C’est un développement politique surprenant qui est en train de se produire dans les provinces de l’ouest, ou plus précisément, les provinces des prairies. Alors que le Québec a toujours été reconnu pour son autonomisme au sein du régime fédéral canadien, notamment pour des raisons culturelles et son usage occasionnel de la clause nonobstant, il semble que cette posture soit de plus en plus mise de l’avant par l’Alberta et la Saskatchewan, qui disent s’inspirer directement du Québec. Cette fronde contre Ottawa est même en passe de faire tomber Trudeau!
On en a eu un exemple éloquent avec l’arrivée au pouvoir de Danielle Smith en Alberta qui a fait campagne sur son projet « d’Acte sur la souveraineté » et dont l’élection a permis sa mise en application. Dans un Canada quelque peu radical dans ses politiques vertes, la province la plus prospère au pays – grâce à ses énergies fossiles – se retrouvait à être la principale pénalisée par ces politiques et craignait à raison une diminution de son niveau de vie.
C’est pour cette raison que la première ministre albertaine a fait voter cette loi sur la souveraineté, qui n’est pas séparatiste, mais vient simplement confirmer que l’Alberta se réserve le droit de refuser d’appliquer les lois fédérales lorsqu’elles portent préjudice aux intérêts de la province, notamment par l’usage tout à fait légal de la clause nonobstant.
D’un point de vue québécois, il était fascinant de voir les débats ayant mené à cette loi. De nombreux albertains, même parmi ceux qui penchent carrément pour une sécession de l’ouest, craignaient d’apparaître trop radical et de s’embarquer dans un rapport trop conflictuel avec Ottawa. Dans la défense de son projet, Danielle Smith faisait régulièrement référence au Québec pour rappeler la légalité de la chose et les nombreux précédents de notre province dans l’usage de la clause dérogatoire.
On voyait ainsi s’activer des sentiments quelque peu paradoxaux : d’une part, on en voulait au Québec d’être parmi les provinces ayant le plus bloqué les projets de pipeline à destination de l’Atlantique, consolidant l’enclavement Albertain, et d’autre part, on cultivait une certaine admiration pour cette province à la culture distincte qui n’hésite pas à s’opposer à Ottawa pour protéger ses intérêts.
Et au bout du compte, ces penchants autonomistes, loin de s’opposer au fédéralisme, font plutôt honneur à ce système qui devrait justement être décentralisé.
Ça n’aura pas pris de temps pour Danielle Smith de mettre en application cette loi autonomiste : le mois dernier, la loi sur l’électricité propre de Justin Trudeau, encore une fois, désavantageait l’Alberta d’une manière absolument déraisonnable – en fait, elle s’avère tout à fait inapplicable. Ainsi, la première ministre a annoncé que l’Alberta ne s’y soumettrait pas.
C’est que la province a passé les dernières années à se départir en un temps record de ses centrales au charbon au profit du gaz naturel, entraînant l’une des diminutions les plus significatives de gaz à effet de serre au pays. Mais avant même de pouvoir célébrer ce succès, la loi de Justin Trudeau bannissant l’usage d’énergie fossile dans la production électrique les forcerait désormais à se départir de ces centrales nouvellement construites! Une ingratitude qui ne passe pas.
Non seulement le zèle du fédéral sur la question ne prend pas en considération que même selon les accords de Paris, le gaz naturel est considéré comme une énergie de transition et demeure probablement la source d’énergie la plus à même de remplacer l’usage du charbon et de diminuer significativement les émissions de GES, mais en plus, son application en Alberta signifierait de plonger la province dans les déficits énergétique.
L’Alberta, riche grâce à ses ressources énergétiques, se retrouverait désormais bonne dernière au pays et en déficit énergétique… Une situation ridicule et insensée.
Maintenant, ce leadership autonomiste albertain semble avoir engendré des émules. Dans la foulée de la suspension partielle de la taxe carbone pendant trois ans pour le chauffage au mazout dans des régions qui en sont dépendantes, le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, a menacé de ne plus collecter la taxe carbone à partir du 1er janvier si le fédéral n’élargissait pas cette suspension pour la rendre applicable aux autres provinces.
C’est qu’encore une fois, tant la taxe carbone que sa suspension partielle s’applique de manière inégale au pays et désavantage exagérément les provinces de l’ouest. L’aspect électoraliste de la suspension est évident : elle vise à donner un répit aux provinces atlantiques, des châteaux-forts libéraux pour la première fois en difficulté, qui sont probablement les seules remplissant les critères en raison d’un usage plus extensif du mazout.
En d’autres mots : ces politiques du gouvernement Trudeau avantagent les régions à allégeances libérales et désavantagent les régions conservatrices du pays.
Avec sa suspension partielle de la taxe carbone, Justin Trudeau semble avoir ouvert une boîte de pandore. Désormais, la fronde semble généralisée et partout au pays, en une période d’inflation et de difficultés économiques, on se demande s’il ne serait pas justifié de la suspendre entièrement dans tout le pays. Et face au refus catégorique d’Ottawa d’élargie sa suspension, la réponse de l’ouest est de simplement faire à leur tête et cesser de se soumettre à Ottawa.
D’ailleurs, même le NPD saskatchewanais supporte Scott Moe dans cette décision de refuser d’appliquer la taxe carbone! C’est dire le niveau de mobilisation contre le fédéral, au-delà de toute partisanerie ou allégeance idéologique.
L’évènement nous renseigne aussi beaucoup sur le caractère inapplicable des lois et réglementations énergétiques « from coast to coast » dans un pays formé de provinces au profil énergétique aussi varié. Ces lois n’affectent pas tous les Canadiens de la même manière et s’avèrent, au bout du compte, profondément injustes.
Maintenant, est-ce à dire que les provinces de l’ouest sont en train de développer des sentiments plus autonomiste que le Québec? Un certain orgueil canadien-français nous fera dire que non ; ces désaccords d’ordre économiques ne se comparent pas aux désaccords culturels et linguistique entre le Québec et Ottawa. Or n’est-ce pas justement signe que l’ouest, qui partage pourtant la même culture que le ROC, a plus d’audace que le Québec d’oser s’opposer à Ottawa sur ce genre de questions?
Alors que le Québec n’utilise la clause nonobstant que pour des situations assez rares dans des enjeux limités à la défense de sa culture, il se soumet habituellement à toutes les autres directives économiques et réglementaires du fédéral. Et dans une logique complètement inverse à celle des provinces de l’ouest, malgré l’un des meilleurs portraits énergétique verts du pays, qui devrait habituellement nous donner un petit répit, on se soumet tout de même au zèle d’Ottawa et se fait traiter comme si notre empreinte carbone était comparable aux provinces dont l’économie est basée sur le pétrole.
Dans l’ouest, les politiques environnementales sont trop sévères parce qu’inapplicables, et au Québec, elles sont trop sévères parce qu’ingrates.
Toute cette situation et la remise au goût du jour pancanadienne de la clause nonobstant pousse à se demander ceci : si les provinces de l’ouest s’avèrent aussi féroces sur des questions économiques et énergétiques contre Ottawa, jusqu’où seraient-elles prêtes à aller si, en plus, elles parlaient une autre langue et cultivaient une culture distincte comme le Québec. Parions qu’elles iraient beaucoup plus loin dans la défense de leurs intérêts à Ottawa que ce qu’on peut voir de la part du Québec à l’heure actuelle.
C’est bien beau d’utiliser la clause dérogatoire pour la laïcité ou la mise à jour des lois linguistiques, mais il y a tout un arsenal de lois et réglementations fédérales qu’on pourrait légitimement refuser d’appliquer ici. Particulièrement en une période d’incertitude économique où, apparemment, on continue d’appliquer des lois vertes radicales d’un premier ministre adulescent et incompétent qui nous appauvrissent et consolident notre dépendance et notre soumission envers le fédéral.
Peut-être est-il temps pour Legault d’augmenter la pression et faire honneur à l’autonomisme qu’il prétend représenter avant que l’ouest ne lui « vole le show ».