Les élites tombent depuis quelques années, mais il faudra quand même modérer nos attentes. Après des mois d’enquête, d’indignation publique, de révélations explosives, d’images sordides et de témoignages dévastateurs, Sean “Diddy” Combs a été en grande partie acquitté au terme de son procès fédéral. S’il a été reconnu coupable de deux chefs de transport inter-États à des fins de prostitution, les accusations les plus graves — notamment trafic sexuel, conspiration criminelle et extorsion (RICO) — ont été écartées par le jury, qui a jugé les preuves insuffisantes pour établir un réseau structuré. En attendant la sentence prévue à l’automne, Combs reste incarcéré, mais le verdict a largement amoindri la portée symbolique que devait avoir ce procès.
Un verdict qui, à la surface, choque. Et dans les cercles plus attentifs, désillusionne.
Diddy n’était pas qu’un musicien ou un magnat du divertissement : il était devenu, par la gravité des accusations portées contre lui, un symbole — celui d’un système corrompu, impuni, nourri à l’égocentrisme hédoniste, protégé par les réseaux du pouvoir. Sa chute était attendue comme une purification. Son procès, un moment de vérité. Et pourtant.
Ceux qui espéraient que les abus les plus grotesques des élites culturelles seraient enfin mis à nu, que les noms tomberaient, que les ramifications seraient révélées, repartent avec le goût amer d’un éternel recommencement. Tout se passe comme si, à chaque époque, l’histoire nous accordait un frisson de justice, une illusion de redressement — avant que la poussière ne retombe, que le rideau ne se referme, et que le théâtre des puissants ne reprenne.
La fin d’un système, et non son apogée
Harvey Weinstein est tombé. Epstein est mort. Ghislaine Maxwell est en prison. Des carrières entières ont été ruinées, et l’aura mystique de la célébrité s’est effondrée dans un océan de ridicule, de tweets maladroits et de révélations sordides. Les figures d’autorité culturelle — producteurs, journalistes, réalisateurs, chroniqueurs — ne règnent plus sans partage sur les imaginaires. Les studios eux-mêmes chancellent, Disney rétrécit, les Oscars ne font plus rêver.
Hollywood n’est plus une cathédrale : c’est un centre commercial en faillite, à côté duquel TikTok a plus d’influence. Le rêve américain, version tapis rouge, est devenu un mauvais feuilleton. Alors bien sûr, il reste du vice, de la violence, du chantage, des secrets. Il y en aura toujours. Mais cela ne constitue plus une structure cohérente et indéboulonnable. Ce sont des épiphénomènes du chaos mondial, pas des piliers cachés du pouvoir.
Le fantasme d’un axe du mal
L’idée qu’il existerait une « liste » dont la révélation renverserait tout — Trump, Biden, Hollywood, l’ONU, les Rothschild et les studios Pixar — tient aujourd’hui plus de la mythologie que de l’analyse politique. Cette attente fébrile d’un événement messianique — la vérité tombant du ciel — finit par détourner de la réalité.
La vérité, c’est que le monde n’est pas tenu par une élite stable, mais par une foule d’intérêts contradictoires, d’opportunismes crasseux et de conflits mal gérés. Ce n’est pas un système pyramidal, c’est une mer démontée. Et dans cette mer, il y a des requins, des barques percées, des pêcheurs cyniques et des passagers inconscients — mais pas un capitaine caché dans les profondeurs.
Il faut cesser de croire qu’il existe un secret unique, central, stratégique, qui ferait s’écrouler le monde si on le révélait. Le monde s’écroule déjà, morceau par morceau, sous nos yeux. Ce n’est pas un château de cartes qu’il suffirait de souffler : c’est un immeuble mal bâti qui pourrit par les fondations.
L’enjeu n’est plus là
Vouloir que Trump, ou n’importe qui d’autre, révèle la liste d’Epstein comme s’il s’agissait de la clef de voûte du système est une erreur stratégique. Ce n’est ni la priorité d’un chef d’État, ni l’alpha et l’oméga de la crise occidentale. Qu’il y ait eu des réseaux de chantage sexuel autour d’Epstein est déjà connu. Que des noms soient dissimulés ne change plus fondamentalement l’ordre du monde.
Aujourd’hui, les lignes de fracture sont ailleurs : dans la crise migratoire, la guerre des blocs, la destruction de l’énergie abordable, la manipulation idéologique dans les écoles, la faillite des institutions démocratiques, et la perte générale de confiance envers le réel. Ce sont ces enjeux-là qui détermineront l’avenir, et non les détails scabreux d’un réseau de vice déjà connu pour ce qu’il est.
Stoïcisme sans obsession
Ceux qui veulent encore savoir « qui était sur la liste » ont le droit de poser la question. Mais ceux qui en attendent le basculement de l’Histoire risquent d’être déçus. Le monde n’est pas suspendu à un document classifié. Il continue sa course — parfois chaotique, parfois sublime — indépendamment de ce que nous saurons ou non de l’île d’Epstein ou des “freak off parties” de Puff Daddy.
Le vrai réalisme consiste à se libérer de cette attente mystique. À comprendre que l’ère des grandes révélations cathartiques est passée. Ce que nous avons à faire maintenant n’est pas d’espérer la chute d’un empire caché. C’est de reconstruire — ici, maintenant — dans la clarté, dans la modestie, et dans le refus des idoles. Elles tombent. Elles tomberont encore. Et ce ne sera jamais assez.
Mais ce n’est pas grave.
Ce n’est plus le centre de gravité du monde.
Et peut-être que ça, c’est une bonne nouvelle.