Categories: Culture et société

Une chronique littéraire comme une autre pendant le confinent

Lire en confinement ? C’est impossible. Je vous le dis ! Qu’on le veuille ou non, notre vie professionnelle est en veilleuse. Oui, je lis « professionnellement ». En effet, je suis chroniqueur littéraire. Or, avec cette pandémie qui nous surveille et nous somme de demeurer à la maison, ce que je fais avec grande obéissance, cette joie de lire et d’écrire m’échappe.

Je commence à écrire une phrase. Je me lève pour faire un peu de vaisselle ou aider fiston dans un devoir de géographie. Je me rassieds. J’écris. J’ouvre un livre. Je parcours un paragraphe ou deux. Je referme le tout et retourne à ce que j’ai commencé. Je me relis… Quelle horreur ! J’ai le jugement atrophié par l’angoisse. La peur d’être confiné pendant encore un an et la menace de rouvrir les écoles trop rapidement. J’ai un fils autiste et aux poumons fragiles. Il faut y penser. Soudain j’angoisse. Je me crispe. Je regarde le premier ministre Legault à la télé. Puis Arruda et McCann. Je peste devant le cabotinage de Trudeau. Il a été professeur de théâtre ? J’ai peine à y croire, car il surjoue constamment.

Bref, ma tête est ailleurs. Je tente même de commencer mon deuxième roman et c’est très difficile.

Je « bouquine dans ma bibliothèque », mais je ne me lance pas dans de grandes lectures. Je parcours des passages de livres déjà lus. La pile à lire peut attendre, autrement je la consommerai mal. Par exemple, j’aperçois La Bête humaine de Zola dans ma pile. C’est sans doute une très grande œuvre, mais je n’ai pas tout à fait la tête à ça. Je ne veux surtout pas « lire croche » ce roman !

Contentons-nous de passages. La culture, c’est ce qui reste à l’Homme lorsqu’il a tout oublié ? Des passages, c’est ce qui lui reste lorsqu’il ne parvient pas à se plonger dans un bon roman ou un gros essai ! C’est comme des cartes postales : tu te souviens ? Tu te souviens ?

Terre des Hommes d’Antoine de Saint-Exupéry par exemple. Cette œuvre clé devient une bouée, alors que tant d’autres se remettent à la lecture de La Peste de Camus. Mais pourquoi donc ? Êtes-vous à la recherche de lumières prophétiques ? Du « Camus l’avait prédit » ? Retournons à St-Ex… J’ouvre Terre des Hommes au hasard. Page 150 : Je ne comprends plus ces populations des trains de banlieue, ces hommes qui se croient des hommes, et qui cependant sont réduits, par une pression qu’ils ne sentent pas, comme les fourmis, à l’usage qui en est fait. De quoi ressemblent-ils, quand ils sont libres, leurs absurdes petits dimanches ?

Ces jours-ci, nous sommes plutôt des fourmis en confinement ! Nous en profitons sans doute pour réfléchir : est-ce que les trains de banlieue vous manquent ? Pas seulement leurs usagers, mais surtout la raison pour laquelle vous prenez ce moyen de transport chaque matin ? L’Homme se découvre lorsqu’il se mesure avec l’obstacle. Dans le domaine de l’aviation, l’obstacle est partout. Surtout à l’époque de Saint Exupéry, c’est-à-dire dans les années 20 et 30. Sa vision de la vie se mesure à celle de son métier d’aviateur.

Parlant de vie, je replonge aussi dans l’œuvre de Félix Leclerc, plus particulièrement son Calepin d’un flâneur. J’ouvre mon exemplaire et tombe au hasard (je vous le jure) sur cette maxime : La solitude niche dans les forêts. Forêts d’hommes sur les grands boulevards, forêt d’arbres sur les montagnes. En tout cas pas à Montréal où nous sommes encore une forêt de confinés dans laquelle nous cherchons où, justement, pouvoir vivre une heure ou deux de solitude. Le tout et son contraire : Si je peux atteindre ma maison, je m’y enfermerai avec ceux que j’aime, je tirerai le verrou derrière moi et je serai heureux jusqu’à la fin du monde. Une nuit, je le sais trop bien, je me lèverai comme un voleur, sans bruit je sortirai et une fois de plus je prendrai la fuite. Mais à quel prix ? La police rôde et la mairie de Montréal compte sur les amendes pour renflouer ses coffres… C’était vrai avant, ce l’est encore plus maintenant !

Voilà que je me braque dans des idées négatives. La poésie de Wislawa Szymborska réussira-t-elle à me faire retrouver le sourire ? Dans Poèmes 1957-2009 paru aux éditions Gallimard, il y a de jolies perles. Provenant d’une prix Nobel de littérature, cela a beaucoup de valeur :

On vient de découvrir une nouvelle étoile

Ce qui ne veut pas dire qu’il fait soudain plus clair

Ou que nous sommes plus riches d’un truc qui nous manquait
(Dans L’Excédent)

Il y a ces temps-ci une étoile qui nous parle sérieusement d’une courbe à aplatir et d’une tartelette que l’on ne doit pas oublier dans le four. Il y en a une autre qui fait tout et son contraire, dans un vocabulaire digne d’un joueur de hockey après une partie âprement disputée : on travaille fort, on continue de travailler fort et c’est ça qu’on va faire. Excusez-moi, je dois quitter pour le chalet.

Je vous souhaite une bonne continuation de pandémie. Faire rouler l’économie c’est bien. Faire rouler la souris dans notre tête aussi. Continuez, si possible, de faire un peu confiance aux écrivains et aux poètes pour déjouer l’ennui.

Antoine de Saint-Exupéry : Terre des hommes

Gallimard, collection Folio

182 pages, 11,95 $

Félix Leclerc : Le Calepin d’un flâneur

Fides, collection Biblio

220 pages, 15,95 $

Wislawa Szymborska : De la mort sans exagérer — Poèmes 1957-2009

Gallimard, collection Poésie

314 pages, 18,95 $

Patrice Saucier

Ancien chroniqueur littéraire du Prince Arthur Herald. Blogueur pour papautisme.com, écrivain aux éditions Michel Lafon et journaliste à son compte. Toujours féru de livres.

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