Depuis le début de la guerre en Ukraine et malgré les sanctions imposées à la Russie, du pétrole russe finit quand même par être vendu sur les marchés européens et canadiens. Ainsi, on se retrouve à payer une fortune pour défendre l’Ukraine, tout en continuant, sans même le savoir, à financer la Russie en achetant son pétrole et son gaz. Le Canada pourrait remplacer ces approvisionnements russes, mais s’y refuse obstinément, préférant débourser des milliards pour des armes plutôt que de renforcer sa propre industrie énergétique.
Comment le pétrole russe arrive-t-il encore sur les marchés occidentaux ?
Malgré les interdictions formelles d’importer du brut russe, celui-ci trouve toujours des moyens d’atteindre l’Occident par des voies indirectes. La Russie vend massivement son brut à des pays comme l’Inde et la Chine à prix réduit. L’Inde, en particulier, est devenue un acteur central de ce commerce : avant la guerre, seulement 1 % de ses importations provenaient de Russie ; en 2023, ce chiffre dépasse les 30 %. Ce brut est raffiné en Inde et revendu sur les marchés internationaux sous forme de produits pétroliers transformés, qui ne sont plus techniquement considérés comme russes. Ces produits finissent par être importés au Canada et en Europe sans que les acheteurs ne sachent forcément qu’ils proviennent initialement de Russie.
Le Canada a officiellement interdit l’importation directe de pétrole russe en février 2022, mais l’absence de contrôle rigoureux sur l’origine des hydrocarbures raffinés permet à du pétrole d’origine russe d’atteindre ses marchés via des pays intermédiaires et des « flottes fantômes ». Selon Jane Boulden, professeur de sciences politiques à l’université Queen’s de Kingston, en Ontario :
«Une partie du pétrole brut – selon les données sur les visites des navires dans les ports, l’imagerie satellite et les données sur le trafic maritime fournies par Marine Traffic – est expédiée vers ces raffineries par la « flotte fantôme » de la Russie – un groupe de pétroliers dont on dit beaucoup qu’il échappe aux sanctions et aux règles internationales de plafonnement des prix du pétrole, qui limitent le prix auquel la Russie peut vendre son pétrole. […] Après avoir été raffinés en Inde, les carburants peuvent être exportés vers le Canada. Par exemple, après avoir quitté Jamnagar à la fin de l’année dernière, un pétrolier indien, le Lilac Victoria, a livré en décembre plus de 50 000 barils de carburant raffiné à la raffinerie Everpoint Wind Tupper, en Nouvelle-Écosse. Plusieurs experts ont déclaré à CBC News que certains de ces 50 000 barils contenaient probablement du pétrole produit à partir de brut russe, mais on ne sait pas exactement quelle en est la quantité.
Toujours selon la politologue, cette situation illustre les limites des sanctions, qui, loin d’asphyxier l’économie russe, permettent plutôt à de nouveaux circuits commerciaux de se développer via ses partenaires eurasiatiques :
« Cette faille compromet l’objectif général, non seulement des sanctions, mais aussi de l’ensemble des efforts déployés pour soutenir l’Ukraine, punir la Russie et tenter de modifier son comportement ».
L’Europe toujours dépendante du gaz russe
Or, ce n’est pas seulement sous forme clandestine que les hydrocarbures russes continuent d’être vendus en Occident, l’Union européenne s’est engagée à réduire sa dépendance au gaz russe, mais les chiffres montrent que cette rupture est loin d’être totale. Avant la guerre, environ 40 % du gaz consommé en Europe provenait de Russie. En 2022, l’Allemagne en importait 55 %, la France 20 % et certains pays comme la Hongrie ou la Slovaquie étaient encore plus dépendants.
Si le contrat pour le transit du gaz via l’Ukraine a été interrompu, d’autres circuits persistent. Le gaz continue de transiter via le pipeline TurkStream, qui passe par la mer Noire et alimente plusieurs pays des Balkans. L’UE a augmenté ses importations de gaz naturel liquéfié (GNL), principalement en provenance des États-Unis, mais cela ne compense pas entièrement la perte du gaz russe. En 2022, l’UE a importé 155 milliards de mètres cubes de GNL, soit une augmentation de 60 % par rapport à l’année précédente. Pourtant, la Russie reste l’un des principaux fournisseurs d’hydrocarbures de l’Europe, même si les flux ont changé.
Ces exportations sont cependant primordiales pour la Russie. En effet, selon Julien Bouissou, Anne Michel et Poline Tchoubar :
«La question est cruciale, alors que les revenus tirés des hydrocarbures couvrent, selon les estimations, entre 30 % et 50 % du budget de l’Etat russe et financent en grande partie sa guerre contre l’Ukraine. Elle l’est d’autant plus que les sanctions sont contournées et doivent être sans cesse revues.»
Le chantage énergétique : un outil géopolitique privilégié de la Russie
La mainmise sur le marché du gaz en Europe n’est pas seulement une industrie lucrative pour la Russie, ça devient aussi un levier de négociation géostratégique. L’utilisation du gaz comme arme politique par la Russie ne date pas de la guerre en Ukraine. Moscou a régulièrement usé de ce levier pour faire pression sur ses voisins. En 2006 et 2009, elle a coupé l’approvisionnement de l’Ukraine, ce qui a affecté plusieurs pays européens en plein hiver. En 2022, la Russie a adopté la même stratégie en suspendant les livraisons à la Pologne, la Bulgarie, la Finlande et les Pays-Bas, qui refusaient de payer en roubles.
Les pays baltes, en particulier, ont été visés par ces stratégies coercitives. La Lettonie a vu son approvisionnement en gaz coupé en juillet 2022, officiellement pour violation des conditions de contrat, mais en réalité pour son soutien à l’Ukraine. Ces tactiques illustrent la volonté russe d’utiliser l’énergie comme un moyen de pression politique pour affaiblir les pays hostiles à ses intérêts.
La crise énergétique de 2022 et le poids des politiques environnementales
En parallèle à la guerre en Ukraine, l’Occident a subi une crise énergétique aggravée par ses propres politiques de transition écologique. La taxation énergétique et les objectifs de réduction des émissions de carbone ont fait grimper les prix de l’énergie, augmentant le fardeau sur les industries et les consommateurs.
Les industries occidentales, déjà sous pression, ont vu leur compétitivité s’effondrer face à des pays comme la Chine, qui bénéficient de coûts énergétiques bien plus bas. Le secteur des véhicules électriques en est un exemple flagrant : en subventionnant massivement la transition vers l’électrique, les gouvernements occidentaux ont créé un marché qui profite avant tout à la Chine, leader mondial de la production de batteries.
Paradoxalement, alors que l’Occident cherche à sanctionner la Russie, il continue indirectement de financer son effort de guerre en lui achetant du pétrole sous des formes transformées et en affaiblissant sa propre production énergétique.
L’indépendance énergétique est primordiale
Quelle que soit la position géopolitique de chacun, l’indépendance énergétique demeure un impératif stratégique. Une nation qui dépend d’une puissance étrangère pour ses approvisionnements s’expose à des fluctuations imprévisibles et à des pressions économiques et politiques constantes.
La guerre des tarifs en est une preuve supplémentaire. Alors que l’Europe cherche des sources alternatives d’énergie, elle devient un partenaire commercial stratégique pour le Canada. Assurer un approvisionnement stable et compétitif à l’Europe permettrait de renforcer les liens économiques transatlantiques tout en réduisant la vulnérabilité du continent face aux pressions extérieures. De plus, face aux États-Unis, qui dictent leurs conditions commerciales, et à la Russie, qui utilise l’énergie comme levier d’influence, il devient crucial pour le Canada d’exploiter pleinement ses ressources pour sécuriser sa place sur le marché mondial.
Le développement et l’exportation des hydrocarbures canadiens vers l’Europe devraient être une évidence géostratégique. Plutôt que de dépendre de sources énergétiques volatiles et politisées, le Canada devrait investir dans ses propres ressources pour garantir sa sécurité énergétique. La crise énergétique de 2022 et la guerre en Ukraine ont prouvé à quel point l’indépendance énergétique est cruciale. Continuer à ignorer cette réalité, c’est affaiblir nos économies tout en renforçant nos adversaires.