D’après un article de l’Associated Press publié sur CBC News le 3 juin 2025
Le Japon vient d’atteindre un nouveau seuil critique : selon les données publiées mercredi par le ministère de la Santé, le pays a enregistré en 2024 seulement 686 061 naissances, soit une baisse de 5,7 % par rapport à l’année précédente. C’est la première fois depuis le début des relevés, en 1899, que le nombre de naissances annuelles passe sous la barre des 700 000. Et ce déclin survient quinze ans plus tôt que ce que prévoyaient les autorités.
L’Associated Press souligne que ce chiffre représente à peine le quart du sommet atteint en 1949, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, où plus de 2,7 millions de bébés étaient nés en une seule année.
Pour le Premier ministre japonais Shigeru Ishiba, la situation constitue une « urgence silencieuse » mettant en péril l’avenir économique et sécuritaire du pays. Alors que le Japon investit massivement dans sa défense, son tissu social, lui, se délite. La population, actuellement estimée à 124 millions, devrait chuter à 87 millions d’ici 2070, avec 40 % des citoyens âgés de plus de 65 ans.
Les mesures politiques existantes — comme la promotion de milieux de travail plus souples et les aides à la parentalité — se révèlent largement inefficaces. Notamment parce qu’elles ciblent presque exclusivement les couples déjà mariés ou ayant des enfants, en ignorant une réalité bien plus préoccupante : le nombre croissant de jeunes adultes qui ne veulent tout simplement pas se marier ou avoir d’enfants.
Le Japon n’est pas seul dans cette crise. L’Associated Press rappelle que le Canada a enregistré son taux de fécondité le plus bas jamais mesuré en 2023 pour la deuxième année consécutive, avec 1,26 enfant par femme. Ce chiffre place le Canada dans le groupe des pays à « très faible fécondité », aux côtés de la Corée du Sud, de l’Espagne, de l’Italie et du Japon.
Les facteurs évoqués par les experts sont désormais bien connus : coût de la vie, éco-anxiété, instabilité professionnelle, normes sociales évolutives, et report de la parentalité à un âge plus tardif, ce qui limite naturellement la période de fécondité.
La Corée du Sud a vu son taux de fécondité légèrement remonter de 0,72 à 0,75 en 2024, après avoir mis en place une série de mesures incitatives — congés parentaux élargis, allègements fiscaux, horaires plus flexibles. Mais l’effet reste timide. Aux États-Unis, la tendance reste à la baisse depuis la récession de 2008-2009, malgré quelques initiatives symboliques. L’administration Trump envisagerait même de récompenser les naissances par des « baby bonuses » de 5 000 dollars, des bourses réservées aux familles et des médailles de la maternité pour les femmes ayant six enfants ou plus.
Au Japon, les jeunes générations font face à un marché du travail peu prometteur, à une culture d’entreprise sexiste et à une forte pression sociale. Beaucoup de femmes refusent d’abandonner leur nom de naissance — une exigence juridique en cas de mariage — ce qui renforce leur désintérêt pour l’institution conjugale.
Le taux de fécondité japonais est désormais tombé à 1,15 enfant par femme. Le nombre de mariages a légèrement augmenté pour atteindre 485 063 couples en 2024, mais cela ne suffit pas à inverser la tendance amorcée dans les années 1970.
Derrière ces chiffres, c’est un basculement civilisationnel qui se dessine. Les États asiatiques, longtemps perçus comme des modèles de discipline et de modernité technologique, semblent incapables de susciter chez leur jeunesse un désir fondamental : celui de faire perdurer la vie.