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Guillaume Lemay-Thivierge cancellé : quand le Québec s’invente des outrages à l’américaine

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Durant la fin de semaine, Guillaume Lemay-Thivierge a publié une vidéo à saveur humoristique à côté d’un arbre où était gravé l’infâme « mot en N » (dans sa forme afro-américaine « nigga »). D’une manière un peu maladroite – et soyons honnête, pas particulièrement drôle – il s’est mis à radoter sur le fait de travailler beaucoup ; le punch de la blague étant un lien implicite avec l’expression « travailler comme un n**** », qui était populaire chez les vieilles générations au Québec. Il n’en fallait pas plus pour déclencher un outrage complètement disproportionné.

«Des fois, la vie, c’est aussi de travailler. Travailler fort. Y’a une expression qui résume très bien. Des fois, c’est de dire, j’ai du gros boulot», déclarait-il en enlaçant l’arbre gravé du mot proscris.

Rapidement, de multiples figures publiques l’ont dénoncé avec rage, martelant qu’il s’agissait d’une blague raciste qui n’avait pas lieu d’être en 2024.

L’humoriste Eddy King y est allé d’un subtil : « C’est quoi ton f***ing problème?!?! Tu te crois marrant? Si tu veux ruiner ta carrière ou t’autodétruire, fais-le dans ton coin comme un grand garçon, mais ne nous mêle pas à ça! ». Pour le coanimateur de Tout le monde en parle Pierre-Yves Lord, il s’agirait d’un anachronisme inacceptable : « Je trouve que ça n’a aucun sens en 2024 de s’amuser avec ce mot, d’en faire des blagues. Je sais que cette personnalité-là essaie de s’excuser, de nous dire qu’elle est tombée par hasard sur ce bouleau… »

Les sections commentaires sous ses publications n’étaient guère mieux, avec de nombreux utilisateurs allant jusqu’à s’attaquer à sa conjointe et l’encourager à laisser Guillaume.

Pour ce qui est des médias, ils ont titré « vidéo raciste » sans aucune hésitation, sans aucune nuance. L’accusation est sans appel.

La vidéo en question, publié en tant que « story » sur Instagram, a depuis disparu. Mais Lemay-Thivierge a publié une vidéo d’excuses pour nier complètement avoir même vu le mot gravé sur l’arbre. Il prétend qu’il cherchait simplement à faire un jeu de mot avec « boulot » et « bouleau ». Une défense plutôt douteuse, d’autant plus qu’il jurait sur la tête de sa mère, son père et de ses enfants…

Si sa story était maladroite, l’excuse l’était tout autant. Il est très difficile à croire qu’il ait choisi cet arbre par hasard et n’ait pas remarqué le mot dessus.

En conséquence, le populaire acteur a perdu son poste d’animateur à l’émission Chanteurs masqués et Télé-Québec a annoncé qu’il suspendrait la publication d’une entrevue qui devait bientôt paraître.

Maintenant, si les blagues racistes n’ont pas lieu d’être en 2024, il faudrait tout de même savoir exactement de quel racisme on parle dans ce cas particulier. C’est loin d’être aussi évident que les détracteurs le présentent. Lemay-Thivierge n’insinue rien de péjoratif à l’endroit de quelconque race ; tout au plus, il plaisante autour d’un mot controversé et fait vaguement référence à une expression désormais proscrite.

Comme le mentionne Pierre-Yves Lord, il « s’amuse avec ce mot en 2024 ». Ça constitue quand même une accusation extrêmement vague et difficilement associable à un discours haineux.

Toute la logique de l’outrage repose sur la conception selon laquelle les blancs n’ont pas le droit de prononcer ou faire quoi que ce soit en lien avec ce mot. Toute référence vague ou maladroite constituerait un cas clair de racisme dévoilant des « logiques de pouvoir ». Mais les noirs, eux, « s’amusent » constamment avec, comme en témoigne son usage intensif dans la culture rap, parce qu’il s’agirait d’une manière « d’exorciser sa signification originelle ».

On remarque évidemment l’influence directe des débats de société propres aux américains, où les tensions raciales sont nettement plus présentes qu’au Québec. Mais même dans la société américaine, une telle histoire n’irait probablement pas aussi loin.

C’est que toutes ces controverses autour du « mot en N » ont développé une sorte d’effet Streisand : à force de vouloir interdire aux blancs de l’utiliser – même quand leurs idoles afro-américaines l’utilisent à outrance jusque dans les paroles de leurs chansons et qu’ils n’ont pas une once de racisme – c’est devenu une sorte de phénomène culturel, un thème humoristique pour les trolls et adeptes d’humour « edgy » (à la limite de l’acceptable).

Par exemple, une blague courante chez les jeunes américains est de demander à des blancs « qui était à Paris? », en référence à la chanson « Niggas in Paris » de Kanye West et Jay-Z. Le concept de la blague est qu’étant blancs, ils ne peuvent pas répondre à cette question. Il s’agit d’un cas extrêmement répandu en 2024 où on « s’amuse avec ce mot ».

La réalité, c’est que les américains ne se sont probablement jamais autant « amusé » avec ce mot ; la blague n’étant pas du tout de rire des noirs, mais plutôt du fait que les blancs ne peuvent pas le prononcer.

C’est un peu le concept de la blague de Lemay-Thivierge ; il tourne autour du pot sans pouvoir prononcer le mot gravé sur l’arbre. C’est ça, la blague. C’est le fait qu’il y a un interdit implicite dans la vidéo. C’est le fait qu’en tant que blanc, ce mot est une sorte de Voldemort ; sur environ 200 000 mots dans la langue française, et les millions dans d’autres langues, c’est le seul mot qui est interdit à une race entière. On peut bien ramener tant qu’on voudra le passé, tenter d’évacuer complètement l’importance de l’intention dans l’expression d’un mot et dire que toutes les fois où il est prononcé, il s’agit nécessairement de racisme, il n’en demeure pas moins que cette situation linguistique a quelque chose d’absurde qui attire les railleries.

Utiliser le mot dans sa fonction originelle est nécessairement immoral, mais s’amuser de son interdiction aux blancs est beaucoup plus complexe, et oui, très répandu. Même aux États-Unis. En fait, le Québec apparait ici comme beaucoup plus frileux sur la question que ne le sont les Américains, qui sont les principaux concernés par son usage. On s’invente des outrages de toutes pièces.

Bref, Lemay-Thivierge méritait-il de se faire critiquer pour sa blague maladroite? Probablement. Ce n’était juste pas drôle et ça s’apparentait à du trolling, ce qui est questionnable venant d’une figure publique comme lui. Cela étant dit, méritait-il de se faire traiter de raciste, de perdre ses contrats et de recevoir des messages aussi haineux s’attaquant même à sa famille? Absolument pas.

C’est drôle, parce qu’on parle constamment de violence verbale ; eh bien dans ce cas, il apparaît évident qu’il y a beaucoup plus de violence dans les propos des militants exaltés qui l’attaquent que dans ceux qu’a tenus Lemay-Thivierge. La disproportion est assez évidente. Mais le dogme et la sensibilité qui entoure ce mot prévaut, comme d’habitude.

Enfin, on se rappelle que Guillaume Lemay-Thivierge s’est attiré beaucoup d’hostilité durant la pandémie suite à sa décision d’attendre le vaccin québécois développé par médicago, particulièrement chez la caste culturelle québécoise, tissée très serrée. Il semble en avoir gardé rancune, comme par exemple lors de son discours jugé « malaisant » aux Gémeaux de 2022, où il est monté sur la scène de manière importune pour régler ses comptes. Ces évènements semblent avoir brisé ses illusions quant à la fraternité de notre scène culturelle, et l’acteur semble se laisser aller dans des petites provocations depuis.

Lemay-Thivierge ne voulait probablement pas faire preuve de racisme, mais il apparaît douteux qu’il n’ait pas réalisé ce qui était gravé sur l’arbre. L’explication la plus logique, c’est que Lemay-Thivierge ne « s’amusait » pas avec le mot en N ; il s’amusait avec les limites de la liberté d’expression en 2024.

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