Vous vous souvenez du printemps 2012? Celui où les étudiants portaient un carré rouge pour signifier leur appui à la grève, tandis que les verts étaient favorables à la hausse promulguée par le gouvernement Charest. On peut se dire qu’il faut bien que jeunesse se passe. Mais voilà qu’en ce printemps 2025, des élèves du secondaire comptent faire la grève pour avoir le droit de… conserver leur téléphone à l’école. Caprice d’enfants rois, ou symptômes plus graves de maux qui rongent notre société?
La vidéo est virale sur TikTok. Elle a été partagée notamment par des pages humoristiques, et même par Richard Martineau. On y voit un jeune adolescent appeler ses camarades à faire grève contre l’interdiction du cellulaire à l’école. Certains y voient déjà un futur mème. Mais cette vidéo, tournée en dérision par tout esprit rationnel, démontre un grave problème de notre société.
Le cellulaire est si addictif, et nous en sommes devenus si dépendants pour de nombreux usages, qu’il incite des élèves du secondaire à se révolter contre une décision gouvernementale. Pourquoi? Parce qu’ils socialisent dessus. Ils l’utilisent pour jouer en ligne, mais aussi pour s’informer ou fréquenter les réseaux sociaux. Le cellulaire est très addictif, et le sevrage peut aisément se comparer à celui que subissent les toxicomanes essayant d’arrêter la drogue.
On pourrait facilement rire de la situation en se disant : ah, ces enfants rois sont fous! Bien sûr, cela semble ridicule. En 2012, la lutte des carrés rouges soulevait un enjeu d’équité intergénérationnelle. Pourquoi les milléniaux devraient-ils payer plus cher leurs études dans des domaines incertains, alors que les boomers ont bénéficié d’un système social généreux, construit par la génération des silencieux? Mais en 2025, ce n’est pas un enjeu économique qui passionne les élèves.
C’est un outil technologique aux effets délétères sur le cerveau. On connaît tous des gens à la mémoire de poisson rouge, incapables de s’abstenir de regarder leur écran constamment. À l’école, il devient de plus en plus difficile de capter l’attention des élèves. Cela se manifeste même chez les étudiants du niveau supérieur! Dans un amphithéâtre universitaire, combien sont-ils à scroller à l’infini sur leur iPhone, en attendant la fin du cours?
La raillerie est le premier réflexe qu’on a en regardant ces vidéos TikTok de jeunes appelant à boycotter l’école. Mais cela cache un problème plus profond : les écoles tombent en ruines, le sport, les arts et la culture sont gravement sous-financés dans nos institutions scolaires. Les inégalités ne cessent de se creuser entre les élèves réguliers, ceux des programmes enrichis, et finalement ceux de l’école privée.
Bernard Drainville fait bien de s’attaquer au civisme en classe et à l’insupportable dictature du téléphone portable. Mais ce n’est que mettre un pansement sur un membre arraché. Le mal que subit l’école québécoise est profond, et démontre peut-être que, pour nous, l’éducation n’est pas vraiment un enjeu de société fondamental.
On a beau rire de ces élèves qui partagent leur colère sur les réseaux sociaux, mais essayons de nous mettre à leur place deux minutes : les classes deviennent de véritables fours dès que le beau temps commence, plusieurs écoles contiennent encore de l’amiante, et les profs se succèdent en raison du nombre de burn-outs. Oui, il faut s’attaquer à la dépendance aux écrans, mais encore faut-il proposer des alternatives aux élèves.