Le 28 avril 2025, à 12 h 33 (heure d’Europe centrale), les systèmes électriques de l’Espagne et du Portugal se sont effondrés simultanément, plongeant les deux pays dans la plus grave panne énergétique survenue en Europe depuis plus de vingt ans. Selon le rapport d’enquête du panel d’experts de l’ENTSO-E (European Network of Transmission System Operators for Electricity), rendu public le 3 octobre 2025, l’origine du blackout se trouve dans une série de déconnexions massives d’installations solaires et éoliennes, déclenchées par des phénomènes de surtension et d’oscillations du réseau.
L’analyse des données recueillies auprès des gestionnaires de réseaux (Red Eléctrica, REN et RTE) et des producteurs d’électricité révèle qu’en moins d’une minute, plus de 2,5 gigawatts de production renouvelable – essentiellement solaire et éolienne – ont cessé d’alimenter le réseau ibérique. Cette perte brutale de puissance a provoqué une chute de fréquence, une désynchronisation avec le réseau européen et, en cascade, l’arrêt complet du système.
Une vulnérabilité structurelle : l’intermittence sans inertie
Le rapport met en lumière un point central : la fragilité d’un système électrique trop dépendant des énergies intermittentes, incapable d’assurer la stabilité de fréquence en cas de variations rapides. Au moment de la panne, la production solaire et éolienne atteignait un pic printanier, tandis que les centrales à gaz et au charbon tournaient au ralenti. L’Espagne exportait alors jusqu’à 5 GW vers la France et le Portugal, dopée par des prix de marché quasi nuls (0 €/MWh), conséquence directe d’une surproduction solaire à la mi-journée.
Or, cette abondance d’énergie verte s’est accompagnée d’une chute d’inertie mécanique – la réserve naturelle de stabilité offerte par les turbines thermiques ou hydrauliques. Sans cette inertie, la moindre variation de tension ou de fréquence se propage à très grande vitesse. Ainsi, à 12 h 32, de petites oscillations locales se sont transformées en un emballement incontrôlé : surtensions à 435 kV, déclenchements de transformateurs, puis coupures en chaîne des fermes photovoltaïques et éoliennes du sud de l’Espagne (Grenade, Badajoz, Séville, Cáceres). Quelques secondes plus tard, le Portugal a subi le même sort, les protections automatiques ayant isolé la péninsule du reste de l’Europe.
Une restauration laborieuse
Le rétablissement du réseau s’est révélé tout aussi complexe. Selon le rapport, il a fallu plus de 15 heures pour reconnecter complètement les systèmes espagnol et portugais. Les opérateurs ont dû recourir à des procédures de black-start, c’est-à-dire redémarrer des centrales à partir de sources d’énergie autonomes, avant de rétablir la synchronisation avec la France et le Maroc. Certains redémarrages ont échoué, obligeant à reconstruire des « îlots électriques » séparés avant de les reconnecter progressivement au réseau continentale.
L’échec du mythe de la « transition sans risque »
Ce rapport, bien qu’il se garde d’attribuer explicitement la faute à une technologie ou à une politique énergétique donnée, met en évidence les limites physiques d’un modèle fondé sur la variabilité et la déconnexion du pilotable. Les protections automatiques des fermes solaires et éoliennes, censées sécuriser le réseau, ont paradoxalement accéléré son effondrement en réagissant trop rapidement aux surtensions.
La panne ibérique illustre ce que de nombreux ingénieurs appellent désormais le “syndrome de l’inertie perdue” : un système électrique dominé par les renouvelables variables sans capacités synchrones suffisantes devient instable par conception. Autrement dit, plus le mix énergétique se “verdit” sans appui mécanique, plus il devient vulnérable aux perturbations locales, qu’il s’agisse d’un orage, d’une surproduction ou d’un défaut de ligne.
Une leçon pour l’Europe et le Québec
Pour les défenseurs du réalisme énergétique, cette panne doit servir de signal d’alarme. L’Espagne, pionnière de la transition verte, a vu en une minute s’effondrer le mythe d’un réseau tout-électrique basé sur le solaire et l’éolien. Ce n’est pas une attaque cybernétique, ni une tempête, ni un sabotage : c’est une panne systémique engendrée par la structure même du réseau.
Au Québec, où la CAQ et Hydro-Québec misent de plus en plus sur l’intégration d’énergies renouvelables intermittentes sans redondance thermique, cette leçon européenne devrait résonner fortement. L’événement du 28 avril prouve qu’aucune transition ne peut reposer sur un idéal technologique abstrait. Sans stabilité, il n’y a pas d’électricité ; sans pilotable, il n’y a pas de sécurité énergétique.
Revenir au réalisme énergétique
L’incident ibérique montre que la sécurité d’approvisionnement doit primer sur la pureté idéologique. Le gaz naturel, l’hydroélectricité et même le nucléaire demeurent indispensables pour offrir l’inertie, la régulation de fréquence et la réactivité que les énergies intermittentes ne peuvent fournir.
En d’autres termes, le futur énergétique de l’Europe – et du Québec – ne se joue pas dans l’addition infinie de panneaux solaires, mais dans l’équilibre entre stabilité, production continue et innovation sobre. L’Espagne vient de rappeler, à ses dépens, que l’électricité n’est pas un slogan, mais un système physique.



