Le Parlement hongrois vient d’adopter une loi qui interdit la tenue de la parade de la fierté LGBTQ+ (par un vote de 136 contre 27). De prime abord, je m’oppose à ce que l’État interdise les rassemblements citoyens. La liberté de réunion pacifique et de manifestation est d’ailleurs un droit fondamental reconnu dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. L’article 20 stipule que « toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques ». L’Union européenne reconnaît également ce droit à travers plusieurs textes législatifs, bien qu’il puisse être restreint en cas de non-respect de l’ordre public, en raison de sécurité nationale ou de santé publique.
La marche de 2025 devait avoir lieu le 28 juin. Les associations LGBTQ+ n’ont pas tardé à dénoncer l’homophobie et la transphobie du gouvernement Fidesz de Viktor Orbán.
Pourquoi la Hongrie a-t-elle décidé de bannir la marche LGBTQ+? Parce que la tenue du rassemblement violerait la loi LXXIX de 2021, selon laquelle il est interdit de « promouvoir » l’homosexualité et le changement de sexe auprès des mineurs.
Cette loi visait initialement à renforcer les mesures contre la pédocriminalité, mais des amendements ont été introduits pour interdire la diffusion de contenus qui sont considérés comme promouvant l’homosexualité ou le changement de sexe auprès des mineurs. L’interdiction s’applique aux programmes éducatifs et aux contenus destinés aux jeunes.
On pourrait arguer que sans le discours sur l’identité de genre et le changement de sexe, la « promotion » de l’homosexualité, à elle seule, aurait été moins perçue comme une menace existentielle par le gouvernement hongrois. L’homosexualité a été dépénalisée en Hongrie dès 1961 (sous le régime communiste). Les unions civiles pour les partenaires de même sexe y sont reconnues depuis 2009. Bien que la nouvelle Constitution hongroise de 2011 définisse le mariage comme l’union exclusive entre un homme et une femme, elle n’a pas remis en cause les partenariats civils. Ceci indique que l’homosexualité est socialement tolérée: une acceptation pragmatique, tant qu’elle ne remet pas en question les normes sociales.
Le discours sur le transgenrisme introduit des questions plus radicales sur l’identité, le corps et la binarité du sexe, ce qui est davantage perçu comme une attaque directe contre les repères sociaux et les fondements de la famille traditionnelle. Le Fidesz et l’Église catholique hongroise ont d’ailleurs ciblé « l’identité de genre » comme une menace importée du monde occidental. En Hongrie (comme ailleurs), les débats sur la transition des mineurs, l’accès aux hormones et bloqueurs de puberté ainsi que les changements d’identité de genre légale ont provoqué des controverses plus intenses que la seule question des droits des personnes homosexuelles.
L’homosexualité est une orientation sexuelle, tandis que le transgenrisme implique la notion d’identité de genre et les démarches médicales et légales associées. Il empiète aussi sur les droits des femmes.
Rapport à l’enfance, il est beaucoup plus facile de faire croire à un enfant qu’il est dans le mauvais corps que de le convaincre qu’il est attiré par les personnes de même sexe. Essayez de persuader un enfant qu’il a envie de manger du brocoli s’il n’apprécie ni son goût ni sa texture.
Sans le discours transgenre, l’homosexualité aurait moins facilement pu être amalgamée à une menace idéologique globale. La loi interdisant la marche des fiertés s’inscrit dans une rhétorique plus large du Fidesz, qui promeut des valeurs traditionnelles et se positionne contre ce qu’il qualifie « d’idéologie du genre » ou de « propagande libérale occidentale ».
Voilà une occasion pour les tenants du mouvement LGBTQ+ de faire un examen de conscience. Les LGB ont-ils intérêt à soutenir le discours porté par le TQ+, dont les prémisses s’opposent diamétralement à la réalité sexuée qui les définit? Ces défilés de la Fierté sont-ils un exemple en matière de respectabilité?
Les organisateurs des défilés de la Fierté tolèrent non seulement la nudité mais la participation d’associations BDSM qui font l’étalage de leurs fantasmes et fétiches sexuels. On voit souvent des maîtres BDSM promener leurs esclaves sexuels en laisse. Ceux-ci portent parfois des masques de chien. À West Hollywood, lors de la parade de 2023, un maître et son esclave performaient un rituel de domination sur un char allégorique, à la vue de tous, y compris de mineurs. Les exemples de ce type abondent et n’ont rien de nouveau.
Il y a probablement des adeptes de BDSM dans diverses autres communautés, mais on ne verrait jamais une dominatrice promener ses esclaves en laisse à la parade de la Saint-Patrick ou de la fête nationale du Québec. L’étalage des fantasmes d’adeptes du sadomasochisme à peine vêtus n’a pas sa place dans un événement pour tous en pleine rue. Qu’il s’agisse d’un petit contingent parmi un grand nombre d’autres participants n’y change rien.
La parade LGBTQ+ sert souvent de prétexte au dévergondage: on voit des hommes et des femmes s’y promener les seins et les fesses à l’air. Le premier marcheur entièrement nu dans une parade de la fierté gaie remonte à 1979 à San Francisco. Depuis, il n’est pas inhabituel de remarquer la présence de marcheurs complètements nus, bien qu’ils soient peu nombreux à l’intérieur de foules de plusieurs milliers de personnes. À Toronto, au défilé de 2022, un homme portant un masque de Bugs Bunny a exhibé sa nudité frontale.
Les défenseurs de l’événement nous expliquent que la nudité n’est pas un phénomène dominant dans les marches de la Fierté, même s’ils reconnaissent qu’elle existe. Ce ne serait pas grave parce que la nudité suscite rarement des arrestations. Ont-ils envisagé que la Fierté bénéficiait peut-être d’un passe-droit? Après tout, cette parade est devenue le passage obligé des politiciens progressistes et des multinationales qui veulent signaler leur ouverture à la « diversité ».
Un article de vérifications des faits de Reuters se contorsionne pour tenter de minimiser les attestations de nudité lors des événements de la Fierté. L’article s’intitule: « Les publications anti-Pride présentent des photos sans rapport avec les événements LGBTQ » [Anti-Pride posts feature photos unrelated to LGBTQ events], mais précise ensuite que « les photos montrant des individus nus en public en présence d’enfants ne sont pas toutes liées aux événements du mois des fiertés ». Ce qui implique que certaines d’entre elles le sont. Reuters défend par ailleurs un groupe de personnes nues marchant dans la rue lors du défilé de la Fierté de Toronto en 2023 parce qu’aucun enfant n’est visible sur la photo. Comme si ces individus n’avaient pas pu croiser de mineurs à d’autres moments lors de la journée. Et comme s’il était acceptable de se promener flambant nu au centre ville, à condition de ne pas croiser le regard de mineurs. Aussi, pareille nudité serait-elle tolérée s’il s’agissait d’un rassemblement hétérosexuel?
[Un parallèle: ici au Québec en 2021, un manifestant contre les mesures Covid qui ne portait pas de couvre-visage à l’extérieur pouvait se faire traîner en dehors du cortège par des policiers et recevoir une amende totalisant $1,500].
Revenons-en à la Hongrie. Les pays d’Europe de l’Est n’ont pas vécu la révolution culturelle et sexuelle de la fin des années 1960. Ils n’ont connu des changements en matière de valeurs sociales qu’après la chute du mur de Berlin en 1989 et accusent un certain décalage. La décadence de l’Occident y apparaît d’autant plus flagrante. S’il en vient à déconstruire les repères sociaux, un mouvement de défense des libertés individuelles ne s’inscrit pas dans l’intérêt du maintien de la collectivité. Ça peut expliquer pourquoi un gouvernement conservateur comme celui d’Orbán cherche à éviter de reproduire chez lui ce qu’il observe ailleurs, en prenant des mesures fermes pour protéger les valeurs traditionnelles.
L’interdiction de la marche de la Fierté peut sembler drastique et liberticide, mais la militance LGBTQ+ est difficile à défendre si on considère où elle conduit lorsqu’on lui laisse libre cours. La corruption idéologique (par le concept d’identité de genre), l’insistance à solliciter l’attention des enfants (avec le « drag queen story hour ») et l’appel à célébrer les minorités sexuelles (au lieu de se contenter d’être toléré ou accepté) en font un mouvement propagandiste qui outrepasse les limites de sa légitimité. Avec ses dérives wokes et sa sexualisation exubérante, le défilé de la Fierté LGBTQ+ suscite davantage d’indignation qu’il ne sécurise les droits déjà acquis. Le gouvernement Orbán rend-il indirectement service aux personnes LGBT ordinaires qui veulent juste vivre en paix sans que leur identité prenne toute la place?