Le 18 décembre, la juge new-yorkaise Loretta Preska a émis une ordonnance signifiant que des documents judiciaires de la plainte en diffamation de Virginia Giuffre [une vicitme de Jeffrey Epstein] contre Ghislaine Maxwell [la proche associée et complice d’Epstein] seraient rendus publics dans un délai de deux semaines. Il ne s’agit plus d’une affaire en cours: les parties ont conclu un règlement en 2017 et Maxwell purge actuellement une peine de 20 ans d’emprisonnement pour trafic de mineures.
Virginia Giuffre est l’une des 23 femmes qui affirment avoir été victime d’un trafic sexuel facilité par Epstein à l’intention d’hommes puissants.
Cette nouvelle suscita énormément d’enthousiasme et déclencha des vagues de spéculations sur les réseaux sociaux, comme si « toute la vérité » allait enfin être révélée. Pour les uns, ces révélations allaient sonner le glas de la « cabale »: Bill Gates et Bill Clinton seraient enfin démasqués. Pour les autres, c’est Donald Trump qui allait être impliqué et compromis avec ces nouvelles révélations.
Le passage à 2024 fut marqué par l’impatience des internautes – du moins, de ceux qui suivent le dossier [car il y a quand même un pourcentage de la population à qui les noms Epstein et Maxwell ne disent rien]. De vieilles photos de Clinton ou de Trump en compagnie de Jeffrey Epstein et de Ghislaine Maxwell refirent surface sur les réseaux sociaux.
Après avoir suscité tant d’attentes et de spéculations, un premier lot de 40 documents [Giuffre c. Maxwell, doc. 1320] mis en ligne le mercredi 3 janvier en soirée eut davantage l’effet d’un pétard mouillé que celui d’une bombe. Les réactions à la divulgation de ces documents judiciaires sont toutefois dignes d’attention, parce que révélatrices de l’époque avide de sensationnalisme dans laquelle nous vivons, avec ses réalités parallèles qui ne reconnaissent pas les mêmes faits et qui font parfois fi de la vérité.
Plusieurs variantes d’une liste bidon des supposés visiteurs de l’île de Jeffrey Epstein n’ont pas tardé à refaire surface, démontrant du même coup la crédulité des internautes qui se réjouissent d’y trouver, ou pas, les personnalités qu’ils méprisent ou idolâtrent.
Il s’en fallu de quelques minutes pour que le mot clic #EpsteinClientList devienne la tendance numéro 1 sur X. Pourtant, les documents descellés ne contiennent rien qui s’apparente moindrement à une liste de clients d’Epstein. Les personnes « impliquées » ont tout simplement été évoquées lors des témoignages de Virginia Giuffre et de Johanna Sjoberg, une autre jeune femme recrutée par Maxwell pour des services de massage, mais qui affirme ne jamais avoir participé à des actes sexuels.
Par exemple: quand l’avocate Laura Menninger demande si George Lucas a réclamé un contact sexuel lors d’un massage, Johanna Sjoberg répond « non ». George Lucas fait ainsi partie des personnes « impliquées » dans ces documents, bien qu’aucun écart de conduite ne lui soit reproché.
Idem pour Donald Trump, au sujet duquel Sjoberg affirme non seulement qu’il n’a pas demandé de contact sexuel, mais qu’elle ne lui a carrément jamais donné de massage. Le témoignage de Virginia Giuffre datant de 2016 [descellé en 2019] est d’autant plus exonérant pour Trump. Giuffre affirme ne l’avoir jamais vu en compagnie de Jeffrey Epstein, ni sur ses propriétés, et nie toutes allégations selon lesquelles Trump aurait flirté avec elle.
Quel est le lien avec Donald Trump? Virginia Giuffre, alors mineure, détenait un emploi comme préposée aux serviettes au spa de Mar-a-Lago en 2000 quand elle s’est fait recruter par Ghislaine Maxwell. Son père était jardinier et homme à tout faire sur le domaine de Trump.
Et les photos? Trump et Epstein furent effectivement des amis jadis, dans les années 90, alors qu’ils appartenaient à la haute société new-yorkaise. Toutefois, Trump a éventuellement banni Epstein de Mar-a-Lago, peu de temps avant l’incarcération de ce dernier en 2008, reconnu coupable d’avoir procuré une mineure à des fins de prostitution. Selon le livre The Grifter’s Club, Epstein serait tombé dans les mauvaises grâces de Trump après avoir ciblé la fille adolescente d’un membre du club. D’autres récits attribuent leur brouille à un conflit relatif aux affaires immobilières.
Le Prince Andrew, David Copperfield, Stephen Hawking, l’avocat Alan Dershowitz et Bill Clinton sont également mentionnés dans les documents. Dans son témoignage [qu’on retrouve dans l’attachement 12], Johanna Sjoberg rapporte que Jeffrey Epstein lui avait confié que Bill Clinton « les aimait jeunes », en faisant référence aux « filles » [« he said one time that Clinton likes them young, refering to girls »]. Il n’en a pas fallu davantage pour que certains partisans de Trump condamnent Clinton pour pédophilie et appellent à son arrestation. Ceux-ci seraient pourtant les premiers à dire qu’il n’y a pas suffisamment d’évidence pour tirer de telles conclusions s’il s’agissait de Trump.
Un deuxième lot de documents descellé le jour suivant dévoile un échange de courriels entre Virginia Giuffre et la journaliste Sharon Churcher [document 1325-2, p.53] qui mentionne Bill Clinton. Selon Giuffre, Clinton se serait rendu dans les bureaux de la revue Vanity Fair pour les menacer de représailles si on publiait des articles concernant la traite sexuelle de son « bon ami Jeffrey Epstein ». La réponse de Sharon Churcher évoque que Giuffre ait été l’objet de trafic sexuel pour PA [le Prince Andrew] ainsi que pour deux des politiciens les plus respectés au monde [au début des années 2000]. Les deux noms en question sont caviardés, mais présents dans le texte. Ce document ne prouve rien, mais son potentiel s’avère explosif pour les deux hommes politiques en question.
Force est de constater que ces documents sont plus embêtants pour Bill Clinton que pour Donald Trump, malgré une volonté dans certains médias mainstream d’associer Trump à Epstein ou du moins, de faire équivaloir le lien de Trump avec celui de Clinton. À noter que les deux hommes ont déjà voyagé à bord de l’avion d’Epstein. Les carnets de vol montrent que Trump a effectué 7 vols entre 1993 et 1997, et Clinton 26 vols entre 2001 et 2003. Jeffrey Epstein a également été reçu 17 fois à la Maison-Blanche pendant la présidence de Clinton.
Plusieurs médias continuent de présenter la thèse du suicide de Jeffrey Epstein en août 2019 comme avérée, alors que plusieurs commentateurs remettent ce récit en question. Dans une entrevue accordée à Tucker Carlson, Mark Epstein revient sur les circonstances suspectes entourant la mort de son frère dans sa cellule de prison du Metropolitan Correctional Center de New York, un pénitencier pourtant hautement sécurisé. Selon lui, l’autopsie indique qu’Epstein ait été assassiné. Les marques sur son cou n’ayant pas pu résulter d’une pendaison avec un simple drap. S’il s’agit effectivement d’un meurtre, cela implique que l’ancien Procureur général des États-Unis, William Barr, a accepté d’étouffer l’affaire.
De toute évidence certains individus influents ne tiennent pas à ce que la lumière soit faite sur l’affaire Epstein. Il y a d’abord eu la suppression par ABC du reportage d’Amy Robach en 2015. Ensuite, la supposée disparition de disques durs Maxtor et DVD trouvés par les agents du FBI lors d’une perquisition à la résidence d’Epstein en 2019. Dans un témoignage, l’agent spécial Kelly Maguire à expliqué que ses agents du FBI avaient simplement photographiés les éléments de preuve parce qu’ils ne disposaient pas d’un mandat valide pour en prendre possession.
Tant d’éléments louches et nébuleux qui suscitent d’autant plus de questions… D’autres lots de documents descellés sont attendus. Faut-il s’attendre à des révélations choc? Probablement pas. Découvrirons-nous un jour le fond de l’affaire? Tant que les clients ne sont pas dévoilés, Ghislaine Maxwell purge une peine d’emprisonnement pour avoir acheminé des victimes de trafic sexuel à… personne.