Depuis plusieurs décennies, certains voyageurs américains ont pris l’habitude de se faire passer pour des Canadiens lorsqu’ils parcourent le monde. Ce phénomène, surnommé « flag jacking », consiste à coudre un drapeau à la feuille d’érable sur son sac à dos et à prétendre venir de Toronto ou de Vancouver pour échapper à la mauvaise réputation des États-Unis à l’étranger. Vivian Song, dans son reportage pour CNN, montre que cette pratique n’a pas disparu : elle connaît même un regain sous la présidence Trump, dans un climat de tensions commerciales et diplomatiques.
L’article s’ouvre sur l’histoire de Susanna Shankar, une Américaine naturalisée canadienne vivant à Vancouver, accusée en Espagne de mentir sur sa nationalité. Fille d’un père canadien et d’une mère américaine, Shankar incarne cette frontière floue entre deux identités nord-américaines que l’on croit interchangeables, mais que le monde distingue instinctivement. Son accent, explique-t-elle, la trahit parfois : un détail qui rappelle à quel point les nuances culturelles persistent, même à l’ère de la mondialisation.
Pour les guides touristiques européens interrogés par Song, la différence entre les deux nationalités saute aux yeux — ou plutôt aux oreilles. Denisa Podhrazska, fondatrice de Let Me Show You London, résume avec humour : « On entend les Américains avant de les voir. Ils sont gentils, mais bruyants. Les Canadiens sont plus subtils. » À Paris, Bertrand d’Aleman, de My Private Paris Tours, observe la même chose : les Canadiens ont tendance à préciser immédiatement leur origine, par réflexe de distinction, souvent pour éviter d’être pris pour des Américains.
Les chercheurs confirment que la nationalité influence le comportement touristique. Kim Dae-young, professeur à l’Université du Missouri, note que les voyageurs agissent différemment selon le pays visité : lorsqu’ils se rendent dans un pays perçu comme « plus avancé », les Américains se comportent de manière plus respectueuse. À l’inverse, dans des destinations qu’ils jugent « moins développées », certains adoptent des comportements plus désinvoltes.
D’autres différences, plus subtiles, apparaissent selon les guides interrogés : les Américains sont plus directs, plus enclins à se plaindre et à chercher des passe-droits — une habitude qu’une guide londonienne attribue à « la mentalité Disney » et à son système de files express. Les Canadiens, eux, se montrent plus adaptables, discrets et collectifs. L’humoriste Stewart Reynolds, alias Brittlestar, va jusqu’à l’expliquer par le climat : « Au Canada, les hivers sont rudes. Tout le monde doit pousser la voiture du voisin ou déneiger une allée. Cela crée une culture du collectif. »
Pour Susanna Shankar, cette distinction se ressent jusque dans la manière de « tenir l’espace » en public. Les Américains sont éduqués à affirmer leur personnalité, à se montrer uniques et confiants. Les Canadiens, eux, préfèrent s’adapter au groupe, s’effacer pour ne pas déranger. Deux styles d’existence, deux philosophies de la convivialité.
Quant aux Américains qui se déguisent en Canadiens, les professionnels du tourisme interrogés par CNN sont unanimes : cela ne trompe personne. L’image du touriste poli, discret et respectueux ne s’imite pas ; elle se construit par le comportement. Comme le souligne Leigh Barnes, d’Intrepid Travel : « Ce n’est pas votre passeport qui compte, mais la manière dont vous respectez les coutumes locales. »
En somme, le drapeau cousu sur le sac n’est qu’un symbole vide si l’attitude ne suit pas. Le « flag jacking » n’a jamais fait de quelqu’un un vrai Canadien. Et comme le montre Vivian Song, les stéréotypes nationaux, qu’ils fassent sourire ou grincer des dents, continuent de révéler bien plus qu’ils ne masquent : une vision du monde, et une façon d’y voyager.



