Le 20 octobre dernier, j’ai publié la première partie de cette réflexion, où je racontais mon cheminement personnel, à partir de mon réflexe initial pro-choix, ancré depuis l’adolescence. J’ai cherché assez récemment une position plus équilibrée sur la question de l’avortement.
Dans cette seconde partie, nous allons examiner les arguments en présence.
Y a-t-il véritablement une discussion sur la question de l’avortement ? Avec une telle polarisation de l’opinion publique au Canada, aucun leader d’opinion ou chef politique ne prend d’initiatives à ce sujet, sauf pour répondre qu’il ne veut pas en parler.
Aux États-Unis, la dynamique est différente, mais on a l’impression que le président Trump agit davantage par calcul électoral sur cet enjeu, vu que son propre cheminement a oscillé dans plusieurs directions au cours de sa vie.
Une chose est certaine, c’est qu’un angle s’est imposé dans le monde occidental : les femmes ont le droit de disposer de leur propre corps.
On peut dans un premier temps se demander : pourquoi cet argument de liberté individuelle est-il devenu le discours dominant ces dernières décennies et pas avant ?
Cela nous renvoie un instant aux mutations économiques et démographiques de nos sociétés plus riches depuis le XXe siècle. Le prix Nobel d’économie Gary Becker remarquait qu’au tournant des années 60, l’enfant est devenu — sur un strict plan économique — un objet de consommation plutôt qu’un investissement.
He oui, mais je précise que parler de l’économie de la famille n’enlève rien à l’authenticité des sentiments qui naissent en son sein !
Ce que Becker a mis en relief, c’est qu’avant les années 60, l’objectif économique, même inconscient, était d’assurer ses vieux jours avec l’aide d’une nombreuse famille ; donc, un investissement ; il y aurait bien quelques survivants pour prendre soin des vieux parents.
La donne a changé à partir des années 60 : il était devenu possible d’épargner pour sa retraite et aussi de compter sur des régimes d’assurance publics lors du retrait du marché du travail.
Avec l’urbanisation et la mobilité géographique plus grande, ainsi qu’avec la hausse des revenus, mieux valait avoir moins d’enfants, mais mieux s’en occuper et les préparer à une vie avec des choix complexes.
L’enfant est passé du statut d’investissement à celui d’objet de consommation à partir de ces années-là. L’enfant était susceptible d’enrichir l’expérience humaine du couple ; mais le couple avait moins besoin des enfants pour assurer son futur éloigné.
Le résultat a été la création d’un horizon différent pour les femmes et les familles.
À cela s’est ajoutée la découverte de la pilule anticonceptionnelle. Et l’entrée graduelle des femmes dans l’économie des services salariés leur a donné une plus grande autonomie de décision.
Les années 60 ont été un tournant pour toutes ces tendances de fond. Les valeurs traditionnelles ont été ébranlées et la culture populaire a été le relai de ces changements. La valeur de la responsabilité a été évacuée au profit de la celle de la liberté.
Cette perspective a renforcé l’idée de la souveraineté de la femme et de la possibilité de décider du meilleur moment pour avoir un enfant. Puisqu’on n’en aura qu’un, deux ou trois, pour la grande majorité, il est devenu communément accepté de les avoir au meilleur moment pour leur assurer tout ce qui leur faudra pour croître de façon optimale, avec des parents plus matures et une famille assez à l’aise matériellement pour répondre aux besoins d’apprentissage.
Le corollaire de cette situation a été le renforcement continu de la société des droits : droit à l’enfant pour ceux qui veulent la procréation assistée, droit à l’avortement pour ceux qui n’en veulent pas. L’enfant est devenu une option parmi d’autres dans la course au bonheur.
J’accepte les grandes lignes de cette situation. Les possibilités des gens sont différentes. C’est ce avec quoi il faut composer, c’est tout.
Ce qui ne veut pas dire que certaines valeurs ne doivent pas être considérées, car il y a des choix à faire. Nous allons examiner cela dans la troisième partie de cet article.
Voyons d’abord ce qui s’est passé dans notre pays.
Au Québec et au Canada, les opposants au droit à l’avortement ont été vus comme de vieilles croûtes et le Dr Morgentaler a fini par remporter une victoire en Cour suprême, laquelle a décriminalisé l’avortement et ses propres cliniques en 1988.
Le jugement de la Cour suprême a établi que : « Forcer une femme, sous la menace d’une sanction criminelle, à mener un fœtus à terme à moins qu’elle ne satisfasse à des critères sans rapport avec ses propres priorités et aspirations est une ingérence grave à l’égard de son corps et donc une violation de la sécurité de sa personne ».
Pour plusieurs, c’était un renversement des valeurs, mais l’opinion publique penchait clairement de ce côté-là.
On s’est retrouvé depuis cette époque autour d’un vide juridique, comme cela s’était produit en France : l’avortement n’est pas criminel, mais n’est pas véritablement un droit reconnu positivement. Alors, il y a de la place pour se chicaner encore longtemps.
Ces dix dernières années, il y a eu autour de 100 000 avortements par an au Canada. Le taux d’avortements pour 100 naissances était de 30 en 2011, selon StatCan.
Les temps ont changé. Même si la ministre française Simone Veil affirmait en 1974 que l’avortement devait demeurer l’exception, ce n’est pas ce qui est arrivé. Comme en France, on est passé d’une logique de dépénalisation à une logique de « droit fondamental », très extensible.
Il y a des abus qui créent clairement un malaise social : les avortements très tardifs, jusqu’à 6 à 9 mois de gestation. C’est un phénomène rare, mais légal, en l’absence d’une loi sur l’avortement. On ne sait pas combien il y en a au Canada, car Statistiques Canada a décidé de ne plus les comptabiliser, afin de ne pas stigmatiser les femmes qui font ce choix. Il y aurait au Québec entre 200 et 800 avortements tardifs (à partir de 5 mois), selon les dernières données disponibles en 2009. Autoriser l’avortement tardif pour des raisons « psychosociales », comme cela a été voté en France ce mois-ci, laisse la place à toutes les dérives.
Révisons maintenant les arguments en présence tels que je les comprends, pour ou contre, sans les approuver ou les rejeter.
… pour des raisons de principe
… pour l’intérêt de la mère et de l’enfant
… au nom de la défense des intérêts de la collectivité
Dans quelques jours, dans une troisième et dernière partie, je vais proposer quelques pistes pour une réflexion conservatrice sur la question.
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