Nous avons discuté dans un premier article du problème des pensionnats. Je propose maintenant d’élargir la perspective.
Il y a en arrière-plan de nos relations avec les Autochtones une forme de sentiment de culpabilité. Leur minorisation et la pauvreté de nombreuses communautés sont associées à l’accusation de plus en plus fréquente de génocide.
Un génocide?
Examinons l’accusation de génocide à partir du moment de la découverte européenne.
Il y a eu des exactions des Européens contre les Amérindiens dans le cadre de conflits entre les traditionalistes amérindiens et des Européens intolérants. Mais ces conflits violents n’expliquent que marginalement la délitement des civilisations amérindiennes.
Je ne crois pas qu’il y ait eu un génocide des Européens contre les Amérindiens.
Cependant, en 150 ans, des dizaines de millions d’Autochtones des Amériques sont morts de maladies infectieuses apportées par les Européens. Cela doit être expliqué, pour mettre en lumière le facteur principal, civilisationnel.
Pourquoi ce ne sont pas plutôt les Européens qui sont morts de maladies infectieuses existant dans le Nouveau Monde? Simplement parce que les Européens avaient cultivé une grande résistance à ces agents pathogènes à partir des débuts de l’élevage et de la proximité de grands troupeaux, depuis 10 000 ans.
Les grandes maladies infectieuses viennent du monde animal et se répandent dans les populations humaines qui sont à leur contact, ce qui était le cas des Européens, mais pas dans le Nouveau Monde, ou aucun élevage n’était possible à l’origine, car il n’y avait aucune espèce d’animaux qui s’y prêtaient, sauf le lama en Amérique du Sud, et encore là, il ne pouvait être monté et il n’était pas question de lui faire traîner une charrue. Tous les animaux d’élevage ont été importés de l’Europe vers les Amériques, du cheval jusqu’au boeuf, au porc, au poulet, au lapin et au mouton.
Les sociétés d’Europe et d’Asie ont été également avantagées par la nature grâce à la présence de céréales variées, inexistantes dans les Amériques, à l’exception du maïs.
L’agriculture et l’élevage ont donc favorisé, dans le croissant fertile du Moyen-Orient et en Eurasie, la production alimentaire et la sédentarisation des sociétés; cela a rendu possible à des métiers toujours plus variés de construire des communautés qui se sont libérées de la survie au jour le jour. Ce développement accéléré n’a pu se faire dans les Amériques (ainsi que dans l’Afrique subsaharienne, pour les mêmes raisons). Les populations autochtones amérindiennes n’ont pas dépassé le niveau du paléolithique supérieur, basé sur la chasse et la cueillette1.
Ce n’est pas raciste de dire qu’une civilisation apporte plus qu’une autre. Les Amérindiens eux-mêmes s’en sont rendu compte. En peu d’années, après l’arrivée des premiers colons, une proportion grandissante d’Amérindiens ont adopté des éléments de notre civilisation, nos outils, nos armes, certaines coutumes, et finalement la foi chrétienne. L’Eurasie avait eu simplement la chance d’une nature généreuse et l’avantage du temps. Cela n’a rien à voir avec une prétention de supériorité raciale.
La civilisation occidentale apportait beaucoup : l’efficacité, la productivité, qui reposait sur une plus grande connaissance de la nature, et des techniques millénaires : la roue, les métaux, la médecine, la domestication de nombreux animaux. À cela se greffait la confiance en soi d’une société basée sur des règles de droit, des institutions solides, la reconnaissance de la propriété privée et des droits individuels, l’écriture, le livre, la science, la logique, la philosophie et la connaissance de sa propre histoire.
C’est aussi la civilisation occidentale, curieuse des autres, qui a contribué à faire connaître aux Autochtones eux-mêmes leur histoire.
Les autochtones avaient une meilleure connaissance de l’environnement naturel au début de la colonisation, comme les sentiers de forêt et les plantes médicinales. Mais cet avantage comparatif ne pouvait se maintenir longtemps. Une historiographie complaisante insiste sur les relations de collaboration et d’aide qu’ont apportées les Autochtones. Le commerce des fourrures a retardé certaines rivalités, étant donné que la connaissance du terrain et les habiletés de chasse nécessaires, mais ce n’était qu’une question de temps pour que le rapport de force fasse son oeuvre.
Beaucoup d’Amérindiens ont voulu s’approprier une partie de cette culture et ont abandonné leurs dieux fondés sur des phénomènes naturels.
Une migration symbolique de cette ampleur ne se fait pas sans conséquences pour ceux qui s’y risquent. Et ceux qui ont fait le choix de demeurer strictement dans les coutumes amérindiennes se sont marginalisés progressivement, ce qui ne va pas non plus sans inconvénient.
Le manque de perspective pour le développement de la civilisation autochtone a amené des problèmes d’éclatement familial et d’alcoolisme. Ce ne sont pas les pensionnats religieux qui ont été à la source du désespoir autochtone, c’est la défaite et la décomposition de leur civilisation. Les pensionnats ont été une tentative de rapprochement et d’assimilation qu’il était en réalité très difficile de réaliser avec succès.
Des politiques d’assimilation des cultures minoritaires ont été et sont toujours en vigueur dans plusieurs pays. C’est l’histoire du monde que des civilisations en influencent d’autres et finissent naturellement par les assimiler. Lorsqu’elles sont proches sur le plan du développement, des alliances et des fusions se produisent; lorsqu’elles sont très éloignées, cela est beaucoup plus difficile et l’assimilation est plus brutale ou ne réussit tout simplement pas.
Ce n’est pas la force des armes, mais celle de leur civilisation qui a amené les colons européens à s’imposer.
Gardons en tête qu’une partie importante des Autochtones des Amériques s’est intégrée dans le tissu social majoritaire et s’en tire bien.
Il n’y a donc pas eu de « génocide physique » ni de « génocide culturel ».[Text Wrapping Break]
Les conséquences politiques
Les Autochtones constituent 5 % de la population canadienne répartie en 600 communautés dispersées à travers le Canada.
Le gouvernement du Canada consacre 21 G$ par an aux programmes destinés aux Autochtones.
Les traités historiques doivent être respectés dans leurs intentions, mais il faut admettre qu’ils ont été signés avec des résultats et des équilibres qu’on pouvait imaginer plausibles à l’époque. Ce qui rend parfois leurs dispositions caduques, car la valeur de ce qui a été concédé a pu augmenter ou diminuer fortement, par exemple pour l’exploitation moderne de certaines terres du Nord ou pour l’urbanisation de territoires.
Le choix de certains leaders autochtones est d’essayer de prélever des rentes sur les territoires qu’ils revendiquent et ainsi justifier leur pouvoir. Et de faire tourner la roue de la dépendance avec nos gouvernements et Hydro-Québec.
Qu’il y ait eu une présence amérindienne ou non dans des territoires disputés ne change rien à l’équation suivante : on ne peut pas bloquer le développement d’immenses territoires seulement pour chasser. Ce qui donne un sens à la propriété, c’est l’usage qu’on en fait, la productivité qui permet de faire grandir les retombées possibles pour diverses communautés. Cette force est à la source du droit. Il est illusoire de croire que des leaders autochtones, qu’il aient demeuré ou pas sur certains territoires, puissent renverser la vapeur.
L’assistanat et les conflits pour avoir plus de la même chose ne fonctionnent pas. Le drame, c’est qu’on ne voie pas d’alternatives.
Les réserves indiennes sont aussi le résultat d’un compromis difficile pour faire cohabiter des sociétés très différentes. Tout le monde y a trouvé son compte à un moment donné ou un autre, mais il est difficile d’imaginer que ce puisse être une formule d’avenir. On n’a qu’à observer l’état de délabrement social de trop nombreuses communautés qui y vivent.
En 1991, un ministre responsable mentionnait que les Autochtones ont un taux d’analphabétisme fonctionnel quatre fois plus élevé que les autres Québécois, une mortalité infantile trois fois et demie plus grande, un taux de suicide six fois plus élevé pour les moins de 20 ans, des revenus inférieurs de 33 %…
En 2006, selon le chef Ghislain Picard, l’assurance-emploi et l’aide sociale y comptaient pour 44 % des revenus. Même si le taux d’emploi a légèrement augmenté, le chômage est endémique et fait fuir la jeune génération.
J’interpelle ceux qui parlent d’apartheid et leur demande de nous expliquer ce qu’ils proposent pour la cohabitation des différentes cultures dont nous discutons ici.
Le manque de véritable propriété privée dans les réserves est en partie responsable du mauvais état des logements et des problèmes sociaux qui en découlent, et constitue l’un des plus grands obstacles à leur développement économique. On ne peut pratiquement pas y emprunter, hypothéquer ou investir.
Rappelons aussi que la moitié des Autochtones ne vivent pas sur des réserves et que cette tendance va en s’amplifiant. Ceux qui y vivent toujours doivent entreprendre non seulement un chantier économique, mais aussi moral. La violence familiale, l’alcool et la drogue sont un cul-de-sac.
L’enquête sur les femmes autochtones disparues a aussi popularisé le terme de féminicide et, pourquoi pas, de génocide. C’est ce qu’a avalisé Justin Trudeau, une honte qui va coûter cher au Canada. N’oublions pas qu’une partie de ces femmes ont été tuées par des Autochtones, ce qui n’est pas moins triste, mais incite à relativiser les accusations. Les autres responsables de ces disparitions sont sans doute des violeurs qui méritent le mépris et la condamnation, mais dont les aspirations au génocide sont loin d’être démontrées. Les enquêtes qui ont été menées trop tardivement ne doivent pas faire oublier que ces femmes étaient pour la plupart en rupture de lien familial, un autre symptôme de la déliquescence de nombreuses tribus amérindiennes.
Des idiots utiles dans les universités se mettent à genoux pour s’excuser de travailler dans un « territoire non-cédé », ce qui n’est même pas établi, et personne ne les encourage à se relever.
Au contraire, les tenants de la théorie du racisme systémique, dont de nombreux journalistes, donnent des gages d’adhésion à la rectitude politique et poussent les gouvernements à s’engager dans un vaste chantier d’ingénierie sociale qui provoquera d’autres déséquilibres. On presse le gouvernement Legault de se joindre au « consensus » et de reconnaître ce faux racisme systémique, nouvelle doxa de la bien-pensance.
Selon un sondage Ipsos réalisé pour l’Institut économique de Montréal il y a deux ans, la majorité des Québécois sont pour l’égalité des droits avec les Autochtones, mais s’opposent à l’attribution de droits spéciaux. Seuls les partisans de Québec Solidaire veulent voir ajouter des droits spécifiques ou un droit de blocage sur des projets de développement économique.
Plus récemment, les gouvernements ont semblé paralysés dès qu’il s’agit d’affronter des barons locaux.
On n’ose pas empêcher la construction d’un casino contrôlé par le crime organisé à Kanesatake parce qu’on ne veut pas « provoquer » une autre crise d’Oka. Où est la culture démocratique à Kanesatake, une municipalité où fleurissent l’intimidation, la violence, les dépotoirs clandestins et les trafics illicites?
On ne poursuivra pas non plus les incendiaires des églises catholiques dont les fidèles, en partie amérindiens, ne peuvent être associés aux problèmes dont nous venons de parler.
Devant nous
Les pensionnats et les réserves indiennes ont résulté d’un compromis. D’autres approches pourront être essayées. L’autonomie gouvernementale autochtone est une voie prometteuse si elle repose sur un développement économique endogène et non pas subventionné artificiellement.
Le Canada peut rester fier de son histoire et la civilisation occidentale aussi. Brûler des églises ou renverser des statues n’y changera rien.
Il y a un examen de conscience à faire chez les peuples autochtones. Être capables de faire un deuil ouvre à la vie et à de nouvelles possibilités. La souffrance est inévitable. Elle peut seulement être apaisée, non par un déni de l’évolution du monde, mais par des mains tendues.
Il y a un choix à faire, pour chaque individu. Il est parfaitement légitime de vouloir vivre à part de la civilisation dominante, les voies du bonheur sont multiples et chacun devrait avoir la liberté de les explorer. Mais il faut tirer les conséquences de ses choix. On ne peut pas apporter avec soi tous les avantages de la société moderne. Ou rançonner la société dominante au nom des fautes qu’elle aurait commises. Légitimer cela bloquerait le développement dans le monde entier, car des cultures en ont remplacé d’autres partout.
C’est peut-être le rôle de nos grands artistes autochtones, dont certains exposent partout sur la planète, d’amener un déblocage mental, de faire naître un univers de possibilités. Plutôt que de se lamenter de voir son monde s’écrouler, on peut choisir de grandes aventures.
C’est sûrement aussi le rôle des entrepreneurs autochtones de montrer d’autres voies de la réussite. [Text Wrapping Break]
Le dialogue, pour être viable, doit mettre de côté toute forme d’infatuation de la société dominante. Mais notre pays doit mener ce dialogue avec une attitude de confiance et de fierté envers les bienfaits qu’a apporté notre civilisation occidentale.
Un conservateur honore son passé, sans être limité par lui.
Et les Autochtones ont aussi le droit de choisir leur avenir.
(1) Pour en savoir plus, on peut consulter l’ouvrage important de Jared Diamond, « De l’inégalité parmi les sociétés », Gallimard, 1997, 482 p.
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