Sommes-nous des esprits malléables?

Durant les dernières semaines, on nous a littéralement programmé à la peur. Nous devions avoir peur afin de nous convaincre de respecter les nouvelles règles en lien avec le confinement. Pour convaincre les gens d’adhérer à une nouvelle manière de penser, il faut faire appel à leurs émotions. La peur est une émotion négative mais efficace. Mais maintenant, pouvons-nous nous déprogrammer aussi aisément ?

On nous a annoncé la réouverture des écoles et des services de garde dès le 11 mai prochain. Bien sûr, nous remettons la responsabilité de cette décision sur les épaules des parents qui portent déjà un lourd fardeau. On nous met plus que jamais en dissonance cognitive (tension interne propre au système de pensées, croyances, émotions et attitudes (cognitions) d’une personne lorsque plusieurs d’entre elles entrent en contradiction l’une avec l’autre). [1]

Je vais vous citer maintenant une étude afin de mettre en contexte ce paradigme. Le paradigme du jouet interdit.

Une expérience d’Aronson et Carlsmith en 1963 a examiné l’auto-justification chez les enfants. Dans cette expérience, les enfants étaient laissés dans une pièce avec différents objets, notamment une pelleteuse très attirante (ou un autre jouet). Après on a expliqué à la moitié des enfants qu’ils seraient sévèrement punis s’ils jouaient avec le jouet en question et à l’autre moitié que ce serait une punition légère. Aucun des enfants dans l’étude n’a finalement utilisé le jouet. Ensuite, quand on annonça aux enfants qu’ils pouvaient jouer avec ce qu’ils voulaient, les enfants qu’on avait menacés faiblement utilisèrent moins le jouet. Le degré de punition en lui-même n’était pas suffisamment fort, c’est pourquoi les enfants devaient se convaincre eux-mêmes que ce jouet n’était pas intéressant afin de résoudre la situation de dissonance cognitive entre l’attractivité et la faible menace. [2]

En fait, comme vous le constatez, il est simple d’y voir des similitudes avec la présente situation. Alors que l’on nous a répété à quel point il était dangereux de ne pas respecter les règles, sous peine d’être punis via des amendes salées.   Maintenant on nous demande de laisser nos enfants, les êtres les plus précieux que nous avons, retourner en classe alors qu’il leur sera extrêmement difficile de respecter les règles de distanciation mise en place. En gros, la responsabilité de ce choix nous revient à titre de parents. Dissonance cognitive. Est-ce que nos enfants en tireront un bénéfice ? J’ai personnellement une enfant TSA, en classe spécialisée, une partie de moi se dit qu’il sera bon pour elle de retrouver ses repères, de continuer ses apprentissages alors que j’ai malheureusement peu de temps à lui accorder puisque je suis en télétravail. Mais la maman protectrice en moi a peur. Cette peur qu’on m’a « programmé » à avoir depuis des semaines alors que je suis seule confinée chez moi. Quel dilemme insensé !

Certes, je suis l’une des premières personnes à penser que ce confinement ne peut perdurer mais ici on ne parle pas de moi mais de ma progéniture.  Mon cœur qui bat dans un autre être humain que j’adore plus qu’on ne peut l’illustrer ! Je suis donc en totale dissonance cognitive, mes émotions sont en complète contradiction. Une situation très difficile pour la santé mentale et l’anxiété.

Un nouveau monde, une nouvelle vie

Nous devrons faire preuve de résilience et s’adapter à ce tout nouveau monde puisqu’il perdurera pour un bon moment.

Trouver un juste milieu. Nous éprouvons souvent beaucoup de difficulté à trouver un juste milieu même quand tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Maintenant avec l’onde de peur, le suivi des décès, des cas qui remplissent nos réseaux sociaux et notre télé, les publicités qui vont dans tous les sens, nous devrons être très forts mentalement pour traverser cette nouvelle étape.

Nous sommes submergés d’informations, vraies et fausses. Plus que jamais nous sommes appelés à utiliser notre sens critique quant à aux informations que nous jugeons pertinentes ou non. J’ai personnellement toujours pensé que la peur est une bien mauvaise guide. Je vais donc peser les pours et les contres, tenter de faire fi de la programmation des dernières semaines et croire plus que jamais en mon cœur et mes capacités de mère. L’inconnu fait peur mais parfois il apporte de très belles choses auxquelles nous aurions passé à côté si nous nous étions laissé guider par la peur. La vie m’a appris ça. Alors chers parents, écoutez votre cœur, peser les pours et les contres et surtout faites confiance en votre jugement. Nous sommes libres de nos pensées et non des ordinateurs que nous pouvons programmer et déprogrammer au moment jugé opportun par nos dirigeants.


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Dissonance_cognitive

[2]Aronson, E., & Carlsmith, J.M. (1963). Effect of the severity of threat on the devaluation of forbidden behavior. [archive] Journal of Abnormal and Social Psychology, 66(6), 584–588.

Julie Landreville

Ancienne Attachée politique du député de Vimont et coordonnatrice - Communications et stratégie, Comité sectoriel de main-d'oeuvre en aérospatiale (CAMAQ)

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