dans le zeitgeist de l’époque au même titre que les critères de diversité et d’inclusion en 2024. D’ailleurs, la Caisse de Dépôt souscrit aux normes ESG qui, assurément, amènent un biais pro-transition et décroissance dans leurs analyses.
La CDPQ infra n’aurait jamais enfanté la Ville Lumière
Au milieu du XIXe siècle, l’Empereur Napoléon III, en exil à Londres, est fasciné par les quartiers ouest de la capitale anglaise. En effet, en raison d’une reconstruction majeure suite au grand incendie de 1666, ces quartiers dotés de grands boulevards et d’une planification rationnelle s’avèrent des exemples d’urbanisme et d’hygiénisme pour l’époque. C’est pour cette raison qu’à son retour à Paris, l’Empereur mandate le baron Georges Eugène Haussmann de revoir intégralement l’urbanisme de la ville, qui est alors constituée d’un labyrinthe de petites rues médiévales, de bâtiments insécures et insalubres qui, dans bien des cas, ne sont pas connectés à des égouts et des aqueducs fonctionnels.
Le mandat de Haussman répond donc à des besoins bien concrets de la ville : augmenter sa fluidité, tant en termes de transport qu’en termes de gestion de l’eau potable et des eaux usées. Ce besoin de fluidité répond aussi, dans une moindre mesure, à une volonté de mieux contrôler les révoltes populaires qui ne cessent de secouer la capitale depuis la Révolution française, et qui sont particulièrement efficaces dans les petites rues embourbées du Paris médiéval.
Admettons que l’empereur avait, à l’époque, mis des technocrates équivalents à la Caisse de dépôt et placement sur le projet ; dans une logique de « problem solving », on serait arrivé avec des mesures minimales pour régler le mieux possible le problème… Mais Haussmann n’était pas un technocrate ; il voyait beaucoup plus grand.
Ainsi, ce projet qui démarre sur une logique utilitariste assez simple se transforme rapidement en véritable projet de société. Pour moderniser Paris, Haussmann fait fusionner des communes adjacentes à la capitale et fait éventrer des quartiers complets au point où près de 60% de la ville se retrouve en chantier. 18 000 maisons sont détruites sur 30 000 recensées avant le début des travaux! Haussmann est qualifié de « Attila le Hun » tant ses destructions choquent.
Le controversé baron touche autant le domaine du génie civil que de l’architecture et du design urbain ; sa vision est englobante, totale. Il dessine des boulevards, mais aussi des blocs appartements, des fontaines, des parcs, etc.
Alors qu’il dessine le futur boulevard de Sébastopol, il est particulièrement irrité par le fait que le futur dôme sur le toit du Tribunal du Commerce, alors en construction, ne soit pas aligné avec l’artère. Selon lui, chaque grand boulevard doit mener à un grand monument. Solution : il fait modifier les plans du Tribunal du commerce pour que le dôme soit aligné avec le boulevard… C’est dire le niveau de perfectionnisme – voire de mégalomanie – du personnage!
Bref, mon point est que si son projet n’est à la base justifié que par des considérations pragmatiques, la vision qui en émergera dépassera largement celles-ci. Le Paris de Haussmann n’est pas seulement un Paris aux infrastructures routières rénovées ; c’est un tout nouveau Paris ; un Paris Moderne, un Paris du futur… En d’autres mots : la « Ville Lumière » telle que nous la connaissons aujourd’hui.
Aucune étude scientifique n’a justifié ces rénovations, et ajourd’hui, Paris est l’une des villes les plus visitées au monde grâce à elles. Parce que les français ont eu l’audace d’accomplir un projet qu’on pourrait qualifier de « fou ». Comme disait Napoléon I, « Impossible n’est pas français ».
Un Québec du strict minimum?
Cette petite parenthèse au sujet de Haussmann avait pour but de soumettre ces réflexions : l’urbanisme doit-il se limiter le plus possible à du « problem solving », à une gestion de la congestion routière, ou bien n’est-il pas animé par une vision, une projection vers l’avant, une manière de concevoir le futur d’une ville par ses citoyens? Et cette vision doit-elle impérativement être justifiée de manière « scientifique », et imposée par le haut par des technocrates, ou ne doit-elle pas correspondre à la vision organiques que les citoyens eux-mêmes ont de leur ville?
On aura beau sortir toutes les études du monde pour nous dire qu’il n’y a pas assez de trafic sur les ponts, ça n’effacera pas les décennies de projection mentale de citoyens qui se sont imaginé en train de voyager entre Beauport et Lévis en une dizaine de minutes. Ce n’est pas pour répondre à un problème que les gens de Québec veulent un troisième lien, c’est pour répondre à un rêve de voir leur ville se développer au centre d’un périphérique et de lier les deux rives.
J’ai déjà fait l’analogie, mais le troisième lien est pour moi représentatif de la nation québécoise dans son ensemble. On aura beau faire les études qu’on veut pour tenter de prouver « scientifiquement » les bienfaits ou les méfaits de l’indépendance, les technocrates de tout acabit pourront toujours faire valoir leurs arguments si oui ou non le Québec fonctionnerait mieux sans le fédéral, mais à la fin de la journée, ça n’a aucune réelle importance. Ce qui est important, c’est ce que le peuple veut, c’est sa vision, ses rêves, comment il se projette dans l’avenir. Ça n’a rien de scientifique. Ce n’est pas un projet rationnel. C’est une pulsion vers l’accomplissement d’une idée, une sorte d’instinct qui pousse à croire que c’est notre destiné. C’est ça, un projet de société.
Alors bref, certains me trouverons probablement trop intense au sujet d’un vulgaire projet de pont et me diront qu’il est temps de jeter la serviette et reconnaître la défaite. Soit. Mais c’est tout ce qui entoure ce projet qui me choque depuis de nombreuses années. Cette idée, d’abord, de tenter d’étouffer le développement de la Capitale-Nationale par souci environnemental et celle, ensuite, de retirer entièrement aux citoyens leur mot à dire sous prétexte qu’une caste d’experts seraient les seuls à pouvoir déterminer leurs besoins. Ce sont là deux symptômes profonds des tendances idéologiques régressives de notre époque. Mais surtout, c’est la complète absence d’ambition des Québécois, l’absence d’audace qui fait en sorte qu’on se complaît dans une logique administrative de problem solving, et qui en pousse certains à croire que la décroissance constitue un projet de société plutôt qu’une capitulation face à notre condition, qui ne cesse de me choquer et me font croire que le troisième lien demeure un enjeu déterminant pour la nation.
Dans un article du Journal de Montréal ce matin, le ministre de l'Environnement Benoît Charette…
Durant la dernière campagne présidentielle américaine, beaucoup d’artistes ont pris position pour Kamala Harris. Ils…
Traduit de l’anglais. Article de Cory Morgan publié le 28 novembre 2024 sur le site…
Donald Trump l’a annoncé et augmentera les tarifs douaniers de 25% si le Canada et…
Traduit de l’anglais. Article de Tristin Hopper publié le 28 novembre 2024 sur le site…
Traduit de l'anglais. Texte de Clayton DeMaine publié sur le site de True North le…