Au-delà de l’outrage très justifié des amateurs de chasse ou de tir sportif contre le projet de loi C-21, qui a été élargi in extremis pour en faire le plus grand bannissement d’armes de l’histoire du Canada, une autre victime de ce projet de loi passe un peu plus inaperçue ; la communauté du airsoft.
Jeu de combat sportif relativement récent, le airsoft ressemble beaucoup au paintball, à la différence que les armes utilisées, au lieu de projeter des balles de peinture, projettent des petites balles de plastique BB (6 mm), ce qui permet des armes plus réalistes, parfois même jusqu’à la réplique exacte.
Et c’est précisément le problème avec le projet de loi actuel, qui prévoit modifier la définition d’une réplique d’arme à feu pour la rendre plus englobante, et franchement plus floue, ce qui rendrait illégaux près de la totalité des pistolets, carabines ou mitrailleuses airsoft, qui ne sont, au bout du compte, que des jouets non létaux.
En effet, le projet de loi stipule que sera considéré comme illégal tout « Dispositif conçu ou destiné à ressembler exactement, ou à ressembler avec une quasi-précision, à une arme à feu conçue ou adaptée pour tirer des plombs, des balles ou d’autres projectiles à une vitesse initiale supérieure à 152,4 m par seconde et à une énergie initiale supérieure à 5,7 joules, et qui n’est pas lui-même une arme à feu, à l’exclusion d’un tel dispositif conçu ou destiné à ressembler exactement, ou à ressembler avec une quasi-précision, à une arme à feu antique. »
En d’autres termes, la loi C-21 ne bannit pas simplement un large éventail d’armes à feu, mais aussi tout ce qui se rapproche de près ou de loin à une réplique d’arme à feu. Illustrant de manière éloquente le signalement de vertu qu’elle représente, cette loi vise à bannir tout ce qui ressemble à une arme à feu, en dehors de toutes considérations réelles sur leur dangerosité pour la société.
C’est depuis quelques mois la principale préoccupation de Brian Durand, président de la Fédération Sportive d’Airsoft du Québec qui affirme que ce flou dans la loi pourrait permettre de grave dérapages. Selon son organisation, le sport est en danger de disparition en raison de cette loi massue.
Contacté par Québec Nouvelles, monsieur Durand explique que le chemin vers une reconnaissance réglementaire de son sport a été un vrai parcours du combattant jusqu’à aujourd’hui, et que cette loi menace tous les efforts effectués depuis :
« Il y a toujours eu un problème autour des réglementations du airsoft au Canada ; souvent, les joueurs voyaient leurs achats à l’étranger saisis aux douanes, qui avaient de la difficulté à déterminer s’il s’agissait d’armes à feu, si ça respectait la loi, même si la structure interne des armes n’a rien à voir. Il y avait un flou dans la loi autour de ce qui est permis ou pas. C’est pour cette raison qu’on s’est fédéré et qu’on a fondé cette organisation, pour pouvoir s’inscrire légalement auprès du gouvernement comme un sport fédéré, avec ses normes, ses réglementations, etc. »
Cette organisation du sport semble d’ailleurs aller bon train ; l’ASIC (Airsoft in Canada) évaluant sa communauté à 64 000 membres au pays et ses retombées économiques à une hauteur de 75 à 100 millions de dollars. Ce sont donc 318 entreprises employant 1500 Canadiens qui sont aujourd’hui menacées par le projet de loi.
Une situation qui pousse la Fédération Sportive d’Airsoft du Québec à être en campagne et multiplier les négociations avec le gouvernement et les autorités compétentes.
Expliquant que leur combat est complètement à part de celui des armes de chasse ou de tir sportif, M. Durand précise que tout est sur la table : instauration d’un âge minimum à l’achat, réglementations en termes de transport, réglementations sur l’apparence des armes, permis, registre, etc.
Or, il semble que les négociations soient toujours à recommencer. Elles avaient débuté lors de la première mouture d’un projet de loi sur les armes à feu en 2020, qui avait ensuite été abandonné pour reprendre de plus belle cette année. Mais, encore une fois, les négociations ont été interrompues par l’ajout massif d’amendements au projet de loi à la dernière minute par le gouvernement Trudeau.
« On a certains contacts qui nous disent que c’est une bonne chose pour nous, que ces amendements-là rendent la loi encore plus insupportable pour les chasseurs et que ça pourrait la faire tomber en entier, mais on ne peut être sûr de rien, alors on attend de voir ce qui va se passer ».
Mais pourquoi le gouvernement voudrait-il bannir ce qui n’est, au bout du compte, que des jouets ou des répliques somme toute innocentes et sécuritaires? C’est que, comme l’explique M. Durand, les services de polices ont enregistré dans les dernières années quelques cas de crimes effectués avec ces répliques d’armes, en raison de leur réalisme.
« Mais ils ne disposent d’aucune statistique! Lorsqu’ils enregistrent ce genre de crime, il est simplement classé dans la catégorie de « crime à main armée », peu importe s’il s’agit d’une véritable arme à feu ou d’une réplique! Alors, on n’a aucun chiffre pour savoir s’il y a vraiment une tendance ».
Expliquant le côté ridicule de la situation, le président de la FSAQ va plus loin : « Un criminel qui veut simplement braquer un dépanneur pour quelques dollars a plus de chance de s’acheter un pistolet-jouet en plastique et le peinturer que de s’acheter un airsoft à 300-400$! Et selon la même définition d’un crime à main armé, simplement utiliser sa main dans sa poche avec la forme d’un pistolet pourrait être considéré comme tel… »
C’est pour cette raison que la FSAQ est totalement disposée à renforcer les réglementations autour du Airsoft : « Nous avons fait un évènement en plein centre-ville de Montréal récemment, et nous n’avons jamais été aussi sévères, évidemment, parce qu’on parle de centaines de personnes en ville avec des répliques d’armes. Alors on a été très stricts en matière de transport ; il fallait le faire dans des contenants de transport appropriés. On a interdit aux participants de venir en transport en commun ou de se présenter en uniforme ou déjà équipés, etc. Au bout du compte, on veut simplement pratiquer notre sport et le faire de la manière la plus sécuritaire possible ».
M. Durand rappelle aussi qu’il est essentiel pour eux de combattre une stigmatisation qui ferait des adeptes du Airsoft des gens asociaux, violents, radicaux ou obsédés par les armes : « Selon un sondage dans notre fédération, plus de 70% de nos membres ne disposent pas d’arme à feu. C’est une activité très sociale, une vraie communauté de passionnés qui vont passer des heures et des heures à planifier des évènements, des reconstitutions historiques et des compétitions. Pour beaucoup, ça représente aussi une manière de se mettre en forme. On a beaucoup de vétérans pour qui c’est une manière de revivre un peu la camaraderie qu’ils ont connu sans les côtés négatifs ; ça les aide à retrouver un équilibre. »
Il ajoute, avec un peu d’humour : « Au bout du compte, c’est un peu comme les « Grandeur Nature » ; on est juste une communauté avec des gens un peu « nerds » qui veulent simplement passer du bon temps ».
Enfin, avec la potentielle interdiction du Airsoft, M. Durand exprime la crainte d’une perte de contrôle totale sur ces fausses armes : « Ce que j’ai peur, c’est que si du jour au lendemain ces répliques d’armes-là deviennent illégales, bien on n’a pas de registre pour ça et ce n’est pas tout le monde qui ferait les efforts de les remettre aux autorités… Alors ça peut créer l’effet complètement inverse et inonder du jour au lendemain un marché noir qui ne profiterait qu’aux criminels et aux gangs de rues. Dans ce scénario, il y aurait encore plus de chance que les Airsoft se retrouvent entre de mauvaises mains, alors on préfèrerait que le gouvernement exclue le Airsoft de cette loi et s’assoit avec nous pour négocier une réglementation raisonnable et efficace. »