Le contexte: Pierre Poilievre est allé rencontrer un groupe de manifestants qui campent à Fort Lawrence, en Nouvelle-Écosse, pour protester contre la taxe sur le carbone de Justin Trudeau, qui a subi une augmentation de 23 % à partir du 1er avril. Dans un univers politico-médiatique sain d’esprit, la nouvelle devrait se limiter à la visite et à l’impact d’une hausse aussi importante sur les consommateurs.
Sauf que Pierre Poilievre a été photographié sortant d’une roulotte sur la porte de laquelle figure le drapeau du groupe Diagolon, que Justin Trudeau associe au nationalisme blanc et à l’extrême droite. Selon Trudeau, Pierre Poilievre va exacerber les divisions, les peurs et la polarisation en «interagissant» avec les membres de ce groupe.
Qu’en est-il réellement?
Il y a beaucoup de confusion sur ce que constitue effectivement le groupe Diagolon. Certains disent que Diagolon n’existe pas et qu’il s’agit essentiellement d’un mème internet. En fait, Diagolon correspond au pays fictif imaginé par Jeremy Mackenzie, un vétéran de l’armée canadienne déployé en Afghanistan qui participe désormais au Plaid Army, un groupe de streamers diffusant sur le web connu pour ses positions libertariennes et campées à droite. Mackenzie avait observé une fracture géographique représentant la réponse politique à la crise Covid en Amérique du Nord, d’où le pays fictif « Diagolon » qui s’étend en diagonale de l’Alaska à la Floride, et dont le drapeau est une ligne diagonale sur fond noir représentant cette division. Depuis, Diagolon désigne de manière générale le contenu diffusé par Mackenzie et les autres membres de Plaid Army ainsi que leur audience.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un groupe organisé formel, Diagolon avait attiré l’attention lors du Convoi de la liberté en janvier et février 2022. Le gouvernement Trudeau s’était servi, entre autres, d’une description non fondée de Diagolon avancée par le Réseau canadien anti-haine [en anglais: Canadian Anti-Hate Network ou CAHN], qui le désignait comme un mouvement d’extrême droite, pour recourir à la Loi sur les mesures d’urgence. Ainsi, c’est un épouvantail qui a déjà fait ses preuves.
Revenons-en à Pierre Poilievre. Lors de son arrêt pour rencontrer les manifestants en Nouvelle-Écosse, il est entré dans la roulotte de Sam Fields, un mécanicien qui avait pris part au Convoi de la liberté à Ottawa en 2022. Comme Fields disposait d’un chauffage au diesel à l’intérieur, sa roulotte était un espace populaire où les manifestants allaient se réchauffer. C’est ainsi que la partenaire de Jeremy Mackenzie, Morgan Guptill, avait dessiné un petit drapeau de Diagolon au crayon-feutre noir sur la face intérieure de la porte en 2022. Le dessin n’est pas plus gros qu’une carte à jouer, et il est entouré d’autres slogans, symboles et signatures dont un cœur traversé d’une flèche et « #Save Canada ». Lors du Convoi de la liberté, il était courant que les participants signent les camions et les voitures des uns et des autres, en guise de solidarité ou pour laisser un souvenir; un peu comme on signe un plâtre.
Il a vraiment fallu chercher des poils aux œufs pour établir un lien entre Pierre Poilievre et Diagolon. Déjà qu’il n’y a aucun lien entre le mécanicien Sam Fields et le groupe Diagolon, autre que Fields et MacKenzie se trouvaient tous les deux à Ottawa en 2022. Tous les individus rassemblés partageaient l’opposition au passeport vaccinal, mais pouvaient par ailleurs souscrire à des courants politiques complètement disparates. De plus, Poilievre n’a pas pu «interagir» avec des membres de Diagolon quand il s’est arrêté pour rencontrer les manifestants en Nouvelle Écosse, car il n’y en avait aucun sur le campement selon les dires de Tommy Everett, l’organisateur de l’événement.
Il se fait que les streamers du Plaid Army, que Mackenzie chaperonne, sont des droitistes anti-establishment qui rejettent catégoriquement l’ensemble de la classe politique, y compris le Parti conservateur – et Pierre Poilievre en particulier. Jeremy Mackenzie a déjà «blagué» au sujet d’un viol éventuel de Anaida Galindo, la femme de Poilievre. Il suffit de regarder son contenu deux minutes pour constater que MacKenzie n’a aucune sympathie pour Poilievre. D’insinuer une proximité ou affinité entre Poilievre et ce groupe relève de l’ignorance ou du mensonge.
La réaction de Justin Trudeau en dit davantage sur lui-même que sur son principal adversaire. Le PM pratique ici la diabolisation par association, qui est sophiste de nature. Il s’agit d’une manœuvre très employée par les militants wokes, qui ne ratent pas une occasion d’associer leurs adversaires à l’extrême droite afin de les discréditer. De plus, Trudeau associe faussement ceux qui manifestent contre la hausse de sa taxe carbone en Nouvelle-Écosse à un groupe que lui juge infréquentable, alors que le dit groupe, Diagolon, n’est pas impliqué.
Trudeau est en mode panique face aux sondages, qui continuent de le montrer perdant face aux Conservateurs – et pas rien qu’un peu. En Colombie-Britannique, le PLC pourrait être complètement rayé de la carte. En date du 28 avril, le Parti conservateur y récolte 49% des intentions de vote, contre un maigre 18% pour les Libéraux. Dans les provinces de l’Atlantique, où les Libéraux avaient raflé la totalité des 32 sièges en 2015, ils ne feraient à présent élire que 9 députés.
Avec moins de 18 mois d’ici l’élection, une tendance aussi lourde sera difficile à inverser. Quoi qu’il en soit, une grossière diabolisation du principal adversaire n’est probablement pas le meilleur moyen d’y parvenir.