Manquer d’essence quand on manque d’électricité

Dans un article du Journal de Montréal ce matin, le ministre de l’Environnement Benoît Charette s’exprimait au sujet des objectifs de transition de son gouvernement, qui sont sous le feu des critiques depuis des mois en raison du scepticisme d’une part croissante de la population. Dans cet article, il tenait à nier catégoriquement que le gouvernement menait une « guerre à la voiture », ajoutant cependant qu’elles devraient être entièrement électriques dans le futur et qu’à terme « ça va être difficile de trouver de l’essence ». Loin de rassurer, ces propos ont plutôt de quoi choquer, particulièrement dans une situation où Hydro-Québec a aussi de la misère à « trouver » de l’électricité et voit ses surplus se tarir.

Pas de guerre à la voiture? Vraiment?

D’abord, précisons une chose : l’expression « guerre à la voiture » est majoritairement utilisée contre les politiques municipales, et non pas provinciales. Il répond donc ici à des critiques qui ne concernent carrément pas son palier de gouvernement!

Et dans le domaine municipal, nos maires et mairesses ont beau détester l’étiquette un peu sensationnaliste de « guerre à la voiture », il n’en reste pas moins qu’à ce jour, ils ont déjà accumulé un immense héritage réglementaire hostile aux voitures. Que ce soit à Québec ou à Montréal, l’ordre du jour est à la piétonisation et aux pistes cyclables, ce qui veut dire, plus souvent qu’autrement, à l’interdiction de passage pour les voitures dans un nombre croissant de rues. Mais aussi, de manière indirecte, ce combat contre l’usage de l’automobile se fait beaucoup par la suppression de places de parking ou l’augmentation des tarifications. – Ces politiques ayant d’ailleurs l’effet vicieux de nuire de manière plus concrète aux personnes âgées et aux petits commerces, repoussant les consommateurs dans les « power center » plutôt que dans les centres-ville.

Et puis malgré leur déni continuel de cet acharnement contre les voitures, les maires et mairesses sont assez transparents sur le fait qu’ils iront jusqu’à « déranger » les citoyens à ce sujet – comme nous le rapportait un Bruno Marchand extatique après son retour de la petite bourgade de Namur, en Belgique. Ils veulent déranger les automobilistes : ils l’affirment ouvertement.

Maintenant, pour ce qui est du provincial, eh bien, Benoît Charette a beau vouloir nous rassurer, mais n’empêche que même un super-ministre homme d’affaires comme Pierre Fitzgibbon déclarait l’an passé qu’il y avait trop de voitures et qu’il faudrait les réduire de moitié. Alors disons que le message gouvernemental est un peu inégal.

Et puis, toute la saga de la filière des batteries, la faillite de Northvolt, la chute de 98% des actions de Lion électrique, les retards dans le projet de loi sur l’énergie, etc. démontrent une sorte d’obsession de la part du gouvernement, et un refus de voir la réalité en face. Doit-on être rassuré par les propos de Benoît Charette autant qu’on l’est devant ceux du gouvernement qui continue de marteler que Lion électrique et Northvolt sont l’avenir du Québec?

Mais surtout, les exemples récents ont démontré que malgré certaines positions fermes du gouvernement, il a tendance à capituler devant les revendications des municipalités, qui, comme nous venons de le démontrer, sont très actifs dans cette hostilité anti-automobile.

En effet, tout récemment, de nombreuses municipalités, dont les 67 de la Communauté Métropolitaine de Montréal, faisaient pression sur le gouvernement afin qu’il bannisse le chauffage au gaz naturel. Cette campagne avait créé une petite panique au gouvernement et chez Hydro-Québec, qui avaient dû lancer des avertissements pour expliquer qu’on ne disposait pas d’assez d’électricité pour tout bannir en bloc, et qu’on priorisait plutôt la biénergie. Le gouvernement était même allé jusqu’à voter un règlement pour rendre tout bannissement du gaz naturel au municipal conditionnel à son approbation. De la sorte, le mois dernier, la CMM attendait toujours son approbation.

Eh bien, que croyez-vous qui s’est passé? Le gouvernement a-t-il joué de prudence et pris en considération la précarité énergétique de la province? Non. Il a cédé sur absolument tout. Pis encore : non seulement il a approuvé la demande de la CMM, mais il a étendu le bannissement à l’ensemble de la province d’ici 2040!

Ainsi, le fait qu’un ministre nous dise que son gouvernement ne fait pas la guerre à la voiture ne veut rien dire lorsque les municipalités la font et obtiennent tout ce qu’elles veulent.

Une imposition à coups de privation et de précarité

Ce que les commentaires du ministre démontrent aussi, c’est que c’est par la précarité que le gouvernement compte nous imposer l’électrification. Les gens n’achèteront pas électrique parce qu’ils seront convaincus ou rassurés ; ils achèteront électrique parce qu’ils n’auront plus aucun autre choix. C’est par dépit et en raison de la précarité qu’ils s’y soumettront.

Tout est tellement déjà cher, et les gens n’y arrivent déjà presque plus, et pourtant, le gouvernement tient à tout prix à placer l’essence et le gaz dans la catégorie des produits de luxe. Toutes leurs politiques visent à gonfler leur prix pour les rendre prohibitifs. Même Énergir, possédé à 67% par la Caisse de dépôt et placement, semble complètement indifférent au fait que ses prix vont exploser tant pour les clients résidentiels qu’industriels. Les Québécois peuvent bien aller au diable ; nos leaders ont une révolution verte à faire, apparemment.

Ce serait bien beau si, à tout le moins, on disposait de l’énergie nécessaire ailleurs. Or, même nos capacités de production électriques ont déjà atteint leurs limites, occasionnant un branle-bas de combat au ministère de l’Énergie et du développement depuis 2022, qui doit doubler les capacités de production d’Hydro-Québec. C’est-à-dire que pour accomplir cette transition, on nous dit qu’on va construire l’équivalent que ce qu’Hydro-Québec a construit en 40 ans?

Même ce projet est constamment retardé. Dernière excuse en date : l’élection de Trump, qui va poser des problèmes au sujet de la tarification. Alors, on se rabat constamment sur l’amélioration de l’efficacité énergétique et la fameuse « sobriété énergétique »… Ce n’est là qu’une mesure d’austérité cachée qui démontre bien que c’est en nous serrant la ceinture au maximum que le gouvernement tente d’accomplir son beau projet de signalement de vertu environnementale.

De toute évidence, si la tendance se maintient, ce n’est pas que l’essence qui sera difficile à trouver : c’est l’électricité aussi.

Et en cas de panne?

Imaginez le scénario : une tempête majeure cause une panne généralisée partout dans la province, et face à la complexité des réparations, elles s’étendent sur quelques jours. Ce n’est pas de la science-fiction : pas plus tard qu’en décembre 2022 – et carrément le jour de Noël – nous avons connu une telle situation.

Dans des situations comme celles-là, les plus chanceux sont ceux qui peuvent recourir à un chauffage d’appoint au gaz, au feu de bois, ou à une génératrice. D’ailleurs, de nombreux commerces et industries qui ne peuvent prendre le risque de manquer de courant disposent de génératrices qui s’activent automatiquement en cas de panne.

Or, dans cette société « transitionnée » où le chauffage au gaz a été interdit ou sévèrement réglementé, causant une hausse fulgurante des prix d’Énergir, les Québécois pourront de moins en moins compter sur ces alternatives. Soit on leur aura carrément interdit, comme dans le cas d’une nouvelle construction, ou bien les tarifs seront devenus trop prohibitifs. Et pour ceux qui voudront démarrer leur génératrice, combien de kilomètres devront-ils parcourir pour trouver une station à essence? À quel prix exorbitant devront-ils se ruiner simplement pour chauffer leur famille et se nourrir?

Les Québécois, un peuple nordique, seront totalement à la merci des éléments et du froid, et complètement dépendant d’une société d’État qui accumule souvent les lenteurs et les complications. Mettre tous nos œufs dans le panier de l’électrique, dans notre situation, n’est pas seulement risqué ; c’est pratiquement de la négligence criminelle.

Philippe Sauro-Cinq-Mars

Diplômé de science politique à l'Université Laval en 2017, Philippe Sauro Cinq-Mars a concentré ses recherches sur le post-modernisme, le populisme contemporain, la culture web et la géopolitique de l'énergie. Il est l'auteur du livre "Les imposteurs de la gauche québécoise", publié aux éditions Les Intouchables en 2018.

Recent Posts

Le Canada de Justin Trudeau : une passoire pour les terroristes souhaitant entrer aux États-Unis?

Donald Trump l’a annoncé et augmentera les tarifs douaniers de 25% si le Canada et…

3 jours ago

Comment venir à bout du problème de l’itinérance? Très simple : combattre le trafic de drogues

Récemment, le Complexe Desjardins à Montréal a fait parler de lui car l’administration a décidé…

4 jours ago