Depuis des mois, le ministre de l’Énergie, du Développement et de l’Innovation, Pierre Fitzgibbon, martèle la nécessité d’agir promptement pour pallier le déficit énergétique futur du Québec, prévu pour 2027. On lui a ainsi donné de vastes pouvoirs pour qu’il bénéficie de toute la flexibilité nécessaire à cette tâche colossale. En avril, nous apprenions aussi que Micheal Sabia, haut fonctionnaire et homme d’affaires d’expérience, prendrait la tête d’Hydro-Québec, ce qui faisait présager un changement de tempo pour la société d’État. L’annonce d’une possible relance du nucléaire confirme ces attentes, mais rapidement, M. Fitzgibbon est venu nuancer cette initiative, dans son patinage caractéristique au sujet de l’enjeu énergétique. D’une part, on nous parle d’une forme d’urgence pour combler l’éventuel déficit, mais d’autre part, on insiste sur une transition radicale qui vire rapidement dans l’ambition irréaliste.

Quand la réflexion vire à l’indécision

Comme dans le dossier de potentiels nouveaux barrages, le ministère de M. Fitzgibbon et Hydro-Québec semblent réfléchir beaucoup, mettre beaucoup d’options sur la table et spéculer à ne plus finir sur d’éventuels projets. Mais on tarde à déterminer un véritable plan d’action et à trancher.

Construira-t-on de nouveaux barrages ou non? Relancerons-nous le nucléaire ou non? Libre à tous de spéculer.

Des projets, on en a plein la tête, mais la question de la faisabilité est toujours là comme une épée de Damoclès, et à chaque fois, Fitzgibbon nous coupe l’herbe sous le pied pour nous rappeler que ça doit être un projet de décarbonation. On en vient à se demander si ce qu’il veut est réellement de démarrer de grands chantiers, ou bien simplement multiplier les projets solaires ou éoliens en nous contraignant à consommer moins d’énergie.

Ce constant va-et-vient entre crise énergétique et crise climatique donne une impression d’indécision qui n’a rien pour rassurer le marché ou les citoyens. Et les objectifs de transition semblent constamment dans les jambes quand vient le temps de parler du déséquilibre entre l’offre et la demande en matière d’électricité au Québec.

La moitié moins de voitures?

D’ailleurs, alors qu’il parlait du nucléaire à la radio et, ensuite, lors d’une conférence de presse, M. Fitzgibbon est revenu sur ces sempiternelles « critères » nécessaires à l’approbation de projets énergétiques. Il a ainsi défini trois éléments nécessaires pour la transition écologique : augmenter l’offre d’énergie « socialement acceptable et économiquement viable », diminuer la consommation énergétique selon son fameux concept de « sobriété énergétique » et, finalement, développer les technologies de captage de carbone pour capturer le CO2 déjà présent dans l’atmosphère.

Mais ce sont ses explications pour imager la réduction de la consommation énergétique et l’augmentation d’énergie renouvelable qui laisse songeur : Fitzgibbon alors déclaré qu’il faudrait tout électrifier le parc automobile, mais aussi, que dans l’idéal, il devrait y avoir « la moitié moins » de voitures sur les routes du Québec!

Une position au manque de réalisme tellement évident qu’il n’en fallait pas plus pour qu’une bonne part de la population s’en inquiète, à commencer par les concessionnaires automobiles. En effet, selon le PDG de la Corporation des concessionnaires automobiles du Québec (CCAQ), Ian P. Sam Yue Chi, qui trouve l’affirmation inquiétante, la réalité québécoise, les grandes distances, les régions rurales et isolées rendent la chose proprement impossible.

«C’est irréaliste. Et je vois mal comment on pourrait en arriver à un niveau d’investissement public pour que l’ensemble du Québec soit desservi en transport collectif.»

Encore une fois, une discussion qui avait pour objectif de penser à des moyens de régler le déficit énergétique se conclut avec des positions qui aggravent radicalement ce déficit et qui se couplent de nouveaux problèmes tout à fait superflus.

Mais évidemment, Fitzgibbon parlait au travers de son chapeau et ne faisait que radoter son discours vert. «Le gouvernement n’a aucune orientation quant à la réduction du nombre de véhicules sur nos routes», a été forcée de reconnaître sa conseillère politique, Rosalie Tremblay-Cloutier. «C’était une image que le ministre a voulu donner, il ne faut voir rien de plus là dedans».

Mais encore? Peut-on quitter les rêvasseries et se pencher réellement sur le problème? Et peut-on au moins reconnaître que le gouvernement, avec ses politiques de transition agressives, est une part de ce problème? C’est parce que le gouvernement Legault voit l’électrification dans sa soupe qu’on va bientôt se retrouver avec une pénurie d’énergie, et c’est parce qu’il passe son temps à refuser et bannir toutes les alternatives qu’il nous empêche de commencer à voir le bout de cette situation inquiétante pour le développement économique du Québec.

Indécision ou obstination?

À force de patiner et radoter les mêmes discours dignes de Greenpeace, au lieu de l’indécision, M. Fitzgibbon laisse plutôt paraître de l’obstination. Ses critères d’approbation de projets énergétiques semblent tellement étroits, coincés entre l’éolien, le solaire, le serrage de ceinture et des projets de barrages dignes de mirages sahariens, qu’on en vient à penser que toutes ces discussions sur le déficit énergétique à venir d’Hydro-Québec n’ont pour fonction que de nous rentrer une transition forcée dans la gorge.

Des alternatives rapides, réalistes et efficaces, il y en a. À commencer par promouvoir un bouquet énergétique plus diversifié qui ferait une place au gaz naturel, qui est déjà utilisé par une partie de la population. Mais non! On veut au contraire bannir tout usage du gaz naturel, du chauffage résidentiel aux fours de restaurants, ajoutant une couche supplémentaire à notre fardeau énergétique!

On se rappelle que les dernières données indiquaient une forte acceptabilité sociale autour des projets d’exploitation et d’exportation de gaz naturel – un critère clé pour l’approbation des projets, selon Fitzgibbon. Hélas, l’obstination verte de ce gouvernement, ainsi que du fédéral, notamment, avec sa récente réglementation sur l’électricité propre, tend à les faire ignorer complètement l’opinion des citoyens.

C’est rassurant de voir que toutes les options sont sur la table – et même le nucléaire – avec l’arrivée de Sabia chez Hydro-Québec. Mais ça demeure ridicule de voir l’obstination à bannir le gaz naturel, qui est reconnu comme une énergie de transition selon les accords de Paris.

Mais le coup de grâce de cette sortie controversé, c’est que Fitzgibbon nous parle de captage de carbone, alors qu’il doit bien savoir que les principaux investisseurs de cette nouvelle technologie sont précisément les entreprises œuvrant dans les combustibles fossiles, qui espèrent ainsi offrir des activités carboneutres dans un avenir à moyen-terme. Or le gouvernement Legault a expressément banni leurs activités en sol québécois, et Justin Trudeau, au fédéral, semble déterminé à tuer cette industrie. Aussi bien dire que le principal obstacle aux technologies de captage de carbone au Canada, ce sont les gouvernements et les ministres comme Trudeau, Legault et Fitzgibbon, qui tentent de laver plus blanc que blanc et, ce faisant, sacrifient ces technologies d’avenir.

Il faudra bien un jour que Fitzgibbon, de concert avec M. Sabia, en finissent avec les lubies irréalistes du discours apocalyptique vert et nous offrent de véritables pistes de solutions pour combler notre déficit énergétique et sauver notre économie d’un naufrage annoncé. Il ne suffit pas d’affirmer l’intention de le faire et se perdre dans les méandres des rêvasseries utopistes ; il est temps de retourner au réalisme, reconnaître nos erreurs – l’abandon du nucléaire et celui du gaz naturel – et prioriser ce qui fonctionne au lieu de se noyer dans le signalement de vertu écologiste.

La moitié moins de voitures au Québec? Non mais vous voulez rire!? C’est la sortie la plus ridicule que j’ai entendue depuis un bon moment. À passer entre homme d’affaires et militant écologiste radical comme ça, on pourrait croire que M. Fitzgibbon est trans ou pris d’une personnalité multiple.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

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