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Les conservateurs et l’avortement | Partie I : Un témoignage personnel

Ce texte est le premier d’une série de trois textes par le chroniqueur André Valiquette.

Je me suis demandé : est-ce que je suis masochiste? Plusieurs parmi mon entourage m’ont déconseillé de choisir l’avortement comme sujet de chronique. « Tu vas pas te faire des amis ». « Tu vas perdre des amis Facebook ». « Tu vas mettre dans l’embarras des amis conservateurs ». Et je suis un conservateur.

Bon, je rappelle que j’apporte une opinion qui n’engage que moi-même. Je vais d’ailleurs commencer aujourd’hui avec une expérience très personnelle. Il est utile de connaître le cheminement de celui qui parle dans ce genre de débat. Mon point de vue a évolué. Je vais présenter mon parcours et ne rien vous cacher.

J’ai 66 ans. Je suis devenu agnostique à l’adolescence et le suis demeuré. Je ne ressens pas d’influence religieuse dans mes opinions, bien que j’aie le christianisme et le judaïsme en haute estime, comme vecteur de valeurs fondamentales pour la vie avec nos frères et soeurs humains.

Depuis quelques décennies, je partage les positions de la droite libérale et de la défense des valeurs occidentales. Mais sur la question de l’avortement, les choses ont bougé plus lentement pour moi. Je suis resté longtemps un libertaire sur cette question.

À la fin de mon adolescence, j’étais radicalement à gauche et j’ai acheté le package des opinions de gauche sur pas mal de sujets, dont l’avortement. Les femmes avaient le droit de décider, OK; l’évidence.

J’ai participé à un stage de l’Office franco-québécois pour la jeunesse en 1976 sur la condition féminine en France. Naturellement, il n’y avait au menu que des rencontres avec les égéries du féminisme de gauche, Gisèle Halimi, les Gouines rouges et autres groupes disparus. J’avais au moins saisi que le bouillonnement intellectuel était de ce côté-là et que la société était prête à une bascule. Le président français Giscard d’Estaing, aussi, d’ailleurs; il avait dépénalisé l’avortement en 1974, avec la ministre Simone Weil.

Je reviens à mon itinéraire personnel qui m’a amené à ce que je pense aujourd’hui.

Il est arrivé quelque chose qui m’a touché, dans ma famille, vers 1962, j’avais donc huit ans. Une jeune soeur de ma grand-mère, tante Elma[1], qui était une voisine de notre chalet, est devenue enceinte. On en parlait comme d’une bonne nouvelle, sans plus. C’était son 4e enfant. Je la voyais se promener le long de la rivière avec sa grosse bedaine. Puis arriva l’accouchement. Et le drame. Je me rappelle encore les discussions à voix basse, au chalet, à un repas familial avec mes grands-parents. C’était la consternation. Que s’était-il passé?

Ce n’était pas le moment d’en parler, on m’expliquerait. Je voyais que c’était grave. Tout le monde disait « Pauvre Elma » et « Pauvre Gérard »… mais encore? Ce n’est que quelques mois plus tard que ma mère accepta de me dire ce qu’il en était, en essayant de trouver les bons mots. Le bébé, un garçon, était né avec les organes génitaux soudés ou mélangés avec les organes digestifs. Les cheveux m’en dressaient sur la tête. On ne savait pas trop quoi faire. Il y avait pas mal d’opérations médicales à prévoir, sans garanties d’aucun résultat. Pas de vie normale en vue, mais une certitude de dépenses extraordinaires. Pauvre Gérard, pauvre Elma.

Moi, j’étais troublé. Comment une telle chose, une telle monstruosité, était-elle possible? J’ai ensuite entendu parler à demi-mot des chirurgies successives, des difficultés de cette famille, de la vie à part de cet enfant.

J’ai été sensible aux difficultés des enfants non désirés. Moi-même, j’étais très sensible à l’exclusion et je me suis identifié à ces enfants.

Plus tard, dans ma vie de jeune adulte, cela a participé à mon paysage imaginaire : avoir un enfant est un risque. Jamais je ne voudrais vivre ce que tante Elma et oncle Gérard ont vécu. L’avortement était donc nécessaire pour un tas de raisons.

Il y a environ huit ans, ma mère m’a glissé en passant que tante Elma était décédée dans son CHSLD. Une bonne personne, avec un beau sourire. Elle l’avait revu quelquefois ces dernières années. Tout à coup, m’est revenu en mémoire ce qui s’était passé il y a plus de 50 ans. « Mais, au fait, tu te rappelles, cet enfant… anormal, qu’est-ce qui est arrivé? A-t-il vécu longtemps? »

Et ma mère de me répondre : « Ah oui, il est médecin aujourd’hui et il a eu trois beaux enfants. »

Cela aussi m’a fait réfléchir. Il y avait de la grandeur dans cette famille, ils avaient fait des sacrifices et avaient créé quelque chose de bien. Profondément. J’ai dès lors senti naître en moi un intérêt pour une position plus équilibrée sur la question de l’avortement.

D’ici quelques jours, je reviendrai sur la relation des conservateurs avec ce sujet difficile.


[1] J’ai changé de petits détails afin de préserver l’anonymat des personnes concernées.

André Valiquette

Détenteur d’une maîtrise en histoire canadienne, il a été journaliste à Radio-Canada puis a poursuivi sa carrière dans le milieu universitaire, où il a été responsable de relations médias et rédacteur de discours. De 2007 à 2009, il a été directeur des communications à l’Institut économique de Montréal. Il a été candidat du Parti populaire du Canada en 2019 dans NDG-Westmount. Il a été président de la Commission politique du Parti conservateur du Québec et membre de son Bureau exécutif national. André publie une chronique à titre personnel dans Québec Nouvelles.

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